Peu de temps après il vit
un homme tenant un mouton par une corde. C’était un mouton bien
gras.
– Il ferait rudement mon affaire, pensa notre
homme. Nous aurions bien assez de nourriture pour lui sur le bord
du fossé, et en hiver nous pourrions le garder dans notre chambre.
Au fond, un mouton vaudrait mieux pour nous qu’une vache.
Veux-tu troquer avec moi ?
demanda-t-il.
– Parfaitement, dit l’autre.
On troqua donc et notre paysan continua sa
route avec son mouton. Tout à coup il vit, dans un petit sentier,
un homme portant une grosse oie sous le bras.
– Diable ! voilà une fameuse oie !
S’écria-t-il. Elle a beaucoup de plumes et est bien grasse. Ça
ferait bien l’affaire de la mère ! Elle pourrait lui donner
nos restes, car elle dit souvent : « Tiens ! si nous
avions une oie pour manger ça ! » Veux-tu changer ton oie
pour mon mouton ?
L’autre ne demanda pas mieux. Notre paysan
prit donc son oie.
Il était alors tout près de la ville. Il y
avait foule sur la grand route. Le champ de foire était plein de
gens et d’animaux ; on se pressait tellement que des gens
passaient dans les champs de pommes de terre à côté.
Il y avait là une poule attachée par les
pattes. Elle manquait d’être écrasée à chaque instant. C’était une
très belle poule, avec des plumes très courtes sur la queue. Elle
clignait des yeux et faisait : Glouk ! glouk ! Je ne
puis vous dire ce qu’elle voulait dire par là, mais le paysan
s’écria :
– Jamais je n’ai vu si belle poule. Elle est
plus belle même que la poule du pharmacien ! Je serais heureux
de l’avoir. Une poule trouve toujours à se nourrir sans qu’on
s’occupe d’elle. Ce serait un bon échange.
– Voulez-vous changer votre poule pour mon
oie ? demanda-t-il au receveur de l’octroi, à qui appartenait
la poule.
– Comment donc ! dit l’autre. Le paysan
prit la poule, et le receveur prit l’oie. Notre homme avait bien
employé son temps. Il avait chaud et se sentait fatigué. Un verre
d’eau-de-vie et un peu de pain lui étaient bien dus. Justement il
était devant une auberge. Il entra.
Mais au même moment arriva un garçon portant
un sac plein sur le dos.
– Qu’as-tu là-dedans ? demanda notre
paysan.
– Des pommes gâtées, dit l’autre ; tout
un sac, pour les cochons.
– Tout un sac plein de pommes ? Quelle
richesse ! Voilà ce que je voudrais bien apporter à ma femme.
L’an dernier, nous n’avons eu qu’une pomme sur notre vieux
pommier ; nous l’avons laissée sur notre commode jusqu’à ce
qu’elle pourrît. » Cela prouve qu’on est à son aise »,
disait la mère. Mais, cette fois, je pourrais lui montrer quelque
chose de mieux.
– Que m’en donnerais-tu ? dit le
garçon.
– Donne, dit le paysan. Je change ma poule
pour ton sac.
L’échange fait, ils entrèrent à l’auberge. Là
notre homme mit son sac près du four qui était brûlant. L’hôtesse
n’y prit pas garde.
Dans la salle il y avait beaucoup de
gens : des maquignons, des marchands de bœufs, pas mal de gens
de la campagne, quelques ouvriers qui jouaient entre eux dans un
coin et enfin à un bout de la table, deux Anglais moitié touristes,
moitié marchands, et qui étaient venus à la ville pour voir si
quelque occasion ne se présenterait pas de trouver une bonne
affaire. N’ayant rien rencontré, ils étaient attablés et
regardaient avec indifférence le reste de la salle. On sait que les
Anglais sont presque toujours si riches que leurs poches sont
bondées d’or. De plus ils aiment à parier, à propos de n’importe
quoi, rien que pour se créer une émotion passagère qui les change
un instant de leur froideur continuelle.
Or, voici ce qui arriva :
– Psiii, psiii ! entendirent-ils près du
four.
– Qu’est-ce ? demandèrent-ils.
Le paysan leur conta l’histoire du cheval
échangé contre une vache et ainsi de suite jusqu’aux pommes.
– Tu vas être battu à ton retour, dirent les
Anglais. Tu peux t’y attendre.
– Battu ? Non, non ! J’aurai un
baiser et l’on me dira : « Ce que le père fait est
toujours bien fait. »
– Nous parierions bien un boisseau d’or que tu
te trompes ; cent livres, si tu veux.
– Un boisseau me suffit, dit le paysan. Mais
moi, je ne puis parier qu’un boisseau de pommes, et je l’emplirai
jusqu’au bord.
– Allons, topons-là ! cent livres contre
un boisseau de pommes.
Et le pari fut fait.
La carriole de l’aubergiste fut commandée, et
tous les trois y montèrent avec le sac de pommes.
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