Il avait été trop long à faire son choix, et
c’est une mauvaise méthode. Il devint donc ce que nous appelons un
vieux garçon.
L’automne touchait à sa fin ; le temps
était sombre, et il pleuvait. Le vent froid soufflait sur le dos
des vieux saules au point de les faire craquer. Il n’était pas bon
vraiment de se trouver dehors par ce temps-là ; aussi le
papillon ne vivait-il plus en plein air. Il avait par fortune
rencontré un asile, une chambre bien chauffée où régnait la
température de l’été. Il y eût pu vivre assez bien, mais il se
dit : « Ce n’est pas tout de vivre ; encore faut-il
la liberté, un rayon de soleil et une petite fleur. » Il vola
vers la fenêtre et se heurta à la vitre. On l’aperçut, on l’admira,
on le captura et on le ficha dans la boîte aux curiosités. »
Me voici sur une tige comme les fleurs, se dit le papillon.
Certainement, ce n’est pas très agréable ; mais enfin on est
casé : cela ressemble au mariage. » Il se consolait
jusqu’à un certain point avec cette pensée. »C’est une pauvre
consolation », murmurèrent railleusement quelques plantes qui
étaient là dans des pots pour égayer la chambre. » Il n’y a
rien à attendre de ces plantes bien installées dans leurs pots, se
dit le papillon ; elles sont trop à leur aise pour être
humaines. »
Chapitre 3
Papotages d’enfants
Dans la maison d’un marchand, de nombreux
enfants se réunirent un jour, des enfants de familles riches, des
enfants de familles nobles. Monsieur le marchand avait
réussi ; c’était un homme érudit puisque jadis, il était entré
à l’Université. Son père qui avait commencé comme simple
commerçant, mais honnête et entreprenant, lui avait fait lire des
livres. Son commerce rapportait bien et le marchand faisait encore
multiplier cette richesse. Il avait aussi bon cœur et la tête bien
en place, mais de cela on parlait bien moins souvent que de sa
grosse fortune. Se réunissaient chez lui des gens nobles, comme on
dit, par leur titre, mais aussi par leur esprit, certains même par
les deux à la fois mais d’autres ni par l’un ni par l’autre. En ce
moment, une petite soirée d’enfants y avait lieu, on entendait des
enfants papoter ; et les enfants n’y vont pas par quatre
chemins. Il y avait par exemple une petite fille très mignonne mais
terriblement prétentieuse ; c’étaient ses domestiques qui le
lui avaient appris, pas ses parents qui étaient bien trop
raisonnables pour cela. Son père était majordome, c’était une haute
fonction et elle le savait bien.
– Je suis une enfant de majordome, se
vantait-elle.
Elle pouvait aussi bien être la fille des
Tartempion, on ne choisit pas ses parents. Elle raconta aux autres
qu’elle était « noble » et affirma que celui qui n’était
pas bien né n’arriverait jamais à rien dans la vie. On pouvait
travailler avec assiduité, si l’on n’est pas bien né on n’arrivera
à rien.
– Et ceux dont les noms se terminent par sen,
proclama-t-elle, ne pourront jamais réussir dans la vie. Devant
tous ces sen et sen, il n’y a plus que poser ses mains sur les
hanches et s’en tenir bien à l’écart !
Et aussitôt elle posa ses jolies petites mains
à sa taille, les coudes bien pointus pour montrer aux autres
comment il fallait traiter ces gens-là. Quels jolis bras
avait-elle ! Une petite fille très charmante !
Or, la fille de monsieur le Marchand se mit en
colère. C’est que son père s’appelait Madsen et c’est aussi,
hélas ! un nom en sen ; elle se gonfla et déclara avec
fierté :
– Seulement mon père peut acheter pour cent
écus d’or de friandises et les jeter dans la rue ! Et pas le
tien !
– Ce n’est rien, mon père à moi, se vanta la
fillette d’un rédacteur, peut mettre ton père et ton père et tous
les pères dans le journal ! Tout le monde a peur de lui, dit
maman, car c’est mon père qui dirige le journal.
Et elle leva son petit nez comme si elle était
une vraie princesse qui doit pointer son nez en l’air.
Par la porte entrouverte, un garçon pauvre
regardait. Il était d’une famille si pauvre qu’il n’avait même pas
le droit d’entrer dans la chambre. Il avait aidé la cuisinière à
faire tourner la broche et, en récompense, on l’autorisait à
présent à se placer pour un petit moment derrière la porte pour
regarder ces enfants nobles, pour voir comme ils s’amusaient
bien ; c’était un grand honneur pour lui.
– Oh, si je pouvais être l’un d’eux !
soupira-t-il.
Puis il entendit ce qu’il s’y disait et cela
suffit à lui faire baisser la tête. Chez lui, on n’avait pas un écu
au fond du bahut, et on ne pouvait pas se permettre d’acheter les
journaux et encore moins d’y écrire. Et le pire de tout : le
nom de son père, et donc le sien aussi, se terminait par sen, il
n’arriverait donc jamais à rien dans la vie. Quelle triste
affaire ! On ne pouvait pourtant pas dire qu’il n’était pas
né, pas cela, il était bel et bien né, sinon il ne serait pas
là.
Quelle soirée !
Quelques années plus tard, les enfants
devinrent adultes. Une magnifique maison fut construite dans la
ville. Dans cette maison, il y avait plein d’objets somptueux, tout
le monde voulait les voir, même des gens qui n’habitaient pas la
ville, venaient pour les regarder. Devinez à quel enfant de notre
histoire appartenait cette maison ? Et bien, la réponse est
facile … ou plutôt pas si facile que ça. Elle appartenait au pauvre
garçon, parce qu’il était quand même devenu quelqu’un bien que son
nom se terminât en sen, il s’appelait Thorvaldsen. Et les trois
autres enfants ? Ces enfants remplis d’orgueil pour leur
titre, l’argent ou l’esprit ? Ils n’avaient rien à s’envier
les uns aux autres, ils étaient égaux … et comme ils avaient un bon
fond, ils devinrent de bons et braves adultes.
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