Elles n’ont pas charge d’âmes. Elles se connaissent en cheveux noirs, en lèvres amoureuses, mais elles sont ignorantes des choses du cœur. C’est ainsi qu’elles se jettent dans les bras du premier niais venu, confiantes en sa grande mine. Elles l’aiment, parce qu’il leur plaît ; il leur plaît, parce qu’il leur plaît. Un jour, le niais les bat. Alors elles crient au martyre, elles se désolent, disant qu’un homme ne peut toucher à un cœur sans le briser. Les folles, que ne cherchent-elles la fleur d’amour où elle fleurit !

Antoinette applaudit de nouveau. Le discours, tel que je le connaissais, s’arrêtait là. Léon l’avait prononcé tout d’un trait, comme ayant hâte de le finir. La dernière phrase dite, il regarda la jeune femme et parut rêver. Puis, ne déclamant plus, il ajouta :

– Je n’ai eu qu’une bonne amie. Elle avait dix ans, et moi douze. Un jour elle me trompa pour un gros dogue qui se laissait tourmenter sans jamais montrer les dents. Je pleurai beaucoup, je jurai de ne plus aimer. J’ai tenu ce serment. Je n’entends rien aux femmes. Si j’aimais, je serais jaloux et maussade ; j’aimerais trop, je me ferais haïr ; on me tromperait, et j’en mourrais.

Il se tut, les yeux humides, tâchant vainement de rire. Antoinette ne raillait plus ; elle l’avait écouté, toute sérieuse ; puis, s’écartant de ses voisins, regardant Léon en face, elle vint poser la main sur son épaule,

– Vous êtes un enfant, lui dit-elle simplement.

 

 

V

 

Un dernier rayon qui glissait sur la rivière, la changeait en un ruban d’or et de moire. Nous attendions la première étoile pour descendre le courant à la fraîcheur du soir. Les paniers avaient été reportés dans la barque. Nous nous étions couchés dans l’herbe, à l’aventure, chacun selon son gré.

Antoinette et Léon s’étaient placés sous un grand églantier, qui allongeait ses bras au-dessus de leurs têtes. Les branches vertes les cachaient à demi ; comme ils me tournaient le dos, je ne pouvais voir s’ils riaient ou s’ils pleuraient. Ils parlaient bas, paraissait se quereller. Moi, j’avais choisi un petit tertre, semé d’une herbe fine ; paresseusement étendu, je voyais à la fois le ciel et la pelouse où se posaient mes pieds. Les deux galants, appréciant sans doute le charme de mon attitude, étaient venus se coucher, l’un à ma gauche, l’autre à ma droite.

Ils abusaient de leur position pour me parler tous deux à la fois.

Celui qui se trouvait à ma gauche, me touchait légèrement au bras, lorsqu’il voyait que je ne l’écoutais plus.

– Monsieur, me disait-il, j’ai rarement rencontré une femme plus capricieuse que mademoiselle Antoinette. Vous ne sauriez croire comme sa tête tourne au moindre souffle. Pour citer un exemple, lorsque nous vous avons rencontrés, ce matin, nous allions dîner à deux lieues d’ici. À peine aviez-vous disparu, qu’elle nous a fait revenir sur nos pas ; la contrée lui plaisait, disait-elle. C’est à perdre l’esprit. Moi, j’aime les choses qui s’expliquent.

Celui qui était à ma gauche disait en même temps, me forçant aussi à l’écouter :

– Monsieur, je désire depuis ce matin vous parler en particulier.