Voyant sa grandeur dans la mort, je disais : « Cet homme n’est pas un roi. » Alors j’eus pitié, je criai aux soldats de le frapper au cœur.

Une fauvette chantait sur la croix. Son chant était triste et parlait à mes oreilles comme la voix d’une vierge en pleurs.

« – Le sang colore la flamme, disait-elle, le sang empourpre la fleur, le sang rougit la nue. Je me suis posée sur le sable, mes pattes étaient sanglantes ; j’ai effleuré les branches du chêne, mes ailes étaient rouges.

« J’ai rencontré un juste, je l’ai suivi. Je venais de me baigner dans la source, et ma robe était pure. Mon chant disait : Réjouissez-vous, mes plumes : sur l’épaule de cet homme, vous ne serez plus souillées de la pluie du meurtre.

« Mon chant dit aujourd’hui : Pleure, fauvette du Golgotha, pleure ta robe tachée par le sang de celui qui te gardait l’asile de son sein. Il est venu pour rendre la blancheur aux fauvettes, hélas ! et les hommes le forcent à me mouiller de la rosée de ses plaies.

« Je doute, et je pleure ma robe tachée. Où trouverai-je ton frère, ô Jésus ! pour qu’il m’ouvre son vêtement de lin ? Ah ! pauvre maître, quel fils né de toi lavera mes plumes que tu rougis de ton sang ? »

Le crucifié écoutait la fauvette. Le vent de la mort faisait battre ses paupières ; l’agonie tordait ses lèvres. Son regard se leva vers l’oiseau, plein d’un doux reproche ; son sourire brilla, serein comme l’espérance.

Alors, il poussa un grand cri. Sa tête se pencha sur sa poitrine, et la fauvette s’enfuit, emportée dans un sanglot. Le ciel devint noir, la terre frémit dans l’ombre.

Je courais toujours et je dormais. L’aurore était venue, les vallées s’éveillaient, rieuses dans les brouillards du matin. L’orage de la nuit avait donné plus de sérénité au ciel, plus de vigueur aux feuilles vertes. Mais le sentier se trouvait bordé des mêmes épines qui me déchiraient la veille ; les mêmes cailloux durs et tranchants roulaient sous mes pieds ; les mêmes serpents rampaient dans les buissons et me menaçaient au passage. Le sang du juste avait coulé dans les veines du vieux monde, sans lui rendre l’innocence de sa jeunesse.

La fauvette passa sur ma tête, et me cria :

– Va, va, je suis bien triste. Je ne puis trouver une source assez pure où me baigner. Regarde, la terre est méchante comme hier. Jésus est mort, et l’herbe n’a pas fleuri. Va, va, ce n’est qu’un meurtre de plus.

 

 

V

 

La trompette sonnait toujours le départ.

– Fils, dit Gneuss, c’est un laid métier que le nôtre. Notre sommeil est troublé par les fantômes de ceux que nous frappons. J’ai, comme vous, senti, pendant de longues heures, le démon du cauchemar peser sur ma poitrine. Voici trente ans que je tue, j’ai besoin de sommeil. Laissons là nos frères. Je connais un vallon où les charrues manquent de bras. Voulez-vous que nous goûtions au pain du travail ?

– Nous le voulons, répondirent ses compagnons.

Alors les soldats creusèrent un grand trou au pied d’une roche, et enterrèrent leurs armes. Ils descendirent se baigner à la rivière ; puis, tous quatre se tenant par les bras, ils disparurent au coude du sentier.

 

 

Les voleurs et l’âne

 

I

 

Je connais un jeune homme, Ninon, que tu gronderais fort. Léon adore Balzac et ne peut souffrir George Sand ; le livre de Michelet a failli le rendre malade. Il dit naïvement que la femme naît esclave, il ne prononce jamais sans rire les mots d’amour et de pudeur. Ah ! comme il vous maltraite ! Sans doute, il se recueille la nuit pour vous mieux déchirer le jour. Il a vingt ans.

La laideur lui paraît un crime.