Le fils du roi se mit à genoux et dit sa
prière du soir. » Oh ! Dieu, dit-il, ne me ferez-vous pas
trouver ce que je cherche avec tant d’ardeur ? Voilà la nuit,
la sombre nuit. Mais je vois là-bas un rocher élevé, qui dépasse
les cimes des arbres les plus hauts. Je vais y monter ;
peut-être, avant que le soleil disparaisse de l’horizon,
atteindrai-je le but de mes efforts. » Et, s’accrochant aux
racines, aux branches, aux angles des roches, au milieu des
couleuvres, des crapauds et autres vilaines bêtes, il grimpa et il
arriva au sommet, haletant, épuisé. Quelle splendeur se découvrit à
ses yeux ! La mer, la mer immense et magnifique s’étendait à
perte de vue, roulant ses longues vagues contre la falaise. À
l’horizon, le soleil, pareil à un globe de feu, couvrait de flammes
rouges le ciel qui semblait s’étendre comme une vaste coupole sur
ce sanctuaire de la nature ; les arbres de la forêt en étaient
les piliers ; les pelouses fleuries formaient comme un riche
tapis couvrant le chœur. Le soleil disparut lentement ; des
millions de lumières étincelèrent bientôt au firmament, la lune
parut, et le spectacle était toujours grandiose et émouvant. Le
fils du roi s’agenouilla et adora le créateur de ces merveilles.
Voilà que sur la droite, apparaît le pauvre garçon aux
sabots ; lui aussi, à sa façon, il avait trouvé le chemin du
temple. Tous deux, ils se saisirent par la main et restèrent perdus
dans l’admiration de toute cette poésie enivrante. Et, de toutes
parts, ils se sentaient entourés des sons de la cloche
divine ; c’étaient les bruits des vagues, des arbres, du
vent ; c’était le mouvement qui animait cette nature simple et
grandiose. Au-dessus d’eux, ils croyaient entendre les alléluias
des anges du ciel.
Chapitre 14
Le compagnon de route
Le pauvre Johannès était très triste, son père
était très malade et rien ne pouvait le sauver. Ils étaient seuls
tous les deux dans la petite chambre, la lampe, sur la table,
allait s’éteindre, il était tard dans la soirée.
– Tu as été un bon fils ! dit le malade,
Notre-Seigneur t’aidera sûrement à faire ta vie.
Il le regarda de ses yeux graves et doux,
respira profondément et mourut : on aurait dit qu’il dormait.
Mais Johannès pleurait, il n’avait plus personne au monde
maintenant, ni père, ni mère, ni sœur, ni frère. Pauvre
Johannès ! Agenouillé près du lit, il baisait la main de son
père, pleurait encore amèrement mais à la fin ses yeux se fermèrent
et il s’endormit la tête contre le dur bois du lit.
Alors il fit un rêve étrange, il voyait le
soleil et la lune s’incliner devant lui et il voyait son père,
frais et plein de santé, il l’entendait rire comme il avait
toujours ri quand il était de très bonne humeur. Une ravissante
jeune fille portant une couronne sur ses beaux cheveux longs lui
tendait la main et son père lui disait :
– Tu vois, Johannès, voici ta fiancée, elle
est la plus charmante du monde.
Il s’éveilla et toutes ces beautés avaient
disparu, son père gisait mort et glacé dans le lit, personne
n’était auprès d’eux, pauvre Johannès !
La semaine suivante le père fut enterré.
Johannès suivait le cercueil, il ne pourrait plus jamais voir ce
bon père qui l’aimait tant, il entendait les pelletées de terre
tomber sur la bière dont il n’apercevait plus qu’un dernier coin, à
la pelletée suivante elle avait entièrement disparu, il lui sembla
que son cœur allait se briser tant il avait de chagrin. Autour de
lui on chantait un cantique si beau que les yeux de Johannès se
mouillèrent encore de larmes. Il pleura et cela lui fit du bien. Le
soleil brillait sur les arbres verdoyants comme s’il voulait lui
dire :
– Ne sois pas si triste, Johannès, vois comme
le ciel bleu est beau, c’est là-haut qu’est ton père et il prie le
Bon Dieu que tout aille toujours bien pour toi.
« Je serai toujours bon ! pensa
Johannès, afin de monter au ciel auprès de mon père, quelle joie ce
sera de nous revoir.
