Grand-mère était assise dans le clair soleil de Dieu et
lisait la Bible à voix haute : « Si vous n’êtes pas
semblables à des enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume de
Dieu. »
Kay et Gerda se regardèrent dans les yeux et
comprirent d’un coup le vieux psaume :
Les roses
poussent dans les vallées
Où l’enfant
Jésus vient nous parler.
Ils étaient assis là, tous deux, adultes et
cependant enfants, enfants par le cœur…
C’était l’été, le doux été béni.
Chapitre 13
Une rose de la tombe d’Homère
Dans tous les chants d’Orient on parle de
l’amour du rossignol pour la rose. Dans les nuits silencieuses, le
troubadour ailé chante sa sérénade à la fleur suave.
Non loin de Smyrne, sous les hauts platanes,
là où le marchand pousse ses chameaux chargés de marchandises qui
lèvent fièrement leurs longs cous et foulent maladroitement la
terre sacrée, j’ai vu une haie de rosiers en fleurs. Des pigeons
sauvages volaient entre les branches des hauts arbres et leurs
ailes scintillaient dans les rayons de soleil comme si elles
étaient nacrées.
Une rose de la haie vivante était la plus
belle de toutes, et c’est à elle que le rossignol chanta sa
douleur. Mais la rose se tut, pas une seule goutte de rosée en
guise de larme de compassion ne glissa sur ses pétales, elle se
pencha seulement sur quelques grandes pierres.
– Ci-gît le plus grand chanteur de ce monde,
dit la rose. Au-dessus de sa tombe je veux répandre mon parfum, et
sur sa tombe je veux étaler mes pétales quand la tempête me les
arrachera. Le chanteur de l’Iliade est devenu poussière de cette
terre où je suis née. Moi, rose de la tombe d’Homère, suis trop
sacrée pour fleurir pour n’importe quel pauvre rossignol.
Et le rossignol chanta à en mourir.
Le chamelier arriva avec ses chameaux chargés
et ses esclaves noirs. Son jeune fils trouva l’oiseau mort et
enterra le petit chanteur dans la tombe du grand Homère ; et
la rose frissonna dans le vent. Le soir, la rose s’épanouit comme
jamais et elle rêva que c’était un beau jour ensoleillé. Puis un
groupe de Francs, en pèlerinage à la tombe d’Homère, s’approcha. Il
y avait parmi eux un chanteur du nord, du pays du brouillard et des
aurores boréales. Il cueillit la rose, l’inséra dans son livre et
l’emporta ainsi sur un autre continent, dans son pays lointain. La
rose fana de chagrin et demeura aplatie dans le livre. Lorsque le
chanteur revint chez lui, il ouvrit le livre et dit : Voici
une rose de la tombe d’Homère.
Tel fut le rêve de la petite rose lorsqu’elle
s’éveilla et tressaillit de froid. Des gouttes de rosée tombèrent
de ses pétales et, lorsque le soleil se leva, elle s’épanouit comme
jamais auparavant. Les journées torrides étaient là, puisqu’elle
était dans son Asie natale. Soudain, des pas résonnèrent, les
Francs étrangers qu’elle avait vus dans son rêve arrivaient, et
parmi eux le poète du nord. Il cueillit la rose, l’embrassa et
l’emporta avec lui dans son pays du brouillard et des aurores
boréales.
Telle une momie la fleur morte repose
désormais dans son Iliade et comme dans un rêve elle entend le
poète dire lorsqu’il ouvre le livre : Voici une rose de la
tombe d’Homère.
Chapitre 14
Le rossignol et l’Empereur
En Chine, vous le savez déjà, l’empereur est
un Chinois, et tous ses sujets sont des Chinois. Cette histoire
s’est passée il y a bien des années, et c’est pourquoi il vaut la
peine de l’écouter, avant qu’elle ne tombe dans l’oublie.
Le château de l’empereur était le château plus
magnifique du monde. Il était entièrement fait de la plus fine
porcelaine, si coûteuse, si cassante et fragile au toucher qu’on
devait y faire très attention. Dans le jardin, on pouvait voir les
fleurs les plus merveilleuses ; et afin que personne ne puisse
passer sans les remarquer, on avait attaché aux plus belles
d’entre-elles des clochettes d’argent qui tintaient délicatement.
Vraiment, tout était magnifique dans le jardin de l’empereur, et ce
jardin s’étendait si loin, que même le jardinier n’en connaissait
pas la fin. En marchant toujours plus loin, on arrivait à une
merveilleuse forêt, où il y avait de grands arbres et des lacs
profonds. Et cette forêt s’étendait elle-même jusqu’à la mer, bleue
et profonde. De gros navires pouvaient voguer jusque sous les
branches où vivait un rossignol. Il chantait si divinement que même
le pauvre pêcheur, qui avait tant d’autres choses à faire, ne
pouvait s’empêcher de s’arrêter et de l’écouter lorsqu’il sortait
la nuit pour retirer ses filets. »Mon Dieu ! Comme c’est
beau ! », disait-il. Mais comme il devait s’occuper de
ses filets, il oubliait l’oiseau. Les nuits suivantes, quand le
rossignol se remettait à chanter, le pêcheur redisait à chaque
fois : « Mon Dieu ! Comme c’est
beau ! »
Des voyageurs de tous les pays venaient dans
la ville de l’empereur et s’émerveillaient devant le château et son
jardin ; mais lorsqu’ils finissaient par entendre le
Rossignol, ils disaient tous : « Voilà ce qui est le plus
beau ! » Lorsqu’ils revenaient chez eux, les voyageurs
racontaient ce qu’ils avaient vu et les érudits écrivaient beaucoup
de livres à propos de la ville, du château et du jardin. Mais ils
n’oubliaient pas le rossignol : il recevait les plus belles
louanges et ceux qui étaient poètes réservaient leurs plus beaux
vers pour ce rossignol qui vivaient dans la forêt, tout près de la
mer.
Les livres se répandirent partout dans le
monde, et quelques-uns parvinrent un jour à l’empereur. Celui-ci
s’assit dans son trône d’or, lu, et lu encore. À chaque instant, il
hochait la tête, car il se réjouissait à la lecture des éloges
qu’on faisait sur la ville, le château et le jardin. »Mais le
rossignol est vraiment le plus beau de tout ! », y
était-il écrit.
« Quoi ? », s’exclama
l’empereur. »Mais je ne connais pas ce rossignol ! Y
a-t-il un tel oiseau dans mon royaume, et même dans mon
jardin ? Je n’en ai jamais entendu parler ! »
Il appela donc son chancelier.
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