Dans un salon, elle n’était jamais qu’une petite fille, timide, presque sotte, rougissant pour un mot et baissant les yeux.

Viens, nous nous cacherons derrière les grands rideaux, nous verrons l’indolente étendre les bras et s’éveiller en découvrant ses pieds roses. Ne sois pas jalouse, Ninon : tous mes baisers sont pour toi.

Te souviens-tu ? onze heures sonnaient. La chambre était encore sombre. Le soleil se perdait dans les épaisses draperies des fenêtres, tandis qu’une veilleuse, aux lueurs mourantes, luttait vainement avec l’ombre. Sur le lit, lorsque la flamme de la veilleuse se ravivait, apparaissaient une forme blanche, un front pur, une gorge perdue sous des flots de dentelles ; plus loin, l’extrémité délicate d’un petit pied ; hors du lit, un bras de neige pendant, la main ouverte.

À deux reprises, la paresseuse se retourna sur la couche pour s’endormir de nouveau, mais d’un sommeil si léger, que le subit craquement d’un meuble la fit enfin dresser à demi. Elle écarta ses cheveux tombant en désordre sur son front, elle essuya ses yeux gros de sommeil, ramenant sur ses épaules tous les coins des couvertures, croisant les bras pour se mieux voiler.

Quand elle fut bien éveillée, elle avança la main vers un cordon de sonnette qui pendait auprès d’elle ; mais elle la retira vivement ; elle sauta à terre, courut écarter elle-même les draperies des fenêtres. Un gai rayon de soleil emplit la chambre de lumière. L’enfant, surprise de ce grand jour et venant à se voir dans une glace demi-nue et en désordre, fut fort effrayée. Elle revint se blottir au fond de son lit, rouge et tremblante de ce bel exploit. Sa chambrière était une fille sotte et curieuse ; Georgette préférait sa rêverie aux bavardages de cette femme. Mais, bon Dieu ! quel grand jour il faisait, et combien les glaces sont indiscrètes !

Maintenant, sur les sièges épars, on voyait négligemment jetée une toilette de bal. La jeune fille, presque endormie, avait laissé ici sa jupe de gaze, là son écharpe, plus loin ses souliers de satin. Auprès d’elle, dans une coupe d’agate, brillaient des bijoux ; un bouquet fané se mourait à côté d’un carnet de danse.

Le front sur l’un de ses bras nus, elle prit un collier et se mit à jouer avec les perles. Puis elle le posa, ouvrit le carnet, le feuilleta. Le petit livre avait un air ennuyé et indifférent. Georgette le parcourait sans grande attention, paraissant songer à tout autre chose.

Comme elle en tournait les pages, le nom de Charles, inscrit en tête de chacune d’elles, finit par l’impatienter.

– Toujours Charles, se dit-elle. Mon cousin a une belle écriture ; voilà des lettres longues et penchées qui ont un aspect grave. La main lui tremble rarement, même lorsqu’elle presse la mienne. Mon cousin est un jeune homme très sérieux. Il doit être un jour mon mari. À chaque bal, sans m’en faire la demande, il prend mon carnet et s’inscrit pour la première danse. C’est là sans doute un droit de mari. Ce droit me déplaît.

Le carnet devenait de plus en plus froid. Georgette, le regard perdu dans le vide, semblait résoudre quelque grave problème.

– Un mari, reprit-elle, voilà qui me fait peur. Charles me traite toujours en petite fille ; parce qu’il a remporté huit à dix prix au collège, il se croit forcé d’être pédant. Après tout, je ne sais trop pourquoi il sera mon mari ; ce n’est pas moi qui l’ai prié de m’épouser ; lui-même ne m’en a jamais demandé la permission. Nous avons joué ensemble, autrefois ; je me souviens qu’il était très méchant. Maintenant il est très poli ; je l’aimerais mieux méchant. Ainsi je vais être sa femme ; je n’avais jamais bien songé à cela ; sa femme, je n’en vois vraiment pas la raison. Charles, toujours Charles ! on dirait que je lui appartiens déjà.