Johannès se représentait cette félicité si
nettement qu’il en souriait.
Dans les marronniers les oiseaux
gazouillaient. Quiqui ! Quiqui ! Ils étaient gais quoique
ayant assisté à l’enterrement parce qu’ils savaient bien que le
mort était maintenant là-haut dans le ciel, qu’il avait des ailes
bien plus belles et plus grandes que les leurs et qu’il était un
bienheureux pour avoir toujours vécu dans le bien – et les petits
oiseaux s’en réjouissaient. Johannès les vit quitter les arbres à
tire-d’aile et s’en aller dans le vaste monde, il eut une grande
envie de s’envoler avec eux. Mais auparavant il tailla une grande
croix de bois pour la placer sur la tombe et quand vers le soir il
l’y apporta, la tombe avait été sablée et plantée de fleurs par des
étrangers qui avaient voulu marquer ainsi leur attachement à son
cher père qui n’était plus.
De bonne heure le lendemain Johannès fit son
petit baluchon, cacha dans sa ceinture tout son héritage – une
cinquantaine de riksdalers et quelques skillings
d’argent – avec cela il voulait parcourir le monde. Mais il se
rendit d’abord au cimetière et devant la tombe de son père récita
son Pater et dit :
– Au revoir, mon père bien-aimé ! Je te
promets d’être toujours un homme de devoir, ainsi tu peux prier le
Bon Dieu que tout aille bien pour moi.
Dans la campagne où marchait Johannès, les
fleurs dressaient leurs têtes fraîches et gracieuses que la brise
caressait. Elles semblaient dire au jeune homme :
– Sois le bienvenu dans la verdure de la
campagne. N’est-ce pas joli, ici ?
Sur la route, Johannès se retourna pour voir
encore une fois la vieille église où, petit enfant, il avait été
baptisé, où chaque dimanche avec son père il avait chanté des
psaumes et alors, tout en haut dans les ajours du clocher, il
aperçut le petit génie de l’église coiffé de son bonnet rouge
pointu. Il s’abritait les yeux du soleil avec son bras replié.
Johannès lui fit un signe d’adieu et le petit génie agita son
bonnet rouge, mit la main sur son cœur et lui envoya de ses doigts
mille baisers.
Johannès, tout en marchant, songeait à ce
qu’il allait voir dans le monde vaste et magnifique. Il ne
connaissait pas les villes qu’il traversait, ni les gens qu’il
rencontrait, il était vraiment parmi des étrangers.
La première nuit, il dut se coucher pour
dormir dans une meule de foin mais il trouva cela charmant, le roi
lui-même n’aurait pu être mieux logé. Le champ avec le ruisseau et
la meule de foin sous le bleu du ciel, n’était-ce pas là une très
jolie chambre à coucher ? Le gazon vert constellé de petites
fleurs rouges et blanches en était le tapis, et comme cuvette il
avait toute l’eau fraîche et cristalline du ruisseau où les roseaux
ondulants lui disaient bonjour et bonsoir. La lune était une grande
veilleuse suspendue dans l’air bleu et qui ne mettait pas le feu
aux rideaux. Johannès pouvait dormir bien tranquille et c’est ce
qu’il fit : il ne s’éveilla qu’au lever du soleil, lorsque les
petits oiseaux tout autour se mirent à chanter :
« Bonjour, bonjour, comment, tu n’es pas encore
levé ! »
Les cloches appelaient à l’église, c’était
dimanche, les gens allaient entendre le prêtre et Johannès y alla
avec eux chanter un cantique et entendre la parole de Dieu. Il se
crut dans sa propre église où il avait été baptisé et avait chanté
avec son père. Au cimetière il y avait tant de tombes, sur
certaines poussaient de mauvaises herbes déjà hautes, il pensa à
celle de son père qui viendrait à leur ressembler maintenant qu’il
n’était plus là pour la sarcler et la garnir de fleurs. Alors il se
baissa, arracha les mauvaises herbes, releva les croix de bois
renversées, remit en place les couronnes que le vent avait fait
tomber, il pensait que quelqu’un ferait cela pour la tombe de son
père.
Devant le cimetière se tenait un vieux
mendiant appuyé sur sa béquille, il lui donna ses petites pièces
d’argent, puis repartit heureux et content.
Vers le soir, le temps devint mauvais,
Johannès se hâtait pour se mettre à l’abri mais bientôt il fit nuit
noire.
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