Contes merveilleux - Tome I

Contes merveilleux - Tome I
Hans Christian Andersen
Publication: 1875
Catégorie(s): Fiction, Fantasy, Contes de Fée, Folklore
& Mythologie, Nouvelles, Jeunesse
Source: http://www.ebooksgratuits.com
A Propos Andersen:
Hans Christian Andersen (April 2, 1805 – August 4, 1875) was a
Danish author and poet, most famous for his fairy tales. Among his
best-known stories are "The Steadfast Tin Soldier", "The Snow
Queen", "The Little Mermaid", "Thumbelina", "The Little Match
Girl", "The Ugly Duckling" and "The Red Shoes". During Andersen's
lifetime he was feted by royalty and acclaimed for having brought
great enjoyment to a whole generation of children throughout
Europe. His fairy tales have been translated into more than 150
languages and they continue to be published in millions of copies
all over the world. His fairy tales have inspired the creation of
numerous films, theater plays, ballets and film animations.
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Andersen:
Contes merveilleux
- Tome II (1875)
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Chapitre 1
L’aiguille à repriser
Il y avait un jour une aiguille à
repriser : elle se trouvait elle-même si fine qu’elle
s’imaginait être une aiguille à coudre.
« Maintenant, faites bien attention, et
tenez-moi bien, dit la grosse aiguille aux doigts qui allaient la
prendre. Ne me laissez pas tomber ; car, si je tombe par
terre, je suis sûre qu’on ne me retrouvera jamais. Je suis si
fine !
– Laisse faire, dirent les doigts, et ils la
saisirent par le corps.
– Regardez un peu ; j’arrive avec ma
suite », dit la grosse aiguille en tirant après elle un long
fil ; mais le fil n’avait point de nœud.
Les doigts dirigèrent l’aiguille vers la
pantoufle de la cuisinière : le cuir en était déchiré dans la
partie supérieure, et il fallait le raccommoder.
« Quel travail grossier ! dit
l’aiguille ; jamais je ne pourrai traverser : je me
brise, je me brise ». Et en effet elle se brisa. »Ne
l’ai-je pas dit ? s’écria-t-elle ; je suis trop fine.
– Elle ne vaut plus rien maintenant »,
dirent les doigts. Pourtant ils la tenaient toujours. La cuisinière
lui fit une tête de cire, et s’en servit pour attacher son
fichu.
« Me voilà devenue broche ! dit
l’aiguille. Je savais bien que j’arriverais à de grands honneurs.
Lorsqu’on est quelque chose, on ne peut manquer de devenir quelque
chose. »
Et elle se donnait un air aussi fier que le
cocher d’un carrosse d’apparat, et elle regardait de tous
côtés.
« Oserai-je vous demander si vous êtes
d’or ? dit l’épingle sa voisine. Vous avez un bel extérieur et
une tête extraordinaire ! Seulement, elle est un peu trop
petite ; faites des efforts pour qu’elle devienne plus grosse,
afin de n’avoir pas plus besoin de cire que les autres. »
Et là-dessus notre orgueilleuse se roidit et
redressa si fort la tête, qu’elle tomba du fichu dans l’évier que
la cuisinière était en train de laver.
« Je vais donc voyager, dit
l’aiguille ; pourvu que je ne me perde pas ! »
Elle se perdit en effet.
« Je suis trop fine pour ce
monde-là ! dit-elle pendant qu’elle gisait sur l’évier. Mais
je sais ce que je suis, et c’est toujours une petite
satisfaction. »
Et elle conservait son maintien fier et toute
sa bonne humeur.
Et une foule de choses passèrent au-dessus
d’elle en nageant, des brins de bois, des pailles et des morceaux
de vieilles gazettes.
« Regardez un peu comme tout ça
nage ! dit-elle. Ils ne savent pas seulement ce qui se trouve
par hasard au-dessous d’eux : c’est moi pourtant ! Voilà
un brin de bois qui passe ; il ne pense à rien au monde qu’à
lui-même, à un brin de bois !… Tiens, voilà une paille qui
voyage ! Comme elle tourne, comme elle s’agite ! Ne va
donc pas ainsi sans faire attention ; tu pourrais te cogner
contre une pierre. Et ce morceau de journal ! Comme il se
pavane ! Cependant il y a longtemps qu’on a oublié ce qu’il
disait. Moi seule je reste patiente et tranquille ; je sais ma
valeur et je la garderai toujours. »
Un jour, elle sentit quelque chose à côté
d’elle, quelque chose qui avait un éclat magnifique, et que
l’aiguille prit pour un diamant. C’était un tesson de bouteille.
L’aiguille lui adressa la parole, parce qu’il luisait et se
présentait comme une broche.
« Vous êtes sans doute un
diamant ?
– Quelque chose d’approchant. »
Et alors chacun d’eux fut persuadé que l’autre
était d’un grand prix. Et leur conversation roula principalement
sur l’orgueil qui règne dans le monde.
« J’ai habité une boîte qui appartenait à
une demoiselle, dit l’aiguille. Cette demoiselle était cuisinière.
À chaque main elle avait cinq doigts. Je n’ai jamais rien connu
d’aussi prétentieux et d’aussi fier que ces doigts ; et
cependant ils n’étaient faits que pour me sortir de la boîte et
pour m’y remettre.
– Ces doigts-là étaient-ils nobles de
naissance ? demanda le tesson.
– Nobles ! reprit l’aiguille, non, mais
vaniteux. Ils étaient cinq frères… et tous étaient nés…
doigts ! Ils se tenaient orgueilleusement l’un à côté de
l’autre, quoique de différente longueur. Le plus en dehors, le
pouce, court et épais, restait à l’écart ; comme il n’avait
qu’une articulation, il ne pouvait s’incliner qu’en un seul
endroit ; mais il disait toujours que, si un homme l’avait une
fois perdu, il ne serait plus bon pour le service militaire. Le
second doigt goûtait des confitures et aussi de la moutarde ;
il montrait le soleil et la lune, et c’était lui qui appuyait sur
la plume lorsqu’on voulait écrire. Le troisième regardait
par-dessus les épaules de tous les autres. Le quatrième portait une
ceinture d’or, et le petit dernier ne faisait rien du tout :
aussi en était-il extraordinairement fier. On ne trouvait rien chez
eux que de la forfanterie, et encore de la forfanterie : aussi
je les ai quittés.
À ce moment, on versa de l’eau dans l’évier.
L’eau coula par-dessus les bords et les entraîna.
« Voilà que nous avançons
enfin ! » dit l’aiguille.
Le tesson continua sa route, mais l’aiguille
s’arrêta dans le ruisseau. »Là ! je ne bouge plus ;
je suis trop fine ; mais j’ai bien droit d’en être
fière ! »
Effectivement, elle resta là tout entière à
ses grandes pensées.
« Je finirai par croire que je suis née
d’un rayon de soleil, tant je suis fine ! Il me semble que les
rayons de soleil viennent me chercher jusque dans l’eau. Mais je
suis si fine que ma mère ne peut pas me trouver. Si encore j’avais
l’œil qu’on m’a enlevé, je pourrais pleurer du moins ! Non, je
ne voudrais pas pleurer : ce n’est pas digne de
moi ! »
Un jour, des gamins vinrent fouiller dans le
ruisseau. Ils cherchaient de vieux clous, des liards et autres
richesses semblables. Le travail n’était pas ragoûtant ; mais
que voulez-vous ? Ils y trouvaient leur plaisir, et chacun
prend le sien où il le trouve.
« Oh ! la, la ! s’écria l’un
d’eux en se piquant à l’aiguille.
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