La vérité est qu’ils s’y trouvaient pliés sur eux-mêmes, comme les feuilles du coquelicot quand il ne s’est pas échappé du calice ; pliés avec tant d’art, qu’ils n’étaient guère plus gros que le bouton de cette fleur. Alors Sœur-des-Pauvres prenait le paquet entre deux doigts, le secouant à petits coups ; l’étoffe se dépliait, s’allongeait et devenait vêtement, non plus bon pour des anges, mais propre à couvrir de larges épaules. Quant aux souliers, je n’ai pu savoir jusqu’à ce jour sous quelle forme ils sortaient du sac ; j’ai ouï dire cependant, mais je n’affirme rien, que chaque paire était contenue dans une fève qui éclatait en touchant la terre. Tout cela, bien entendu, sans préjudice des poignées de gros sous qui tombaient dru comme grêle de mars.
Sœur-des-Pauvres marchait toujours. Elle ne sentait point la fatigue, bien qu’elle eût fait près de vingt lieues depuis le matin, cela sans boire ni manger. À la voir passer sur le bord des routes, laissant à peine trace, on eût dit qu’elle était emportée par des ailes invisibles. On l’avait aperçue, dans ce jour, aux quatre points du pays. Tu n’aurais pas trouvé dans la contrée un coin de terre, plaine ou montagne, dont la neige ne portât la légère empreinte de ses petits pieds. Vraiment, Guillaume et Guillaumette, s’ils la poursuivaient, risquaient de courir une bonne semaine avant que de l’atteindre ; non pas qu’il y eût à hésiter sur le chemin qu’elle prenait, car elle laissait foule derrière elle, comme font les rois à leur passage ; mais parce qu’elle marchait si gaillardement qu’elle-même, en d’autres temps, n’aurait pu faire un pareil voyage en moins de six grandes semaines.
Et son cortège allait s’augmentant à chaque village. Tous ceux qu’elle secourait, marchaient à sa suite, si bien que, vers le soir, la foule s’étendait derrière elle, sur une longueur de plusieurs centaines de mètres. C’étaient ses bonnes œuvres qui la suivaient ainsi. Jamais saint ne s’est présenté devant Dieu avec une aussi royale escorte.
Cependant, la nuit tombait. Sœur-des-Pauvres marchait toujours ; toujours le petit sac travaillait. Enfin, on vit l’enfant s’arrêter sur le sommet d’un coteau ; elle se tint immobile, regardant les plaines qu’elle venait d’enrichir, et ses haillons se détachaient en noir dans la blancheur du crépuscule. Les mendiants firent cercle autour d’elle ; ils s’agitaient par grandes masses sombres, avec le sourd frémissement des foules. Puis, le silence régna. Sœur-des-Pauvres, haute dans le ciel, souriait, ayant un peuple à ses pieds. Alors, ayant beaucoup grandi depuis le matin, debout sur le coteau, elle leva la main au ciel, disant à son peuple :
– Remerciez Jésus, remerciez Marie.
Et tout son peuple entendit sa voix douce.
V
Il était fort tard, lorsque Sœur-des-Pauvres revint au logis. Guillaume et Guillaumette s’étaient endormis, las de colère et de menaces. Elle entra par la porte de l’étable, qui ne fermait qu’au loquet. Elle gagna vite son grenier, où elle trouva sa bonne amie la lune, si claire, si joyeuse, qu’elle paraissait connaître le bel emploi de la journée. Souvent le ciel nous remercie ainsi par de plus clairs rayons.
L’enfant se sentait grand besoin de repos. Mais, avant de se mettre au lit, elle voulut revoir le sou miraculeux, celui qui se trouvait au fond du sac. Il avait tant et si bien travaillé, qu’il méritait vraiment d’être baisé. Elle s’assit sur le coffre, elle se mit à vider la bourse, posant les poignées de monnaie à ses pieds. Un quart d’heure durant, elle tâcha d’atteindre le fond ; le tas lui montait aux genoux, et alors elle désespéra. Elle voyait bien qu’elle emplirait le grenier, sans avancer en rien la besogne. Fort embarrassée, elle ne trouva rien de mieux que de tourner lestement le petit sac à l’envers. Il y eut un éboulement de gros sous prodigieux ; la mansarde en fut, du coup, pleine au trois quarts. Le sac était vide.
Cependant, à ce bruit, Guillaume s’éveilla.
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