Voilà que le son de la cloche retentit plus fort, plus mélodieux que jamais ; entraînés par un puissant charme, ils décident de s’en rapprocher le plus possible. » Assurément, ce n’est pas un hibou, se dirent ils, qui fait ce bruit. » Trois d’entre eux, cependant, rebroussèrent chemin. D’abord une jeune fille évaporée, qui attendait à la maison la couturière et devait essayer la robe qu’elle aurait à mettre au prochain bal, le premier où elle devait paraître de sa vie. » Impossible, dit elle, de négliger une affaire si importante. » Puis, ce fut un pauvre garçon qui avait emprunté son habit de cérémonie et ses bottines vernies au fils de son patron ; il avait promis de rendre le tout avant le soir, et, en tout cas, il ne voulait pas aventurer au milieu des broussailles la propriété d’autrui. Le troisième qui rentra en ville, c’était un garçon qui déclara qu’il n’allait jamais au loin sans ses parents, et que les bienséances le commandaient ainsi. On se mit à sourire ; il prétendit que c’était fort déplacé ; alors, les autres rirent aux éclats ; mais il ne s’en retourna pas moins, très fier de sa belle et sage conduite. Les autres trottinèrent en avant et s’engagèrent sur la grande route plantée de tilleuls. Le soleil pénétrait en rayons dorés à travers le feuillage ; les oiseaux entonnaient un joyeux concert et toute la bande chantait en chœur avec eux, se tenant par la main, riches et pauvres, roturiers et nobles ; ils étaient encore jeunes et ne regardaient pas trop à la distinction des rangs ; du reste, ce jour là, ne s’étaient-ils pas sentis tous égaux devant Dieu ? Mais bientôt, deux parmi les plus petits se dirent fatigués et retournèrent en arrière ; puis, trois jeunes filles s’abattirent sur un champ de bleuets et de coquelicots, S’amusèrent à tresser des couronnes et ne pensèrent plus à la cloche. Lorsqu’on fut sur le talus planté de saules, on se débanda et, par groupes, ils allèrent s’attabler chez les pâtissiers. » Oh ! qu’il fait charmant ici ! disaient la plupart. Restons assis et reposons-nous. La cloche, il est probable qu’elle n’existe pas, et que tout cela n’est que fantasmagorie. » Voilà qu’au même instant le son retentit au fond de la forêt, si plein, si majestueux et solennel, que tous en furent saisis. Cependant il n’y en eut que cinq, tous des garçons, qui résolurent de tenter l’aventure et de s’engager sous bois. C’est aussi qu’il était difficile d’y pénétrer : les arbres étaient serrés, entremêlés de ronces et de hautes fougères ; de longues guirlandes de liserons arrêtaient encore la marche ; il y avait aussi des cailloux pointus, et de gros quartiers de roches, et des marécages. Ils avançaient péniblement, lorsque toute une nichée de rossignols fit entendre un ravissant concert ; ils marchent dans cette direction et arrivent à une charmante clairière, tapissée de mousses de toutes nuances, de muguets, d’orchidées et autres jolies fleurs ; au milieu, une source fraîche et abondante sortait d’un rocher ; son murmure faisait comme : « Glouk ! glouk ! » « Ne serait-ce pas là la fameuse cloche ? dit l’un d’eux, en mettant son oreille contre terre pour mieux entendre. Je m’en vais rester pour tirer la chose au clair. » Un second lui tint compagnie pour qu’il n’eût pas seul l’honneur de la découverte. Les trois autres reprirent leur marche en avant. Ils atteignirent un amour de petite hutte, construite en écorce et couverte d’herbes et de branchages ; le toit était abrité par la couronne d’un pommier sauvage, tout chargé de fleurs roses et blanches ; au-dessus de la porte était suspendue une clochette. » Voilà donc le mystère ! » s’écria l’un d’eux, et l’autre l’approuva aussitôt. Mais le troisième déclara