Le monde est trop immense : oh ! que ne suis-je encore sur la console près de la glace ! Je ne serai pas heureuse avant d’y être retournée. Je t’ai suivi dans le monde ; maintenant ramène-moi là-bas, si tu m’aimes véritablement. »
Et le ramoneur lui parla raison ; il lui rappela le vieux Chinois, et le Grand-général-commandant-en-chef-Jambe-de-Bouc. Mais elle sanglotait si fort, et elle embrassa si bien son petit ramoneur, qu’il ne put faire autrement que de lui céder, quoique ce fût insensé.
Ils se mirent à descendre avec beaucoup de peine par la cheminée, se glissèrent dans les tuyaux, et arrivèrent au poêle. Ce n’était pas certes un voyage d’agrément, et ils s’arrêtèrent à la porte du poêle sombre pour écouter et apprendre ce qui se passait dans la chambre.
Tout y était bien tranquille : ils mirent la tête dehors pour voir. Hélas ! le vieux Chinois gisait au milieu du plancher. Il était tombé en bas de la console en voulant les poursuivre, et il s’était brisé en trois morceaux. Tout le dos s’était détaché du reste du corps, et la tête avait roulé dans un coin. Le Grand-général-commandant-en-chef-Jambe-de-Bouc conservait toujours la même position et réfléchissait.
« C’est terrible, dit la petite bergère, le vieux grand-père s’est brisé, et c’est nous qui en sommes la cause ! Oh ! je ne survivrai jamais à ce malheur ! »
Et elle tordait ses petites mains.
« On pourra encore le recoller, dit le ramoneur ; oui, on pourra le recoller. Allons, ne te désole pas ; si on lui recolle le dos et qu’on lui mette une bonne attache à la nuque, il deviendra aussi solide que s’il était tout neuf, et pourra encore nous dire une foule de choses désagréables.
– Tu crois ? » dit-elle.
Et ils remontèrent sur la console où ils avaient été placés de tout temps.
« Voilà où nous en sommes arrivés, dit le ramoneur ; nous aurions pu nous épargner toute cette peine.
– Oh ! si seulement notre vieux grand-père était recollé ! dit la bergère. Est-ce que ça coûte bien cher ? »
Et le grand-père fut recollé. On lui mit aussi une bonne attache dans le cou, et il devint comme neuf. Seulement il ne pouvait plus hocher la tête.
« Vous faites bien le fier, depuis que vous avez été cassé, lui dit le Grand-général-commandant-en-chef-Jambe-de-Bouc. Il me semble que vous n’avez aucune raison de vous tenir si roide ; enfin, voulez-vous me donner la main, oui ou non ? »
Le ramoneur et la petite bergère jetèrent sur le vieux Chinois un regard attendrissant : ils redoutaient qu’il ne se mît à hocher la tête ; mais il ne le pouvait pas, et il aurait eu honte de raconter qu’il avait une attache dans le cou.
Grâce à cette infirmité, les deux jeunes gens de porcelaine restèrent ensemble ; ils bénirent l’attache du grand-père, et ils s’aimèrent jusqu’au jour fatal où ils furent eux-mêmes brisés.
Un soldat marchait sur la grand-route : une, deux ! une, deux ! Il avait le sac sur le dos et le sabre au côté ; il avait fait la guerre, et maintenant il revenait chez lui. Chemin faisant, il rencontra une vieille sorcière ; elle était bien vilaine, sa lèvre inférieure tombait sur sa poitrine.
« Bonsoir, soldat ! dit-elle ; que ton sabre est beau ! que ton sac est grand ! Tu m’as l’air d’un vrai soldat ; aussi je vais te donner autant d’argent que tu voudras.
– Merci, vieille sorcière, répondit le soldat.
– Vois-tu ce grand arbre ? continua la sorcière en désignant un arbre tout voisin ; il est entièrement creux ; monte au sommet, tu verras un grand trou ; laisse-toi glisser par ce trou jusqu’au fond de l’arbre. Je vais te passer une corde autour du corps pour pouvoir te hisser quand tu m’appelleras.
– Que ferai-je dans l’arbre ? demanda le soldat.
– Tu chercheras de l’argent. Une fois au fond de l’arbre, tu te trouveras dans un grand corridor bien éclairé, car il y brûle plus de cent lampes. Tu verras trois portes ; tu pourras les ouvrir, les clefs sont aux serrures. Si tu entres dans la première chambre, tu apercevras, au milieu du plancher, une grosse caisse avec un chien dessus. Les yeux de ce chien sont grands comme des tasses à thé, mais n’y fais pas attention. Je te donnerai mon tablier à carreaux bleus, tu l’étendras sur le plancher ; marche alors courageusement sur le chien, saisis-le, dépose-le sur mon tablier, ouvre la caisse et prends-y autant de sous que tu voudras. Tous sont de cuivre ; si tu aimes mieux l’argent, entre dans la seconde chambre. Là est assis un chien dont les yeux sont aussi grands que la roue d’un moulin : n’y fais pas attention, mets-le sur mon tablier, et prends de l’argent à ta guise. Si c’est de l’or que tu préfères, tu en auras aussi autant que tu voudras ; pour cela, il te suffit d’entrer dans la troisième chambre. Mais le chien qui est assis sur la caisse a des yeux aussi grands que la grosse tour ronde. Crois-moi, c’est un fier chien ! Toutefois n’y fais pas attention : dépose-le sur mon tablier ; il ne te fera aucun mal, et prends alors dans la caisse autant d’or que tu voudras.
– Voilà qui me convient, dit le soldat ; mais que veux-tu que je te donne, vieille sorcière ? Il te faut ta part aussi, je pense.
– Non je ne veux pas un sou : tu m’apporteras seulement le vieux briquet que ma grand-mère a laissé là lors de sa dernière visite.
– Bien ! passe-moi la corde autour du corps.
– La voici ; et voici de même mon tablier à carreaux bleus. »
Le soldat monta sur l’arbre, se laissa glisser par le trou, et se trouva, comme avait dit la sorcière, dans un grand corridor éclairé de cent lampes.
Il ouvrit la première porte : ouf ! le chien était assis, et il fixa sur lui ses yeux grands comme des tasses à thé.
« Tu es un beau garçon », dit le soldat en le saisissant ; il le déposa sur le tablier de la sorcière et prit autant de sous de cuivre qu’en pouvaient contenir ses poches. Puis il ferma la caisse, replaça le chien dessus, et s’en alla vers l’autre chambre.
Eh ! le chien était assis, celui qui avait les yeux grands comme une meule de moulin. « Prends garde de me regarder trop fixement, dit le soldat, tu pourrais gagner mal aux yeux. »
Puis il plaça le chien sur le tablier de la sorcière. Mais, en voyant la grande quantité de monnaie d’argent que contenait la caisse, il jeta tous ses sous de cuivre, et bourra d’argent ses poches et son sac.
Puis il entra dans la troisième chambre. Oh ! c’était horrible ! le chien avait en effet des yeux aussi grands que la tour ronde ; ils tournaient dans sa tête comme des roues.
« Bonsoir », dit le soldat en faisant le salut militaire, car de sa vie il n’avait vu un pareil chien. Mais après l’avoir un peu regardé : « Suffit ! » pensa-t-il : il le descendit à terre et ouvrit la caisse.
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