Contes merveilleux - Tome II

Contes merveilleux - Tome II
Hans Christian Andersen
Publication: 1875
Catégorie(s): Fiction, Fantasy, Contes de Fée, Folklore
& Mythologie, Nouvelles, Jeunesse
Source: http://www.ebooksgratuits.com
A Propos Andersen:
Hans Christian Andersen (April 2, 1805 – August 4, 1875) was a
Danish author and poet, most famous for his fairy tales. Among his
best-known stories are "The Steadfast Tin Soldier", "The Snow
Queen", "The Little Mermaid", "Thumbelina", "The Little Match
Girl", "The Ugly Duckling" and "The Red Shoes". During Andersen's
lifetime he was feted by royalty and acclaimed for having brought
great enjoyment to a whole generation of children throughout
Europe. His fairy tales have been translated into more than 150
languages and they continue to be published in millions of copies
all over the world. His fairy tales have inspired the creation of
numerous films, theater plays, ballets and film animations.
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Andersen:
Contes merveilleux
- Tome I (1875)
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Chapitre 1
L’ombre
Un jour, un savant homme des pays froids
arriva dans une contrée du Sud ; il s’était réjoui d’avance de
pouvoir admirer à son aise les beautés de la nature que développe
dans ces régions un climat fortuné ; mais quelle déception
l’attendait ! Il lui fallut rester toute la journée comme
prisonnier à la maison, fenêtres fermées ; et encore était-on
bien accablé ; personne ne bougeait ; on aurait dit que
tout le monde dormait dans la maison, ou qu’elle était déserte.
Tout le jour, le soleil dardait ses flammes sur la terrasse qui
formait le toit ; l’air était lourd, on se serait cru dans une
fournaise : c’était insupportable.
Le savant homme des pays froids était jeune et
robuste ; mais sous ce soleil torride, son corps se desséchait
et maigrissait à vue d’œil ; son ombre même se rétrécit et
rapetissa, et elle ne reprenait de la vie et de la force que
lorsque le soleil avait disparu. C’était un plaisir alors de voir,
dès qu’on apportait la lumière dans la chambre, cette pauvre ombre
se détirer, et s’étendre le long de la muraille.
Le savant homme à ce moment se sentait aussi
revivre ; il se promenait dans sa chambre pour ranimer ses
jambes engourdies et allait sur son balcon admirer le firmament
étoilé. Sur tous ces balcons, il voyait apparaître des gens qui
venaient respirer l’air frais. La rue aussi commençait à
s’animer ; les bourgeois s’installaient devant leurs
portes ; des milliers de lumières scintillaient de toutes
parts.
Il n’y avait qu’une maison où continuât à
régner un complet silence ; c’était celle en face de la
demeure du savant étranger. Elle n’était pas inhabitée
cependant ; sur le balcon verdissaient et fleurissaient de
belles plantes ; il fallait que quelqu’un les arrosât, le
soleil sans cela les aurait aussitôt desséchées.
La soirée s’avançait ; voilà que la
fenêtre du balcon s’entrouvrit un peu ; la chambre resta
sombre ; de l’intérieur arrivèrent de doux sons d’une musique
que le savant étranger trouva délicieuse, ravissante. Il alla
demander à son propriétaire quelles étaient les personnes qui
demeuraient en face ; le brave homme lui répondit qu’il n’en
savait rien.
Une nuit, le savant étranger s’éveilla ;
il avait, le soir, laissé la fenêtre de son balcon ouverte ;
il regarda de ce côté et il crut apercevoir une lueur
extraordinaire rayonner du balcon de la maison d’en face : les
fleurs paraissaient briller comme de magnifiques flammes de
couleur, et au milieu d’elles se tenait une jeune fille d’une
beauté merveilleuse ; elle semblait un être éthéré, tout de
feu.
Un autre soir, le savant étranger reposait sur
son balcon ; derrière lui, dans la chambre, brûlait une
lumière, et, chose naturelle, il en résultait que son Ombre
apparaissait sur la muraille de la maison d’en face ;
l’étranger remua, l’Ombre bougea également et la voilà qui se
trouve entre les fleurs du balcon d’en face.
