Celui-ci était
tellement hautain que, lorsque quelqu’un d’un rang moins élevé
osait lui parler ou lui poser une question, il ne répondait rien
d’autre que : « P ! » Ce qui ne voulait rien
dire du tout.
« Il semble y avoir ici un oiseau de plus
remarquables qui s’appellerait Rossignol ! », dit
l’empereur. »On dit que c’est ce qu’il y de plus beau dans mon
grand royaume ; alors pourquoi ne m’a-t-on rien dit à ce
sujet ? » « Je n’ai jamais entendu parler de lui
auparavant », dit le chancelier. »Il ne s’est jamais
présenté à la cour ! »
« Je veux qu’il vienne ici ce soir et
qu’il chante pour moi ! », dit l’empereur. »Le monde
entier sait ce que je possède, alors que moi-même, je n’en sais
rien ! »
« Je n’ai jamais entendu parler de lui
auparavant », redit le chancelier. »Je vais le chercher,
je vais le trouver ! »
Mais où donc le chercher ? Le chancelier
parcourut tous les escaliers de haut en bas et arpenta les salles
et les couloirs, mais aucun de ceux qu’il rencontra n’avait entendu
parler du rossignol. Le chancelier retourna auprès de l’empereur et
lui dit que ce qui était écrit dans le livre devait sûrement n’être
qu’une fabulation. »Votre Majesté Impériale ne devrait pas
croire tout ce qu’elle lit ; il ne s’agit là que de
poésie ! »
« Mais le livre dans lequel j’ai lu cela,
dit l’empereur, m’a été expédié par le plus grand Empereur du
Japon ; ainsi ce ne peut pas être une fausseté. Je veux
entendre le rossignol ; il doit être ici ce soir ! Il a
ma plus haute considération. Et s’il ne vient pas, je ferai
piétiner le corps de tous les gens de la cour après le repas du
soir. »
« Tsing-pe ! », dit le
chancelier, qui s’empressa de parcourir de nouveau tous les
escaliers de haut en bas et d’arpenter encore les salles et les
couloirs. La moitié des gens de la cour alla avec lui, car l’idée
de se faire piétiner le corps ne leur plaisaient guère. Ils
s’enquirent du remarquable rossignol qui était connu du monde
entier, mais inconnu à la cour.
Finalement, ils rencontrèrent une pauvre
fillette aux cuisines. Elle dit : « Mon Dieu,
Rossignol ? Oui, je le connais. Il chante si bien !
Chaque soir, j’ai la permission d’apporter à ma pauvre mère malade
quelques restes de table ; elle habite en bas, sur la rive. Et
lorsque j’en reviens, fatiguée, et que je me repose dans la forêt,
j’entends Rossignol chanter. Les larmes me montent aux yeux ;
c’est comme si ma mère m’embrassait ! »
« Petite cuisinière, dit le chancelier,
je te procurerai un poste permanent aux cuisines et t’autoriserai à
t’occuper des repas de l’empereur, si tu nous conduis auprès de
Rossignol ; il doit chanter ce soir. »
Alors, ils partirent dans la forêt, là où
Rossignol avait l’habitude de chanter ; la moitié des gens de
la cour suivit. Tandis qu’ils allaient bon train, une vache se mit
à meugler.
« Oh ! », dit un
hobereau. »Maintenant, nous l’avons trouvé ; il y a là
une remarquable vigueur pour un si petit animal ! Je l’ai
sûrement déjà entendu ! »
« Non, dit la petite cuisinière, ce sont
des vaches qui meuglent. Nous sommes encore loin de l’endroit où il
chante. »
Puis, les grenouilles croassèrent dans les
marais. »Merveilleux ! », s’exclama le prévôt du
château. »Là, je l’entends ; cela ressemble justement à
de petites cloches de temples. »
« Non, ce sont des
grenouilles ! », dit la petite cuisinière. »Mais je
pense que bientôt nous allons l’entendre ! » À ce moment,
Rossignol se mit à chanter.
« C’est lui, dit la petite fille.
Écoutez ! Écoutez ! Il est là ! » Elle montra
un petit oiseau gris qui se tenait en haut dans les branches.
« Est-ce possible ? », dit le
chancelier. »Je ne l’aurais jamais imaginé avec une apparence
aussi simple. Il aura sûrement perdu ses couleurs à force de se
faire regarder par tant de gens ! »
« Petit Rossignol, cria la petite
cuisinière, notre gracieux Empereur aimerait que tu chantes devant
lui ! »
« Avec le plus grand plaisir »,
répondit Rossignol. Il chanta et ce fut un vrai
bonheur. »C’est tout à fait comme des clochettes de
verre ! », dit le chancelier. »Et voyez comme sa
petite gorge travaille fort ! C’est étonnant que nous ne
l’ayons pas aperçu avant ; il fera grande impression à la
cour ! » « Dois-je chanter encore pour
l’Empereur ? », demanda Rossignol, croyant que l’empereur
était aussi présent.
