Jean arrangea le cadavre dans le cercueil, lui joignit les mains et, lui disant adieu, se dirigea vers la grande forêt.
Partout où la lune perçait le feuillage, il vit les gracieux petits génies de la forêt qui jouaient gaiement. Ceux-ci ne se dérangèrent pas, car ils savaient l’innocence de Jean, et il n’y a que les méchants auxquels ils restent invisibles. Quelques-uns d’entre eux n’étaient pas plus grands qu’un doigt ; leurs longs cheveux blonds étaient relevés avec un peigne d’or. Deux par deux ils se balançaient sur les grosses gouttes que forme la rosée sur les feuilles et sur les herbes. Quelquefois la goutte roulait en bas ; alors ils tombaient entre les longues pailles, et c’étaient parmi les autres petits êtres de grands éclats de rire. Que tout cela était amusant ! Ils chantèrent, et Jean reconnut distinctement toutes les chansons qu’il avait apprises étant petit garçon. De grandes araignées bigarrées, avec des couronnes d’argent sur la tête, filaient d’une haie à l’autre des ponts suspendus et des palais qui, couverts de rosée, illuminés par la lune, semblaient être de verre. Cela dura jusqu’au lever du soleil ; alors les petits génies entrèrent dans les boutons des fleurs, et le vent dispersa leurs ponts et leurs châteaux.
Jean sortait de la forêt, lorsqu’une forte voix d’homme cria derrière lui : « Holà ! camarade, où allons-nous ?
– À travers le monde, répondit Jean. Je n’ai ni père ni mère, je suis un pauvre garçon, mais le bon Dieu m’aidera.
– Moi aussi je vais à travers le monde, reprit l’étranger ; si tu veux, nous ferons route ensemble.
– Je le veux bien. »
Et ils continuèrent ensemble.
Bientôt ils commencèrent à s’aimer, car ils étaient bons tous les deux. Mais Jean remarqua que l’étranger était bien plus savant que lui ; il avait déjà beaucoup voyagé, et savait parler sur tout.
Le soleil était déjà haut dans le ciel, quand ils s’assirent sous un grand arbre pour déjeuner. Une vieille femme vint à passer. Elle était si vieille qu’elle marchait toute courbée, s’appuyant sur une béquille, et elle portait sur son dos un fagot qu’elle avait ramassé dans le bois. Son tablier était relevé, et Jean vit trois verges d’osier qui en sortaient. Arrivée auprès d’eux, son pied glissa ; elle tomba en jetant de hauts cris, car elle s’était cassé la jambe, la pauvre femme ! Jean voulut tout de suite la porter chez elle ; mais l’étranger ouvrit sa valise, y prit un petit pot, et dit qu’il avait un baume qui remettrait immédiatement sa jambe ; elle pourrait alors s’en aller toute seule, comme si cette jambe n’avait jamais été cassée. Seulement il exigea en retour les trois verges qu’elle portait dans son tablier.
« C’est bien payé », dit la vieille. Et elle fit un signe bizarre de la tête. On voyait qu’elle ne renonçait pas volontiers à ses verges ; mais, d’un autre côté, il était bien désagréable de rester ainsi étendue, la jambe cassée. Elle les lui donna donc, et, dès qu’il eut frotté la jambe avec son baume, la vieille mère se leva et marcha mieux qu’auparavant. Quel baume ! mais aussi on ne pouvait en acheter chez le pharmacien.
« Que veux-tu faire des trois verges ? demanda Jean à son compagnon de voyage.
– Ce sont trois gentils petits balais ; il me plaît de les avoir ; je suis un garçon si drôle ! »
Ils firent encore un bon bout de chemin.
« Regarde l’orage qui se prépare, dit Jean ; que ces nuages sont noirs et terribles !
– Non, observa le compagnon de voyage ; ce ne sont pas des nuages, ce sont des montagnes. On arrive par ces montagnes au-dessus des nuages, au sein des airs. Crois-moi, c’est magnifique ; demain nous serons déjà loin dans le monde. »
Mais il fallait marcher toute la journée pour arriver à ces montagnes dont les sombres forêts touchaient au ciel, et où il y avait des pierres aussi grosses qu’une ville entière. Quelle marche pour traverser tout cela ! C’est pourquoi Jean et son compagnon de voyage entrèrent dans une auberge : il fallait se reposer et recueillir des forces pour le lendemain.
Dans la grande salle de l’auberge se trouvait une foule de monde : on regardait un homme qui faisait jouer des marionnettes. Il venait précisément de dresser son petit théâtre ; on s’était rangé en cercle autour de lui, et la meilleure place, au premier rang, était occupée par un vieux gros boucher qui avait avec lui son bouledogue. Ouf ! l’animal féroce ! il regardait comme tout le monde avec ses grands yeux.
La comédie commença. C’était une belle pièce ; un roi et une reine étaient assis sur un trône superbe, avec des couronnes d’or et de longues robes à queue : leurs moyens leur permettaient ce luxe ; de gentilles marionnettes avec des yeux de verre et de grandes moustaches étaient debout à toutes les portes, qu’elles ouvraient et fermaient continuellement pour rafraîchir l’air dans la salle. Oui, c’était une bien belle pièce, et pas triste du tout. Mais tout à coup la reine se leva et fit quelques pas. Dieu sait ce que pensait le gros bouledogue : profitant de ce que le boucher ne le retenait pas, il fit un bond jusque sur le théâtre, et saisit la reine par sa mince taille. Cnic, cnac ! C’était horrible à voir.
Le pauvre homme qui faisait voir la comédie fut pris d’angoisse et d’affliction à cause de sa reine, la plus belle de ses poupées, à qui le bouledogue avait mangé la tête.
Mais quand le monde fut parti, l’étranger qui était venu avec Jean dit qu’il allait la remettre en bon état. Il prit son petit pot et frotta la poupée avec le baume qui avait déjà guéri la pauvre vieille.
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