Sa peau était douce et pâle et
derrière les longs cils deux yeux fidèles, d’un bleu sombre,
souriaient. C’était la jeune fille du temple …
– C’est toi ! dit le prince, je te
retrouve – toi qui m’as sauvé lorsque je gisais comme mort sur la
grève ! Et il serra dans ses bras sa fiancée rougissante.
Oh ! je suis trop heureux, dit-il à la petite sirène. Voilà
que se réalise ce que je n’eusse jamais osé espérer. Toi qui
m’aimes mieux que tous les autres, tu te réjouiras de mon
bonheur.
La petite sirène lui baisait les mains, mais
elle sentait son cœur se briser. Ne devait-elle pas mourir au matin
qui suivrait les noces ? Mourir et n’être plus qu’écume sur la
mer !
Des hérauts parcouraient les rues à cheval
proclamant les fiançailles. Bientôt toutes les cloches des églises
sonnèrent, sur tous les autels des huiles parfumées brûlaient dans
de précieux vases d’argent, les prêtres balancèrent les encensoirs
et les époux se tendirent la main et reçurent la bénédiction de
l’évêque.
La petite sirène, vêtue de soie et d’or,
tenait la traîne de la mariée mais elle n’entendait pas la musique
sacrée, ses yeux ne voyaient pas la cérémonie sainte, elle pensait
à la nuit de sa mort, à tout ce qu’elle avait perdu en ce
monde.
Le soir même les époux s’embarquèrent aux
salves des canons, sous les drapeaux flottants.
Au milieu du pont, une tente d’or et de
pourpre avait été dressée, garnie de coussins moelleux où les époux
reposeraient dans le calme et la fraîcheur de la nuit.
Les voiles se gonflèrent au vent et le bateau
glissa sans effort et sans presque se balancer sur la mer limpide.
La nuit venue on alluma des lumières de toutes les couleurs et les
marins se mirent à danser.
La petite sirène pensait au soir où, pour la
première fois, elle avait émergé de la mer et avait aperçu le même
faste et la même joie. Elle se jeta dans le tourbillon de la danse,
ondulant comme ondule un cygne pourchassé et tout le monde
l’acclamait et l’admirait : elle n’avait jamais dansé si
divinement. Si des lames aiguës transperçaient ses pieds délicats,
elle ne les sentait même pas, son cœur était meurtri d’une bien
plus grande douleur. Elle savait qu’elle le voyait pour la dernière
fois, lui, pour lequel elle avait abandonné les siens et son foyer,
perdu sa voix exquise et souffert chaque jour d’indicibles
tourments, sans qu’il en eût connaissance. C’était la dernière nuit
où elle respirait le même air que lui, la dernière fois qu’elle
pouvait admirer cette mer profonde, ce ciel plein d’étoiles.
La nuit éternelle, sans pensée et sans rêve,
l’attendait, elle qui n’avait pas d’âme et n’en pouvait
espérer.
Sur le navire tout fut plaisir et réjouissance
jusque bien avant dans la nuit. Elle dansait et riait mais la
pensée de la mort était dans son cœur. Le prince embrassait son
exquise épouse qui caressait les cheveux noirs de son époux, puis
la tenant à son bras il l’amena se reposer sous la tente
splendide.
Alors, tout fut silence et calme sur le
navire. Seul veillait l’homme à la barre. La petite sirène appuya
ses bras sur le bastingage et chercha à l’orient la première lueur
rose de l’aurore, le premier rayon du soleil qui allait la
tuer.
Soudain elle vit ses sœurs apparaître
au-dessus de la mer. Elles étaient pâles comme elle-même, leurs
longs cheveux ne flottaient plus au vent, on les avait coupés.
– Nous les avons sacrifiés chez la sorcière
pour qu’elle nous aide, pour que tu ne meures pas cette nuit. Elle
nous a donné un couteau. Le voici. Regarde comme il est aiguisé …
Avant que le jour ne se lève, il faut que tu le plonges dans le
cœur du prince et lorsque son sang tout chaud tombera sur tes
pieds, ils se réuniront en une queue de poisson et tu redeviendras
sirène. Tu pourras descendre sous l’eau jusque chez nous et vivre
trois cents ans avant de devenir un peu d’écume salée.
Hâte-toi ! L’un de vous deux doit mourir avant l’aurore. Notre
vieille grand-mère a tant de chagrin qu’elle a, comme nous, laissé
couper ses cheveux blancs par les ciseaux de la sorcière. Tue le
prince, et reviens-nous. Hâte-toi ! Ne vois-tu pas déjà cette
traînée rose à l’horizon ? Dans quelques minutes le soleil se
lèvera et il te faudra mourir.
Un soupir étrange monta à leurs lèvres et
elles s’enfoncèrent dans les vagues. La petite sirène écarta le
rideau de pourpre de la tente, elle vit la douce épousée dormant la
tête appuyée sur l’épaule du prince. Alors elle se pencha et posa
un baiser sur le beau front du jeune homme. Son regard chercha le
ciel de plus en plus envahi par l’aurore, puis le poignard pointu,
puis à nouveau le prince, lequel, dans son sommeil, murmurait le
nom de son épouse qui occupait seule ses pensées, et le couteau
trembla dans sa main. Alors, tout à coup, elle le lança au loin
dans les vagues qui rougirent à l’endroit où il toucha les flots
comme si des gouttes de sang jaillissaient à la surface. Une
dernière fois, les yeux voilés, elle contempla le prince et se jeta
dans la mer où elle sentit son corps se dissoudre en écume.
Maintenant le soleil surgissait
majestueusement de la mer. Ses rayons tombaient doux et chauds sur
l’écume glacée et la petite sirène ne sentait pas la mort. Elle
voyait le clair soleil et, au-dessus d’elle, planaient des
centaines de charmants êtres transparents. À travers eux, elle
apercevait les voiles blanches du navire, les nuages roses du ciel,
leurs voix étaient mélodieuses, mais si immatérielles qu’aucune
oreille terrestre ne pouvait les capter, pas plus qu’aucun regard
humain ne pouvait les voir.
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