Elle
doit être fort malheureuse : un être aussi mobile qui se
trouve claquemuré dans une étroite cellule ! Ce serait
probablement lui rendre un grand service que de la délivrer de son
petit souffle de vie. Et puis dans ce temps de révolutions, où l’on
voit les peuples toujours s’intéresser à ceux que nous autres
souverains sommes censés persécuter, il est peut-être sage de se
débarrasser d’elle en secret.
– Cela me semble bien dur cependant, dit
l’Ombre d’un air contrit et en soupirant ; elle m’a servie si
fidèlement !
– J’apprécie tes scrupules, dit la princesse,
et je reconnais une fois de plus combien tu as un noble caractère.
Mais ceux qui sont chargés d’une couronne ne peuvent pas écouter
leur cœur. Donc je m’en tiendrai à ce que j’ai pensé.
Le soir, toute la ville fut illuminée
splendidement ; à chaque seconde retentissait un coup de
canon. Les cris de joie du peuple se mêlaient aux boum
boum. C’était magnifique. Un superbe feu d’artifice fut tiré
devant le palais, et la fille du roi et son époux vinrent sur le
balcon recevoir les acclamations.
Le bruit étourdissant de la fête ne troubla
pas le pauvre savant ; il était déjà mis à mort et
enterré.
Chapitre 2
Le papillon
Le papillon veut se marier et, comme vous le
pensez bien, il prétend choisir une fleur jolie entre toutes les
fleurs. Elles sont en grand nombre et le choix dans une telle
quantité est embarrassant. Le papillon vole tout droit vers les
pâquerettes. C’est une petite fleur que les Français nomment aussi
marguerite. Lorsque les amoureux arrachent ses feuilles, à chaque
feuille arrachée ils demandent :
– M’aime-t-il ou m’aime-t-elle un peu,
beaucoup, passionnément, pas du tout ? La réponse de la
dernière feuille est la bonne. Le papillon l’interroge :
– Chère dame Marguerite, dit-il, vous êtes la
plus avisée de toutes les fleurs. Dites-moi, je vous prie, si je
dois épouser celle-ci ou celle-là.
La marguerite ne daigna pas lui répondre. Elle
était mécontente de ce qu’il l’avait appelée dame, alors qu’elle
était encore demoiselle, ce qui n’est pas du tout la même chose. Il
renouvela deux fois sa question, et, lorsqu’il vit qu’elle gardait
le silence, il partit pour aller faire sa cour ailleurs. On était
aux premiers jours du printemps. Les crocus et les perce-neige
fleurissaient à l’entour.
– Jolies, charmantes fleurettes ! dit le
papillon, mais elles ont encore un peu trop la tournure de
pensionnaires. Comme les très jeunes gens, il regardait de
préférence les personnes plus âgées que lui.
Il s’envola vers les anémones ; il les
trouva un peu trop amères à son goût. Les violettes lui parurent
trop sentimentales. La fleur de tilleul était trop petite et, de
plus, elle avait une trop nombreuse parenté. La fleur de pommier
rivalisait avec la rose, mais elle s’ouvrait aujourd’hui pour périr
demain, et tombait au premier souffle du vent ; un mariage
avec un être si délicat durerait trop peu de temps. La fleur des
pois lui plut entre toutes ; elle est blanche et rouge,
fraîche et gracieuse ; elle a beaucoup de distinction et, en
même temps, elle est bonne ménagère et ne dédaigne pas les soins
domestiques. Il allait lui adresser sa demande, lorsqu’il aperçut
près d’elle une cosse à l’extrémité de laquelle pendait une fleur
desséchée :
– Qu’est-ce cela ? fit-il.
– C’est ma sœur, répondit Fleur des Pois.
– Vraiment, et vous serez un jour comme
cela ! s’écria le papillon qui s’enfuit.
Le chèvrefeuille penchait ses branches en
dehors d’une haie ; il y avait là une quantité de filles
toutes pareilles, avec de longues figures au teint jaune.
– À coup sûr, pensa le papillon, il était
impossible d’aimer cela.
Le printemps passa, et l’été après le
printemps. On était à l’automne, et le papillon n’avait pu se
décider encore. Les fleurs étalaient maintenant leurs robes les
plus éclatantes ; en vain, car elles n’avaient plus le parfum
de la jeunesse. C’est surtout à ce frais parfum que sont sensibles
les cœurs qui ne sont plus jeunes ; et il y en avait fort peu,
il faut l’avouer, dans les dahlias et dans les chrysanthèmes. Aussi
le papillon se tourna-t-il en dernier recours vers la menthe. Cette
plante ne fleurit pas, mais on peut dire qu’elle est fleur tout
entière, tant elle est parfumée de la tête au pied ; chacune
de ses feuilles vaut une fleur, pour les senteurs qu’elle répand
dans l’air. »C’est ce qu’il me faut, se dit le papillon ;
je l’épouse. » Et il fit sa déclaration.
La menthe demeura silencieuse et guindée, en
l’écoutant. À la fin elle dit :
– Je vous offre mon amitié, s’il vous plaît,
mais rien de plus. Je suis vieille, et vous n’êtes plus jeune. Nous
pouvons fort bien vivre l’un pour l’autre ; mais quant à nous
marier … sachons à notre âge éviter le ridicule.
C’est ainsi qu’il arriva que le papillon
n’épousa personne.
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