À cette occasion, les Schwanthaler donnèrent une grande soirée, non plus une de leurs soirées académiques d’autrefois, sobres de lumières et de bruit, mais un magnifique bal travesti, où Mme de Schwanthaler et ses filles parurent en canotières de Bougival, les bras nus, la jupe courte, et le petit chapeau plat à rubans éclatants. Toute la ville en parla, mais ce n’était que le commencement. La comédie, les tableaux vivants, les soupers, le baccara : voilà ce que Munich scandalisé vit défiler tout un hiver dans le salon de l’académicien. « De la gaieté, mes enfants, de la gaieté !... » répétait le pauvre bonhomme de plus en plus affolé. Et tout ce monde-là était très gai en effet. Mme de Schwanthaler, mise en goût par ses succès de canotière, passait sa vie sur l’Isar en costumes extravagants. Ces demoiselles, restées seules au logis, prenaient des leçons de français avec des officiers de hussards prisonniers dans la ville ; et la petite pendule, qui avait toutes raisons de se croire encore à Bougival, jetait les heures à la volée, en sonnant toujours huit heures quand elle en marquait trois... Puis, un matin, ce tourbillon de gaieté folle emporta la famille Schwanthaler en Amérique, et les plus beaux Titien de la Pinacothèque suivirent dans sa fuite leur illustre conservateur.

 

Conclusion

 

Après le départ des Schwanthaler, il y eut dans Munich comme une épidémie de scandales. On vit successivement une chanoinesse enlever un baryton, le doyen de l’Institut épouser une danseuse, un conseiller aulique faire sauter la coupe, le couvent des dames nobles fermé pour tapage nocturne...

Ô malice des choses ! Il semblait que cette petite pendule était fée et qu’elle avait pris à tâche d’ensorceler toute la Bavière. Partout où elle passait, partout où elle sonnait son joli timbre à l’évent, il affolait, détraquait les cervelles. Un jour, d’étape en étape, elle arriva jusqu’à la résidence ; et depuis lors, savez-vous quelle partition le roi Louis, ce wagnérien enragé, a toujours ouverte sur son piano ?...

– Les Maîtres chanteurs ?

– Non !... Le Phoque à ventre blanc !

Ça leur apprendra à se servir de nos pendules.

La défense de Tarascon

 

Dieu soit loué ! J’ai enfin des nouvelles de Tarascon. Depuis cinq mois, je ne vivais plus, j’étais d’une inquiétude ! Connaissant l’exaltation de cette bonne ville et l’humeur belliqueuse de ses habitants, je me disais : « Qui sait ce qu’a fait Tarascon ? S’est-il rué en masse sur les barbares ? S’est-il laissé bombarder comme Strasbourg, mourir de faim comme Paris, brûler vif comme Châteaudun ? ou bien, dans un accès de patriotisme farouche, s’est-il fait sauter comme Laon et son intrépide citadelle ?... » Rien de tout cela, mes amis. Tarascon n’a pas brûlé, Tarascon n’a pas sauté. Tarascon est toujours à la même place, paisiblement, assis au milieu des vignes, du bon soleil plein ses rues, du bon muscat plein ses caves, et le Rhône qui baigne cette aimable localité emporte à la mer, comme par le passé, l’image d’une ville heureuse, des reflets de persiennes vertes, de jardins bien ratissés et de miliciens en tuniques neuves faisant l’exercice tout le long du quai.

Gardez-vous de croire pourtant que Tarascon n’ait rien fait pendant la guerre. Il s’est, au contraire, admirablement conduit, et sa résistance héroïque, que je vais essayer de vous raconter, aura sa place dans l’histoire comme type de résistance locale, symbole vivant de la défense du Midi.

 

 

Les orphéons

 

Je vous dirai donc que, jusqu’à Sedan, nos braves Tarasconais s’étaient tenus chez eux bien tranquilles. Pour ces fiers enfants des Alpilles, ce n’était pas la patrie qui mourait là-haut : c’étaient les soldats de l’empereur, c’était l’Empire. Mais une fois le 4 septembre, la République, Attila campé sous Paris, alors oui ! Tarascon se réveilla et l’on vit ce que c’est qu’une guerre nationale... Cela commença naturellement par une manifestation d’orphéonistes. vous savez quelle rage de musique ils ont dans le Midi. À Tarascon surtout, c’est du délire. Dans les rues, quand vous passez, toutes les fenêtres chantent, tous les balcons vous secouent des romances sur la tête.

N’importe la boutique où vous entrez, il y a toujours au comptoir une guitare qui soupire, et les garçons de pharmacie eux-mêmes vous servent en fredonnant : Le Rossignol – et le Luth espagnol – Tralala – lalalala. En dehors de ces concerts privés, les Tarasconais ont encore la fanfare de la ville, la fanfare du collège et je ne sais combien de sociétés d’orphéons.

C’est l’orphéon de Saint-Christophe et son admirable chœur à trois voix : Sauvons la France, qui donnèrent le branle au mouvement national.

« Oui, oui, sauvons la France ! » criait le bon Tarascon, en agitant des mouchoirs aux fenêtres. Et les hommes battaient des mains, et les femmes envoyaient des baisers à l’harmonieuse phalange qui traversait le cours sur quatre rangs de profondeur, bannière en tête et marquant fièrement le pas.

L’élan était donné. À partir de ce jour, la ville changea d’aspect : plus de guitare, plus de barcarolle. Partout le Luth espagnol fit place à la Marseillaise, et, deux fois par semaine, on s’étouffait sur l’Esplanade pour entendre la fanfare du collège jouer le Chant du départ. Les chaises coûtaient des prix fous !

Mais les Tarasconais ne s’en tinrent pas là.

 

 

Les cavalcades

 

Après la démonstration des orphéons, vinrent les cavalcades historiques au bénéfice des blessés. Rien de gracieux comme de voir, par un dimanche de beau soleil, toute cette vaillante jeunesse tarasconaise, en bottes molles et collant de couleur tendre, quêter de porte en porte et caracoler sous les balcons avec de grandes hallebardes et des filets à papillons ; mais le plus beau de tout, ce fut un carrousel patriotique – François Ier à la bataille de Pavie – que ces messieurs du cercle donnèrent trois jours de suite sur l’Esplanade. Qui n’a pas vu cela n’a jamais rien vu. Le théâtre de Marseille avait prêté les costumes ; l’or, la soie, le velours, les étendards brodés, les écus d’armes, les cimiers, les caparaçons, les rubans, les nœuds, les bouffettes, les fers de lance, les cuirasses faisaient flamber et papilloter l’Esplanade comme un miroir aux alouettes.