Comme elle prenait des deux côtés, elle tendait les mains, à droite et à gauche, avec une égale complaisance, remerciant chaque fois de sa voix douce. Ce que voyant, il me faisait de grands signes que je ne comprenais point.
Décidément, la jeune femme était, ce jour-là, d’une coquetterie désespérante. Les pieds repliés sous ses jupes, elle disparaissait presque dans l’herbe ; un poète l’eût volontiers comparée à une grande fleur qui aurait eu le don du regard et du sourire. Elle, si naturelle d’ordinaire, avait des mouvements mutins, des minauderies dans la voix que je ne lui connaissais pas. Les amoureux, confus de ses bonnes paroles, se regardaient d’un air triomphant. Moi, étonné de cette coquetterie soudaine ; voyant par instant la maligne rire sous cape, je me demandais lequel de nous transformait cette fille simple en rusée commère.
Le gazon commençait à se dégarnir. On riait plus qu’on ne parlait. Léon changeait de place à chaque instant, ne se trouvant bien à aucune. Comme il avait repris son air méchant, je craignis un discours et je suppliai du regard notre compagne de me pardonner un ami aussi maussade. Mais elle était fille vaillante : un philosophe de vingt ans, tout sérieux qu’il fût, ne la déconcertait pas.
– Monsieur, dit-elle à Léon, vous êtes triste, notre gaieté paraît vous être importune. Je n’ose plus rire.
– Riez, riez, madame, répondit-il. Si je me tais, c’est que je ne sais point, comme ces messieurs, trouver de ces belles choses qui vous mettent en joie.
– Est-ce dire que vous n’êtes pas flatteur ? Mais parlez vite, alors. Je vous écoute, je veux de grosses vérités.
– Les femmes ne les aiment pas, madame. D’ailleurs, lorsqu’elles sont jeunes et belles, quel mensonge peut-on leur faire qui ne soit vrai ?
– Allons, vous le voyez, vous êtes un courtisan comme les autres. Voilà que vous me forcez à rougir. Lorsque nous sommes absentes, vous nous déchirez à belles dents, messieurs les hommes ; mais que la moindre de nous paraisse, vous n’avez pas de saluts assez profonds, pas de phrases assez tendres. C’est de l’hypocrisie, cela ! Moi, je suis franche, je dis : Les hommes sont méchants, ils ne savent pas aimer. Voyons, monsieur, soyez franc à votre tour. Que dites-vous des femmes ?
– Ai-je toute liberté ?
– Certainement.
– Vous ne vous fâcherez pas ?
– Eh ! non, je rirai plutôt.
Léon se posa en orateur. Comme je connaissais le discours, l’ayant entendu plus de cent fois, je me récréai, pour le supporter, à jeter de petits cailloux dans la Seine.
– Lorsque Dieu, dit-il, s’aperçut qu’il manquait un être à sa création, ayant employé toute la fange, il ne sut où prendre la matière nécessaire pour réparer son oubli. Il lui fallut s’adresser aux créatures ; il reprit à chaque animal un peu de sa chair, et de ces emprunts faits au serpent, à la louve, au vautour, il créa la femme. Aussi, les sages qui ont connaissance de ce fait, omis dans la Bible, ne s’étonnent-ils pas en voyant la femme fantasque, sans cesse en proie à des humeurs contraires, fidèle image des éléments divers qui la composent. Chaque être lui a donné un vice ; le mal épars dans la création s’est réuni en elle ; de là ses caresses hypocrites, ses trahisons, ses débauches...
On eût dit que Léon récitait une leçon. Il se tut, cherchant la suite. Antoinette applaudit.
– Les femmes, reprit l’orateur, naissent légères et coquettes, comme elles naissent brunes ou blondes. Elles se livrent par égoïsme, peu soucieuses de choisir selon le mérite. Un homme est fat, il a la beauté régulière des sots : elles vont se le disputer. Qu’il soit simple et affectueux, qu’il se contente d’être homme d’esprit, sans le crier sur les toits, elles ne sauront même pas s’il existe. En toutes choses, il leur faut des joujoux qui brillent : jupes de soie, colliers d’or, pierreries, amants peignés et fardés. Quant aux ressorts de l’amusante machine, peu leur importe qu’ils fonctionnent bien ou mal.
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