Un
petit apprenti cordonnier courait à une telle allure qu’une de ses
savates vola en l’air et alla frapper le mur près des barreaux au
travers desquels le soldat regardait.
– Hé ! ne te presse pas tant. Rien ne se
passera que je ne sois arrivé. Mais si tu veux courir à l’auberge
où j’habitais et me rapporter mon briquet, je te donnerai quatre
sous. Mais en vitesse.
Le gamin ne demandait pas mieux que de gagner
quatre sous. Il prit ses jambes à son cou, trouva le briquet …
En dehors de la ville, on avait dressé un
gibet autour duquel se tenaient les soldats et des centaines de
milliers de gens. Le roi, la reine étaient assis sur de superbes
trônes et en face d’eux, les juges et tout le conseil.
Déjà le soldat était monté sur l’échelle, mais
comme le bourreau allait lui passer la corde au cou, il demanda la
permission – toujours accordée, dit-il à un condamné à mort avant
de subir sa peine – d’exprimer un désir bien innocent, celui de
fumer une pipe, la dernière en ce monde.
Le roi ne voulut pas le lui refuser et le
soldat se mit à battre son briquet : une fois, deux fois,
trois fois ! et hop ! voilà les trois chiens : celui
qui avait des yeux comme des soucoupes, celui qui avait des yeux
comme des roues de moulin et celui qui avait des yeux grands chacun
comme la Tour Ronde de Copenhague.
– Empêchez-moi maintenant d’être pendu !
leur cria le soldat.
Alors les chiens sautèrent sur les juges et
sur tous les membres du conseil, les prirent dans leur gueule, l’un
par les jambes, l’autre par le nez, les lancèrent en l’air si haut
qu’en tombant, ils se brisaient en mille morceaux.
– Je ne tolérerai pas … commença le roi.
Mais le plus grand chien le saisit ainsi que
la reine et les lança en l’air à leur tour.
Les soldats en étaient épouvantés et la foule
cria :
– Petit soldat, tu seras notre roi et tu
épouseras notre délicieuse princesse. On fit monter le soldat dans
le carrosse royal et les trois chiens gambadaient devant en criant
« bravo ». Les jeunes gens sifflaient dans leurs doigts,
les soldats présentaient les armes.
La princesse fut tirée de son château aux
toits de cuivre et elle devint reine, ce qui lui plaisait
beaucoup.
La noce dura huit jours, les chiens étaient à
table et roulaient de très grands yeux.
Chapitre 9
Ce que le Père fait est bien fait
Cette histoire, je l’ai entendue dans mon
enfance. Chaque fois que j’y pense, je la trouve plus intéressante.
Il en est des histoires comme de bien des gens : avec l’âge,
ils attirent de plus en plus l’attention. Vous avez certainement
été déjà à la campagne, et vous avez vu de vieilles maisons de
paysans.
Sur le toit de chaume, il y a des mauvaises
herbes, de la mousse et un nid de cigognes. Ce sont les cigognes
surtout qui ne doivent pas manquer. Les murs penchent, les fenêtres
sont basses et une seule peut s’ouvrir. Le four ressemble à un
ventre rebondi, les branches d’un sureau tombent sur une haie, et
le sureau se trouve à une mare où nagent des canards. Il y a encore
là un chien à l’attache, qui aboie après tout le monde, sans
distinction.
Dans une de ces maisons de paysans habitaient
deux vieilles gens, un paysan et sa femme. Ils n’avaient presque
rien, et pourtant ils se trouvaient avoir quelque chose de trop, un
cheval, qu’ils laissaient paître dans le fossé près de la
grand-route. Le paysan l’enfourchait pour aller à la ville, et de
temps en temps le prêtait à des voisins qui, en retour, lui
rendaient quelques services.
Mais les vieux pensaient qu’il serait meilleur
pour eux de vendre le cheval ou de l’échanger contre quelque objet
plus utile. Mais contre quoi ?
– Fais pour le mieux, mon vieux, disait la
femme. Il y a une foire à la ville. Vas-y et vends le cheval, ou
fais un échange ; ce que tu feras sera bien fait.
Là-dessus, elle lui fit un beau nœud au
mouchoir qu’il avait autour du cou, bien mieux que lui-même n’eût
su le faire. Puis elle lissa son chapeau avec la main pour que la
poussière s’y attachât moins et l’embrassa. Le voilà parti sur son
cheval, pour le vendre ou l’échanger.
– Oui, oui, le vieux s’y entend, murmurait la
vieille mère.
Le soleil brillait dans un ciel sans nuage. Il
y avait beaucoup de poussière sur la route, car il passait beaucoup
de gens qui se rendaient au marché en voiture, à cheval ou à pied.
Nulle ombre sur le chemin. Parmi ceux qui marchaient à pied, il y
avait un homme qui poussait devant lui une vache. Le vieux
pensait :
– Elle doit donner du bon lait ! Cheval
contre vache, ce serait un bon échange.
– Écoute, l’homme à la vache. Je veux te
proposer quelque chose. Un cheval est plus dur qu’une vache,
n’est-ce pas ? Mais cela ne me fait rien, car une vache me
serait plus utile. Veux-tu que nous troquions ?
– Avec plaisir, dit l’homme à la vache.
Et ils firent l’échange. Quand ce fut fait, le
paysan eût pu revenir, puisqu’il avait obtenu ce qu’il voulait.
Mais, comme il était parti pour aller au marché, il voulut s’y
rendre, ne fût-ce que pour y jeter un coup d’œil. Il poussa donc sa
vache devant lui. Il marchait très vite.
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