Aussi conseilla-t-il à Jean de demander à la princesse si elle n’avait pas pensé à son soulier.
« J’aime autant demander cela qu’autre chose, dit Jean ; peut-être as-tu rêvé juste, car je suis toujours convaincu que le bon Dieu m’aidera. Cependant je vais te faire mes adieux ; car, si je me trompe, je ne te reverrai plus. »
Là-dessus, ils s’embrassèrent ; Jean retourna dans la ville et se rendit au château. La grande salle était remplie de monde ; les juges siégeaient sur leurs fauteuils, avec des édredons sous la tête, car ils avaient beaucoup à méditer. Le vieux roi se leva et s’essuya les yeux avec un mouchoir blanc. Enfin la princesse entra plus belle que la veille, salua d’un air gracieux, et donnant sa main à Jean : « Bonjour, mon cher », lui dit-elle.
Jean devait donc deviner à quelle chose elle avait pensé. Elle le regardait amicalement, mais au mot de soulier, son visage devint blanc comme la craie, et tout son corps trembla. N’importe ; il avait deviné juste.
Pour le coup, qui fut content ? ce fut le vieux roi ! Il fit une culbute de première force, et tout le monde battit des mains, pour lui comme pour Jean.
Le compagnon de voyage fut bien heureux aussi, quand il apprit ce premier succès. Jean joignit les mains et remercia le bon Dieu, qui certainement l’aiderait encore aux deux autres épreuves. Le lendemain, il devait deviner la seconde énigme.
Ce soir-là se passa comme celui de la veille. Lorsque Jean se fut endormi, le compagnon de voyage suivit la princesse dans la montagne et la battit plus fort encore que la veille, car il avait pris deux verges. Personne ne le vit, et lui entendit tout : la princesse devait penser à son gant ; il raconta cela à Jean comme s’il l’avait rêvé. Rien n’était donc plus facile à Jean que de deviner juste une seconde fois, et ce fut au château une indicible joie. Toute la cour fit des culbutes à l’imitation de son roi ; mais la princesse s’étendit sur un sofa et ne voulut pas proférer une seule parole.
Tout dépendait maintenant de la troisième épreuve. Encore ce succès, Jean épousait la princesse, et à la mort du roi il héritait du trône. Dans le cas contraire, il perdait la vie, et le sorcier mangeait ses beaux yeux bleus.
La veille au soir, Jean se coucha de bonne heure, fit sa prière et s’endormit tranquillement. Mais son compagnon reprit les ailes du cygne, s’attacha le sabre au côté, et s’envola vers le château, emportant les trois verges.
La nuit était terrible, la tempête arrachait les ardoises des toits, et les arbres du jardin, où pendaient les squelettes, pliaient comme des roseaux à chaque coup de vent. Les éclairs se succédaient sans relâche, et pendant toute la nuit ce ne fut qu’un coup de tonnerre. La fenêtre s’ouvrit, et la princesse s’envola. Elle était pâle comme la mort, mais elle se riait du mauvais temps, qu’elle trouvait encore trop doux. Son manteau blanc, pareil à une voile de navire, tourbillonnait dans l’air. Le compagnon de voyage la frappait si rudement de ses trois verges, que des gouttes de sang tombaient à terre, et qu’à la fin elle put à peine continuer son vol. Cependant elle arriva à la montagne.
« Il grêle, et le vent est furieux, dit-elle ; jamais je ne suis sortie par un temps comme celui-là.
– Quelquefois on se fatigue même du bien », répondit le sorcier.
Elle lui raconta que Jean avait deviné juste la seconde fois. S’il réussissait encore le lendemain, c’en était fait ; elle ne pourrait plus retourner à la montagne ni pratiquer ses sortilèges. Elle en était bien affligée.
« Cette fois, il ne devinera pas, dit le sorcier, ou il faudrait qu’il fût plus grand sorcier que moi. En attendant, amusons-nous. »
Il prit la princesse par les deux mains, et ils dansèrent en rond avec les deux fantômes et les feux follets qui étaient dans la salle. Les araignées rouges sautaient joyeusement sur le mur, les fleurs de feu étincelaient ; le hibou battait du tambour, le cri-cri chantait, les sauterelles noires jouaient de la guimbarde. En vérité, le bal était fort animé !
Lorsqu’ils eurent assez dansé, la princesse dut s’en retourner, pour qu’on ne s’aperçût pas de son absence au château. Le sorcier offrit de l’accompagner.
Ils s’envolèrent par le mauvais temps, et le compagnon de voyage usa ses trois verges sur leurs épines dorsales. Jamais le sorcier ne s’était promené sous une grêle semblable. Près du château, il fit ses adieux à la princesse, en lui disant tout bas : « Pense à ma tête. »
Mais le compagnon de voyage l’avait entendu.
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