– Je crois, dit le savant étranger, que mon
Ombre est en ce moment le seul être vivant de cette mystérieuse
maison. Tiens, la fenêtre du balcon est de nouveau entrouverte. Une
idée ! Si mon Ombre avait assez d’esprit pour entrer voir ce
qui se passe à l’intérieur et venir me le redire … Oui,
continua-t-il, en s’adressant par plaisanterie à l’Ombre, fais-moi
donc le plaisir d’entrer là. Cela te va-t-il ? Et en même
temps, il fit un mouvement de tête que l’Ombre répéta comme si elle
disait : « oui. »
– Eh bien, c’est cela, reprit-il ; mais
ne t’oublie pas et reviens me trouver. À ces mots, il se leva,
rentra dans la chambre et laissa retomber le rideau.
Alors, si quelqu’un s’était trouvé là, il
aurait vu distinctement l’Ombre pénétrer lestement par la fenêtre
d’en face et disparaître dans l’intérieur.
Le lendemain, comme il ne faisait plus si
chaud, le savant étranger sortit. Le ciel était couvert de
nuages ; mais voilà qu’ils se dissipent, le soleil
reparaît.
– Qu’est cela ? s’écrie l’étranger qui
venait de se retourner pour considérer un monument. Mais c’est
affreux ! Comment, je n’ai plus mon Ombre ! Elle m’a pris
au mot ; elle m’a quitté hier soir. Que vais-je
devenir ?
Le soir, il se remit sur son balcon, la
lumière derrière lui ; il se dressa de tout son haut, se
baissa jusque par terre, fit mille contorsions ; puis il
appela hum hum, et pstt, pstt ; l’Ombre ne
reparut pas.
Décidément, ce n’était pas gai. Mais dans les
pays chauds, la végétation est bien puissante ; tout y pousse
et prospère à merveille, et au bout de huit jours, l’étranger
aperçut, à la lueur de sa lampe, un petit filet d’ombre derrière
lui. »Quelle chance ! se dit-il. La racine était
restée. »
La nouvelle ombre grandit assez vite ; au
bout de trois semaines, l’étranger s’enhardit à se montrer de jour
en public, et lorsqu’il repartit pour le Nord, sa patrie, on ne
remarquait plus chez lui rien d’extraordinaire.
De retour dans son pays, le savant homme
écrivit des livres sur les vérités qu’il avait découvertes et sur
ce qu’il avait vu dans ce monde méridional.
Un soir qu’il était dans sa chambre à méditer,
il entend frapper doucement à sa porte. »Entrez ! »
dit-il. Personne ne vint. Alors, il alla ouvrir lui-même la porte,
et devant lui se trouva un homme d’une extrême maigreur ; mais
il était habillé à la dernière mode : ce devait être un
personnage de distinction.
– À qui ai-je l’honneur de parler ? dit
le savant.
– Oui, je le pensais bien, que vous ne me
reconnaîtriez pas, répondit l’autre. Je ne suis pas bien gros, j’ai
cependant maintenant un corps véritable. Vous continuez à ne point
me remettre ? Mais, je suis votre ancienne Ombre. Depuis que
je vous ai quitté, acquis une belle fortune. C’est ce qui me
permettra de me racheter du servage où je me trouve toujours
vis-à-vis de vous.
– Non, permettez que je revienne de ma
surprise, s’écria le savant. Voyons, vous ne vous moquez pas de
moi ?
– Du tout, répondit l’Ombre. Mon histoire
n’est pas de celles qui se passent tous les jours. Lorsque vous
m’avez autorisée à vous quitter, j’en ai profité comme vous le
savez. Cependant, au milieu de mon bonheur, j’ai éprouvé le désir
de vous revoir encore une fois avant votre mort, ainsi que ce pays.
Je sais que vous avez une nouvelle ombre. Ai-je à lui payer quelque
chose parce qu’elle remplit mon service, et à vous combien
devrai-je si je veux me racheter ?
– Comment, c’est vraiment toi ? dit le
savant.
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