« Mon excellent petit Rossignol, dit le
chancelier, j’ai le grand plaisir de vous inviter à une fête ce
soir au palais, où vous charmerez sa Gracieuse Majesté Impériale de
votre merveilleux chant ! »
« Mon chant s’entend mieux dans la
nature ! », dit Rossignol, mais il les accompagna
volontiers, sachant que c’était le souhait de l’empereur.
Au château, tout fut nettoyé ; les murs
et les planchers, faits de porcelaine, brillaient sous les feux de
milliers de lampes d’or. Les fleurs les plus magnifiques, celles
qui pouvaient tinter, furent placées dans les couloirs. Et comme il
y avait là des courants d’air, toutes les clochettes tintaient en
même temps, de telle sorte qu’on ne pouvait même plus s’entendre
parler.
Au milieu de la grande salle où l’empereur
était assis, on avait placé un perchoir d’or, sur lequel devait se
tenir Rossignol. Toute la cour était là ; et la petite fille,
qui venait de se faire nommer cuisinière de la cour, avait obtenu
la permission de se tenir derrière la porte. Tous avaient revêtu
leurs plus beaux atours et regardaient le petit oiseau gris, auquel
l’empereur fit un signe.
Le rossignol chanta si magnifiquement, que
l’empereur en eut les larmes aux yeux. Les larmes lui coulèrent sur
les joues et le rossignol chanta encore plus
merveilleusement ; cela allait droit au cœur. L’empereur fut
ébloui et déclara que Rossignol devrait porter au coup une
pantoufle d’or. Le Rossignol l’en remercia, mais répondit qu’il
avait déjà été récompensé : « J’ai vu les larmes dans les
yeux de l’Empereur et c’est pour moi le plus grand des
trésors ! Oui ! J’ai été largement
récompensé ! » Là-dessus, il recommença à chanter de sa
voix douce et magnifique.
« C’est la plus adorable voix que nous
connaissons ! », dirent les dames tout autour. Puis, se
prenant pour des rossignols, elles se mirent de l’eau dans la
bouche de manière à pouvoir chanter lorsqu’elles parlaient à
quelqu’un. Les serviteurs et les femmes de chambres montrèrent eux
aussi qu’ils étaient joyeux ; et cela voulait beaucoup dire,
car ils étaient les plus difficiles à réjouir. Oui, vraiment,
Rossignol amenait beaucoup de bonheur.
À partir de là, Rossignol dut rester à la
cour, dans sa propre cage, avec, comme seule liberté, la permission
de sortir et de se promener deux fois le jour et une fois la nuit.
On lui assigna douze serviteurs qui le retenaient grâce à des
rubans de soie attachés à ses pattes. Il n’y avait absolument aucun
plaisir à retirer de telles excursions.
Un jour, l’empereur reçut une caisse, sur
laquelle était inscrit : « Le rossignol ».
« Voilà sans doute un nouveau livre sur
notre fameux oiseau ! », dit l’empereur. Ce n’était pas
un livre, mais plutôt une œuvre d’art placée dans une petite
boîte : un rossignol mécanique qui imitait le vrai, mais tout
sertis de diamants, de rubis et de saphirs. Aussitôt qu’on l’eut
remonté, il entonna l’un des airs que le vrai rossignol chantait,
agitant la queue et brillant de mille reflets d’or et d’argent.
Autour de sa gorge, était noué un petit ruban sur lequel était
inscrit : « Le rossignol de l’Empereur du Japon est bien
humble comparé à celui de l’Empereur de Chine. »
Tous s’exclamèrent : « C’est
magnifique ! » Et celui qui avait apporté l’oiseau reçu
aussitôt le titre de « Suprême Porteur Impérial de
Rossignol ».
« Maintenant, ils doivent chanter
ensembles ! Comme ce sera plaisant ! »
Et ils durent chanter en duo, mais ça n’allait
pas. Car tandis que le vrai rossignol chantait à sa façon,
l’automate, lui, chantait des valses. »Ce n’est pas de sa
faute ! », dit le maestro, « il est particulièrement
régulier, et tout à fait selon mon école ! » Alors
l’automate dut chanter seul. Il procura autant de joie que le
véritable et s’avéra plus adorable encore à regarder ; il
brillait comme des bracelets et des épinglettes.
Il chanta le même air trente-trois fois sans
se fatiguer ; les gens auraient bien aimé l’entendre encore,
mais l’empereur pensa que ce devait être au tour du véritable
rossignol de chanter quelque chose. Mais où était-il ?
Personne n’avait remarqué qu’il s’était envolé par la fenêtre, en
direction de sa forêt verdoyante.
« Mais que se passe-t-il
donc ? », demanda l’empereur, et tous les courtisans
grognèrent et se dirent que Rossignol était un animal hautement
ingrat. »Le meilleur des oiseaux, nous l’avons
encore ! », dirent-ils, et l’automate dut recommencer à
chanter.
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