J’avais deux filles et bien du mal à pourvoir à leurs
besoins alors le Bon Dieu a partagé avec moi, il en a pris une
auprès de lui et maintenant ‘e voudrais bien conserver l’autre,
mais il ne veut peut-être pas qu’elles restent séparées, alors
celle-ci va sans doute monter auprès de sa sœur.
Cependant la petite fille malade restait là,
elle restait couchée, patiente et silencieuse tout le jour tandis
que sa mère était dehors pour gagner un peu d’argent.
Un matin de bonne heure, au printemps, au
moment où la mère allait partir à son travail, le soleil brillait
gaiement à la petite fenêtre et sur le parquet, la petite fille
malade regardait la vitre d’en bas.
– Qu’est-ce donc que cette verdure qui pointe
vers le carreau ? Ça remue au vent.
La mère alla vers la fenêtre et
l’entrouvrit.
– Tiens, dit-elle, c’est un petit pois qui a
poussé là avec ses feuilles vertes. Comment est-il arrivé dans
cette fente ? Te voilà avec un petit jardin à regarder.
Le lit de la malade fut traîné plus près de la
fenêtre pour qu’elle puisse voir le petit pois qui germait et la
mère partit à son travail.
– Maman, je crois que je vais guérir, dit la
petite fille le soir à sa mère. Le petit pois vient si bien, et moi
je vais sans doute me porter bien aussi, me lever et sortir au
soleil.
– Je le voudrais bien, dit la mère, mais elle
ne le croyait pas.
Cependant, elle mit un petit tuteur près du
germe qui avait donné de joyeuses pensées à son enfant afin qu’il
ne soit pas brisé par le vent et elle attacha une ficelle à la
planche d’un côté et en haut du chambranle de la fenêtre de
l’autre, pour que la tige eût un support pour s’appuyer et
s’enrouler à mesure qu’elle pousserait. Et c’est ce qu’elle fit, on
la voyait s’allonger tous les jours.
– Non, voilà qu’elle fleurit ! s’écria la
femme un matin.
Et elle-même se prit à espérer et même à
croire que sa petite fille malade allait guérir. Il lui vint à
l’esprit que dans les derniers temps la petite lui avait parlé avec
plus d’animation, que ces derniers matins elle s’était assise dans
son lit et avait regardé, les yeux rayonnants de plaisir, son petit
potager d’un seul pois. La semaine suivante, elle put lever la
malade pour la première fois et pendant plus d’une heure.
Elle était assise au soleil, la fenêtre
ouverte, et là, dehors, une fleur de pois rose était éclose.
La petite fille pencha sa tête en avant et
posa un baiser tout doucement sur les fins pétales. Ce jour-là, fut
un jour de fête.
– C’est le Bon Dieu qui a lui-même planté ce
pois et l’a fait pousser afin de te donner de l’espoir et de la
joie, mon enfant bénie. Et à moi aussi, dit la mère tout
heureuse.
Elle sourit à la fleur comme à un ange de
Dieu.
Mais les autres pois ? direz-vous, oui,
ceux qui se sont envolés dans le vaste monde.
« Attrape-moi si tu peux » est tombé
dans la gouttière et de là dans le jabot d’un pigeon, comme Jonas
dans la baleine. Les deux paresseux arrivèrent aussi loin
puisqu’ils furent aussi mangés par un pigeon, ils se rendirent donc
bien utiles. Mais le quatrième qui voulait monter jusqu’au soleil,
il tomba dans le ruisseau et il resta là des jours et des semaines
dans l’eau rance où il gonfla terriblement.
– Je deviens gros délicieusement, disait-il.
J’en éclaterai et je crois qu’aucun pois ne peut aller, ou n’ira
jamais plus loin. je suis le plus remarquable des cinq de la
cosse.
Le ruisseau lui donna raison. Là-haut, à la
fenêtre sous le toit, la petite fille les yeux brillants la rose de
la santé aux joues, joignait les mains au-dessus de la fleur de
pois et remerciait Dieu.