que cette cloche n’était pas assez grande pour être entendue de si loin et pour produire des sons qui remuaient tous les cœurs ; que ce n’était là qu’un joujou. Celui qui disait cela, c’était le fils d’un roi ; les deux autres se dirent que les princes voulaient toujours tout mieux savoir que le reste du monde ; ils gardèrent leur idée, et s’assirent pour attendre que le vent agitât la petite cloche. Lui s’en fut tout seul, mais il était plein de courage et d’espoir ; sa poitrine se gonflait sous l’impression de la solitude solennelle où il se trouvait. De loin, il entendit le gentil carillon de la clochette, et le vent lui apportait aussi parfois le son de la cloche du pâtissier. Mais la vraie cloche, celle qu’il cherchait, résonnait tout autrement ; par moments, il l’entendait sur la gauche, « du côté du cœur », se dit-il ; maintenant qu’il approchait, cela faisait l’effet de tout un jeu d’orgue. Voilà qu’un bruit se fait entendre dans les broussailles-, et il en sort un jeune garçon en sabots et portant une jaquette trop petite pour sa taille, et qui laissait bien voir quelles grosses mains il avait. Ils se reconnurent ; c’était celui des nouveaux confirmés qui avait dû rentrer à la maison, pour remettre au fils de son patron le bel habit et les bottines vernies qu’on lui avait prêtés. Mais, son devoir accompli, il avait endossé ses pauvres vêtements, mis ses sabots, et il était reparti, à la hâte, à la recherche de la cloche, qui avait si délicieusement fait vibrer son cœur. » C’est charmant, dit le fils du roi ; nous allons Marcher ensemble à la découverte. Dirigeons-nous Par la gauche. » Le pauvre garçon était tout honteux de sa chaussure et des manches trop courtes de sa jaquette.

– « Avec ces sabots, dit-il, je ne pourrais vous suivre assez vite. Et, de plus, il me semble que la cloche doit être à droite ; n’est-ce pas là la place réservée à tout ce qui est magnifique et excellent ?

– Je crains bien qu’alors nous ne nous rencontrions plus », dit le fils du roi, et il fit un gracieux signe d’adieu au pauvre garçon qui s’enfonça au plus épais de la forêt, où les épines écorchèrent son visage et déchirèrent sa jaquette, à laquelle il tenait quelque minable qu’elle fût, parce qu’il n’en avait point d’autre. Le fils du roi rencontra aussi bien des obstacles ; il fit quelques chutes et eut les mains en sang ; mais il était brave. » J’irai jusqu’au bout du monde, s’il le faut, se dit-il ; mais je trouverai la cloche. » Tout à coup, il aperçut juchés dans les arbres une bande de vilains singes qui lui firent d’affreuses grimaces et l’assourdirent de leurs cris discordants. » Battons-le, rossons-le, se disaient-ils ; c’est un fils de roi, mais il est seul. » Lui s’avançait toujours, et ils n’osèrent pas l’attaquer. Bientôt il fut récompensé de ses peines. Il arriva sur une hauteur d’où il aperçut un merveilleux spectacle. D’un côté, les plus belles pelouses vertes où s’ébattaient des cerfs et des daims ; de place en place, de vastes touffes de lis, d’une blancheur éclatante, et de tulipes rouges, bleues et or ; au milieu, des boules de neige et autres arbustes dont les fleurs aux mille couleurs brillaient au soleil comme des bulles de savon ; tout autour, des chênes et des hêtres séculaires s’étendaient en cercle ; dans le fond, un grand lac sur lequel nageaient avec majesté les plus beaux cygnes. Le fils du roi s’était arrêté et restait en extase ; il entendit de nouveau la cloche ; elle ne paraissait pas bien éloignée. Il crut d’abord qu’elle était près du lac, il écouta avec attention ; non, le son ne venait pas de là. Le soleil approchait de son déclin ; le ciel était tout rouge, comme enflammé ; un grand silence se fit.