Le petit sac faisait merveilles ; il ne désemplissait pas, il se gonflait tellement à chaque nouvelle poignée prise par la fillette, qu’il versait comme un vase trop plein. Les pauvres gens restaient ébahis de cette pluie joyeuse : ils ramassaient les sous tombés, oubliant le soleil qui se levait, disant des : « Dieu vous le rende ! » à la hâte. L’aumône était si large, que de bons vieux croyaient que les saints de pierre leur jetaient cette fortune ; ils le croient même encore.

L’enfant riait de leur joie. Elle fit trois fois le tour, afin de donner à chacun la même somme ; puis elle s’arrêta, non pas que le petit sac se trouvât vide, mais parce qu’elle avait beaucoup à faire avant le soir. Comme elle allait s’éloigner, elle aperçut dans un coin un vieillard infirme qui, ne pouvant s’approcher, tendait les mains vers elle. Triste de ne point l’avoir vu, elle s’avança, pencha le sac, pour lui donner davantage. Les sous se mirent à couler de cette méchante bourse comme l’eau d’une fontaine, sans s’arrêter, si abondamment, que Sœur-des-Pauvres ferma bientôt l’ouverture avec le poing, car le tas aurait monté en peu d’instants aussi haut que l’église. Le pauvre vieux n’avait que faire de tant d’argent, et peut-être les riches seraient-ils venus le voler.

 

 

IV

 

Alors, ceux de la grand’place ayant les poches pleines, elle marcha vers la campagne. Les mendiants, oubliant de soulager leurs souffrances, se mirent à la suivre ; ils la regardaient avec étonnement et respect, entraînés dans un élan de fraternité. Elle, seule, regardant autour d’elle, s’avançait la première. La foule venait ensuite.

L’enfant, vêtue d’une indienne en lambeaux, était bien sœur des pauvres gens de sa suite, sœur par les haillons, sœur par la tendre pitié. Elle se trouvait là en famille, donnant à ses frères, s’oubliant elle-même ; elle marchait gravement de toute la force de ses petits pieds, heureuse de faire la grande fille ; et cette blondine de dix ans rayonnait d’une naïve majesté, suivie de son escorte de vieillards.

L’étroite bourse à la main, elle allait de village en village, distribuant des aumônes à toute la contrée. Elle allait devant elle, sans choisir les chemins, prenant les routes des plaines et les sentiers des coteaux ; puis elle s’écartait, traversant les champs, pour voir si quelque vagabond ne s’abritait pas au pied des haies ou dans le creux des fossés. Elle se haussait, regardant à l’horizon, regrettant de ne pouvoir jeter un appel à toutes les misères du pays. Elle soupirait en songeant qu’elle laissait peut-être derrière quelque souffrance ; cette crainte faisait qu’elle revenait parfois sur ses pas pour visiter un buisson. Et, soit qu’elle ralentît sa marche aux coudes des chemins, soit qu’elle courût à la rencontre d’un indigent, son cortège la suivait dans chacun de ses détours.

Or, il arriva, comme elle traversait un pré, qu’une bande de pierrots vint s’abattre devant elle. Les pauvres petits, perdus dans la neige, chantaient d’une façon lamentable, demandant une nourriture qu’ils avaient cherchée en vain. Sœur-des-Pauvres s’arrêta, interdite de rencontrer des misérables auxquels ses gros sous n’étaient d’aucun secours ; elle regardait son sac avec colère, maudissant cet argent qui se refusait à la charité. Cependant les pierrots l’entouraient ; ils se disaient de la famille, ils lui réclamaient leur part dans ses bienfaits. Près d’éclater en sanglots, ne sachant que faire, elle prit dans le sac une poignée de sous, car elle ne pouvait se décider à les renvoyer sans aumône. La chère enfant avait sûrement perdu la tête, s’imaginant que les gros sous sont monnaie de pierrots, et que ces enfants du bon Dieu ont meuniers pour moudre et boulangers pour pétrir le pain de chaque jour. Je ne sais ce qu’elle pensait faire, mais ce que personne n’ignore, c’est que l’aumône, jetée poignée de sous, tomba poignée de blé sur la terre.

Sœur-des-Pauvres ne parut pas étonnée. Elle servit un vrai festin aux pierrots, leur offrant toutes sortes de graines, en telle quantité que, le printemps venu, le pré se couvrit d’une herbe épaisse et haute comme une forêt. Depuis ce temps, ce coin de terre appartient aux oiseaux du ciel ; ils y trouvent, en toute saison, une nourriture abondante, bien qu’ils y viennent par milliers, de plus de vingt lieues à la ronde.

Sœur-des-Pauvres reprit sa marche, heureuse de son nouveau pouvoir. Elle ne se contentait plus de distribuer de gros sous ; elle donnait, selon la rencontre, de bonnes blouses bien chaudes, de lourds jupons de laine, ou encore des souliers si légers et si forts, qu’ils pesaient à peine une once et usaient les cailloux. Tout cela sortait d’une fabrique inconnue ; les étoffes étaient merveilleuses de solidité et de souplesse ; les coutures se trouvaient si finement piquées, que, dans le trou qu’aurait fait une de nos aiguilles, les aiguilles magiques avaient aisément trouvé place pour trois de leurs points ; et, ce qui n’était pas le moindre prodige, chaque vêtement prenait la taille du pauvre qui s’en couvrait. Sans doute un atelier de bonnes fées venait de s’établir au fond du sac, apportant les fins ciseaux d’or qui coupent dix robes de chérubin dans la feuille d’une rose. C’était, pour sûr, besogne du ciel, tant l’ouvrage était parfait et promptement cousu.

Le petit sac ne se montrait pas plus fier pour cela. Les bords en étaient légèrement usés, et la main de Sœur-des-Pauvres les avait peut-être un peu élargis ; maintenant, il pouvait bien être gros comme deux nids de fauvette. Pour que tu ne m’accuses pas de mensonge, il me faut te dire comment en sortaient les grands vêtements, tels que les jupes, les manteaux, amples de quatre ou cinq mètres.