doigts ! Ils se tenaient orgueilleusement l’un à côté de l’autre, quoique de différente longueur. Le plus en dehors, le pouce, court et épais, restait à l’écart ; comme il n’avait qu’une articulation, il ne pouvait se courber qu’en un seul endroit ; mais il disait toujours que, si un homme l’avait une fois perdu, il ne serait plus bon pour le service militaire.
« Le second doigt goûtait tantôt des confitures et tantôt de la moutarde ; il montrait le soleil et la lune, et c’était lui qui appuyait sur la plume lorsqu’on voulait écrire.
« Le troisième regardait par-dessus les épaules de tous les autres. Le quatrième portait une ceinture d’or, et le petit dernier ne faisait rien du tout : aussi en était-il extraordinairement fier. On ne trouvait rien chez eux que de la forfanterie, et encore de la forfanterie : aussi je les ai quittés.
– Et maintenant, nous voilà assis ici, et nous brillons », dit le tesson.
À ce moment, on versa de l’eau dans l’évier. L’eau coula par-dessus les bords et les entraîna. « Voilà que nous avançons enfin ! » dit l’aiguille.
Le tesson continua sa route, mais l’aiguille s’arrêta dans le ruisseau. « Là ! je ne bouge plus ; je suis trop fine ; mais j’ai bien le droit d’en être fière ! »
Effectivement, elle resta là tout entière à ses grandes pensées.
« Je finirai par croire que je suis née d’un rayon de soleil, tant je suis fine ! Il me semble que les rayons de soleil viennent me chercher jusque dans l’eau. Mais je suis si fine que ma mère ne peut pas me trouver. Si encore j’avais l’œil qu’on m’a enlevé, je pourrais pleurer du moins ! Non, je ne voudrais pas pleurer : ce n’est pas digne de moi ! »
Un jour, des gamins vinrent fouiller dans le ruisseau. Ils cherchaient de vieux clous, des liards et autres richesses pareilles. Le travail n’était pas ragoûtant ; mais que voulez-vous ? ils y trouvaient leur plaisir, et chacun prend le sien où il le trouve.
« Oh ! la, la ! s’écria l’un d’eux en se piquant à l’aiguille. En voilà une gueuse !
– Je ne suis pas une gueuse ; je suis une demoiselle distinguée », dit l’aiguille.
Mais personne ne l’entendait. En attendant, la cire s’était détachée, et l’aiguille était redevenue noire des pieds à la tête ; mais le noir fait paraître la taille plus svelte, elle se croyait donc plus fine que jamais.
« Voilà une coque d’œuf qui arrive, dirent les gamins ; et ils attachèrent l’aiguille à la coque.
– À la bonne heure ! dit-elle ; maintenant je dois faire de l’effet, puisque je suis noire et que les murailles qui m’entourent sont toutes blanches. On m’aperçoit, au moins ! Pourvu que je n’attrape pas le mal de mer ; cela me briserait. »
Elle n’eut pas le mal de mer et ne fut point brisée. « Quelle chance d’avoir un ventre d’acier quand on voyage sur mer ! C’est par là que je vaux mieux qu’un homme. Qui peut se flatter d’avoir un ventre pareil ? voilà une bonne constitution ! Plus on est fin, moins on est exposé. »
Crac ! fit la coque. C’est une voiture de roulier qui passait sur elle.
« Ciel ! que je me sens oppressée ! dit l’aiguille ; je crois que j’ai le mal de mer : je suis toute brisée. »
Elle ne l’était pourtant pas, quoique la voiture eût passé sur elle. Elle gisait comme auparavant, étendue tout de son long dans le ruisseau. Qu’elle y reste !
Les fleurs de la petite Ida
« Mes pauvres fleurs sont toutes mortes, dit la petite Ida. Hier soir elles étaient encore si belles et maintenant toutes leurs feuilles pendent desséchées. D’où cela vient-il ? » demanda-t-elle à l’étudiant qui était assis sur le canapé et qu’elle aimait beaucoup.
Il savait raconter les histoires les plus jolies, et découper des images si amusantes, des cœurs avec de petites femmes qui dansaient, des fleurs et de grands châteaux dont on pouvait ouvrir la porte. Oh ! c’était un joyeux étudiant.
« Pourquoi mes fleurs ont-elles aujourd’hui une mine si triste ? demanda-t-elle une seconde fois en lui montrant un bouquet tout desséché.
– Je vais te dire ce qu’elles ont, dit l’étudiant. Tes fleurs ont été cette nuit au bal, et voilà pourquoi leurs têtes sont ainsi penchées.
– Cependant les fleurs ne savent pas danser, dit la petite Ida.
– Si vraiment, répondit l’étudiant. Lorsqu’il fait noir et que nous dormons nous autres, elles sautent et s’en donnent à cœur joie, presque toutes les nuits.
– Et les enfants ne peuvent-ils pas aller à leur bal ?
– Si, répondit l’étudiant ; les enfants du jardin, les petites marguerites et les petits muguets.
– Où dansent-elles, les belles fleurs ? demanda la petite Ida.
– N’es-tu jamais sortie de la ville, du côté du grand château où le roi fait sa résidence l’été, et où il y a un jardin magnifique rempli de fleurs ? Tu as bien vu les cygnes qui nagent vers toi, quand tu leur donnes des miettes de pain ? Crois-moi, c’est là que se donnent les grands bals.
– Mais je suis allée hier avec maman au jardin, répliqua la jeune fille ; il n’y avait plus de feuilles aux arbres, et pas une seule fleur. Où sont-elles donc ? J’en ai tant vu pendant l’été !
– Elles sont dans l’intérieur du château, dit l’étudiant. Dès que le roi et les courtisans retournent à la ville, les fleurs quittent promptement le jardin, entrent dans le château et mènent joyeuse vie. Oh ! si tu voyais cela ! Les deux plus belles roses s’asseyent sur le trône, et elles sont roi et reine. Les crêtes-de-coq écarlates se rangent des deux côtés et s’inclinent : ce sont les officiers de la maison royale. Ensuite viennent les autres fleurs, et on fait un grand bal... Les violettes bleues représentent les élèves de marine ; elles dansent avec les jacinthes et les crocus, qu’elles appellent mesdemoiselles.
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