Moi, je tiens pour mon pois, disait cependant
le ruisseau.
Chapitre 13
La cloche
Le soir, dans les rues étroites de la grande
ville, vers le faubourg, lorsque le soleil se couchait et que les
nuages apparaissaient comme un fond d’or sur les cheminées noires,
tantôt l’un, tantôt l’autre entendait un son étrange, comme l’écho
lointain d’une cloche d’église ; mais le son ne durait qu’un
instant : le bruit des passants, des voitures, des charrettes
l’étouffait aussitôt. Un peu hors de la ville, là où les maisons
sont plus écartées les unes des autres et où il y a moins de
mouvement, on voyait beaucoup mieux le beau ciel enflammé par les
rayons du soleil couchant, et on percevait bien le son de la
cloche, qui semblait provenir de la vaste forêt qui s’étendait au
loin. C’est de ce côté que les gens tendaient l’oreille ; ils
se sentaient pris d’un doux sentiment de religieuse piété. On finit
par se demander l’un à l’autre : « Il y a donc une église
au fond de la forêt ? Quel son sublime elle a, cette
cloche ! N’irons-nous pas l’entendre de plus
près ? » Et, un beau jour, on se mit en route : les
gens riches en voiture, les pauvres à pied ; mais, aux uns
comme aux autres, le chemin parut étonnamment long, et lorsque,
arrivés à la lisière du bois, ils aperçurent un talus tapissé
d’herbe et de mousse et planté de beaux saules, ils s’y
précipitèrent et s’y étendirent à leur aise. Un pâtissier de la
ville avait élevé là une tente ; on se régala chez lui ;
mais le monde affluait surtout chez un pâtissier rival qui
au-dessus de sa boutique, avait placé une belle cloche qui faisait
un vacarme du diable. Après avoir bien mangé et s’être reposée, la
bande reprit le chemin de la ville ; tous étaient enchanté de
leur journée et disaient que cela avait été for romantique. Trois
personnages graves, des savants de mérite, prétendirent avoir
exploré la forêt dans tous les sens, et racontaient qu’ils avaient
fort bien entendu le son de la cloche, mais qu’il leur avait semblé
provenir de la ville. L’un d’eux, qui avait du talent pour la
poésie, fit une pièce habilement rimée, où il comparait la mélodie
de la cloche au doux chant d’une mère qui berce son enfant. La
chose fut imprimée et tomba sous les yeux du roi. Sa Majesté se fit
mettre au fait et déclama alors que celui qui découvrirait d’où
venait ce son recevrait le titre de sonneur du roi et de la cour,
et cela même si le son n’était pas produit par une cloche. Une
bonne pension serait assurée à cette nouvelle dignité. Alléchés par
cette perspective, bien des gens se risquèrent dans la forêt
sauvage ; il n’y en eut qu’un seul qui en rapporta une manière
d’explication du phénomène. Il ne s’était guère avancé plus loin
que les autres ; mais, d’après son récit, il avait aperçu
niché dans le tronc d’un grand arbre un hibou, qui, de temps en
temps, cognait l’écorce pour attraper des araignées ou d’autres
insectes qu’il mangeait pour son dessert. C’est là, pensait il, ce
qui produisait le bruit, à moins que ce ne fût le cri de l’oiseau
de Minerve, répercuté dans le tronc creux. On loua beaucoup la
sagacité du courageux explorateur ; il reçut le titre de
sonneur du roi et de la cour, avec la pension. Tous les ans, il
publia depuis, sur beau papier, une dissertation pour faire valoir
sa découverte, et tout était pour le mieux. Survint le grand jour
de la confirmation. Le sermon du pasteur fut plein d’onction et de
sentiment ; tous ces jeunes adolescents en furent vivement
émus ; ils avaient compris qu’ils venaient de sortir de
l’enfance et qu’ils devaient commencer à penser aux devoirs sérieux
de la vie. Il faisait un temps délicieux ; le soleil
resplendissait ; aussi, tous ensemble, ils allèrent se
promener du côté de la forêt.
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