Elle arriva ainsi dans la grande rue. Il y avait là, à gauche, près de l’église, une boutique pleine de bonbons et de poupées, si belle la nuit aux lumières, que les enfants de la contrée en rêvaient comme d’un paradis. Ce soir-là, un groupe de marmots, bouche béante, muets d’admiration, se tenait sur le trottoir, les mains appuyées aux vitres, le plus près possible des merveilles de l’étalage. Sœur-des-Pauvres envia leur audace. Elle s’arrêta au milieu de la rue, laissant pendre ses petits bras, ramenant ses haillons que le vent écartait. Un peu fière d’être riche, elle serrait bien fort son beau sou neuf et choisissait du regard le jouet qu’elle allait acheter. Enfin elle se décida pour une poupée qui avait des cheveux comme une grande personne ; cette poupée, qui était bien haute comme elle, portait une robe de soie blanche, pareille à celle de la sainte Vierge.
La fillette avança de quelques pas. Honteuse, comme elle regardait autour d’elle, avant d’entrer, elle aperçut sur un banc de pierre, en face de la belle boutique, une femme mal vêtue, berçant dans ses bras un enfant qui pleurait. Elle s’arrêta de nouveau, tournant le dos à la poupée. Aux cris de l’enfant, ses mains se croisèrent de pitié ; et, sans honte cette fois, elle s’approcha rapidement pour donner son beau sou neuf à la pauvre femme.
Cette dernière, depuis quelques instants, regardait Sœur-des-Pauvres. Elle l’avait vue s’arrêter, puis s’avancer vers les jouets ; de sorte que, lorsque l’enfant vint à elle, elle comprit son bon cœur. Elle prit le sou, les yeux humides ; puis, elle retint dans la sienne la petite main qui le lui donnait.
– Ma fille, dit-elle, j’accepte ton aumône, parce que je vois bien qu’un refus te chagrinerait. Mais, toi-même, ne désires-tu rien ? Toute mal vêtue que je suis, je puis contenter un de tes vœux.
Pendant qu’elle parlait ainsi, les yeux de la pauvresse brillaient, pareils à des étoiles, tandis que, autour de sa tête, courait une flamme, comme une couronne faite d’un rayon de soleil. L’enfant, maintenant endormi sur ses genoux, souriait divinement dans son repos.
Sœur-des-Pauvres secoua sa tête blonde.
– Non, madame, répondit-elle, je n’ai aucun désir. Je voulais acheter cette poupée que vous voyez en face, mais ma tante Guillaumette me l’aurait brisée. Puisque vous ne voulez pas de mon sou pour rien, j’aime mieux que vous me donniez un bon baiser en échange. La mendiante se pencha et la baisa au front.
À cette caresse, Sœur-des-Pauvres se sentit soulevée de terre ; il lui sembla que son éternelle fatigue s’en était allée ; en même temps, il lui vint au cœur une plus grande bonté.
– Ma fille, ajouta l’inconnue, je ne veux pas que ton aumône reste sans récompense. J’ai, comme toi, un sou dont je ne savais que faire, avant de te rencontrer. Des princes, des grandes dames, m’ont jeté des bourses d’or, et je ne les ai pas jugés dignes de le posséder. Prends-le. Quoi qu’il arrive, agis selon ton cœur.
Et elle le lui donna. C’était un vieux sou de cuivre jaune, rongé sur les bords, percé au milieu d’un trou large comme une grosse lentille. Il était si usé, qu’on ne pouvait savoir de quel pays il venait, si ce n’est qu’on voyait encore, sur une des faces, une couronne de rayons à demi effacée. C’était peut-être là quelque monnaie des cieux.
Sœur-des-Pauvres, le voyant si mince, tendit la main, comprenant qu’un tel cadeau ne portait point préjudice à la mendiante, et le considérant comme un souvenir d’amitié qu’elle lui laissait.
– Hélas ! pensait-elle, la pauvre femme ne sait ce qu’elle dit. Les princes, les belles dames n’ont que faire de son sou. Il est si laid qu’il ne payerait pas seulement une once de pain. Je ne vais pas même pouvoir le donner à un pauvre.
La femme, dont les yeux brillaient de plus en plus, sourit, comme si l’enfant eût parlé tout haut. Elle lui dit doucement :
– Prends-le toujours, et tu verras.
Alors Sœur-des-Pauvres l’accepta, pour ne pas la désobliger. Elle baissa la tête, afin de le mettre dans la poche de sa jupe ; lorsqu’elle la releva, le banc était vide. Elle fut grandement étonnée et s’en revint, toute songeuse de la rencontre qu’elle venait de faire.
II
Sœur-des-Pauvres couchait au grenier, dans une sorte de soupente, où gisaient pêle-mêle des débris de vieux meubles.
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