Grand Dieu ! que d’or il y avait ! Il y avait de quoi acheter toute la ville de Copenhague, tous les porcs en sucre des marchands de gâteaux, tous les soldats de plomb, tous les jouets, tous les dadas du monde ; oui, il y en avait, de l’or.

Le soldat jeta toute la monnaie d’argent dont il avait rempli ses poches et son sac, et il la remplaça par de l’or. Il chargea tellement ses poches, son sac, sa casquette et ses bottes, qu’il pouvait à peine marcher. Était-il riche ! Il remit le chien sur la caisse, ferma la porte, et cria par le trou de l’arbre.

« Maintenant, hissez-moi, vieille sorcière !

– As-tu le briquet ? demanda-t-elle.

– Diable ! je l’avais tout à fait oublié. »

Il retourna pour le chercher. Puis, la sorcière le hissant, il se trouva de nouveau sur la grand-route, les poches, le sac, les bottes et la casquette pleins d’or.

« Que vas-tu faire de ce briquet, demanda le soldat.

– Cela ne te regarde pas. Tu as eu ton argent ; donne-moi le briquet.

– Pas tant de sornettes ! dis-moi tout de suite ce que tu vas en faire, ou je tire mon sabre et je te décapite.

– Non ! » répondit la sorcière.

Le soldat lui coupa la tête. La voilà étendue ; lui, il noua son argent dans le tablier, le chargea sur son dos, mit le briquet dans sa poche, et se rendit à la ville.

C’était une bien belle ville. Il entra dans la meilleure auberge, demanda la meilleure chambre et ses mets de prédilection : il était si riche !

Le domestique qui devait cirer ses bottes trouva étonnant qu’un seigneur aussi riche eût de vieilles bottes si ridicules. Le soldat n’avait pas encore eu le temps de les remplacer ; ce ne fut que le lendemain qu’il se procura de belles bottes et des vêtements tout à fait élégants. Voilà donc le soldat devenu grand seigneur. On lui fit l’énumération de tout ce qu’il y avait de beau dans la ville ; on lui parla du roi et de la charmante princesse, sa-fille.

« Comment faire pour la voir ? demanda le soldat.

– C’est bien difficile ! lui répondit-on. Elle demeure dans un grand château de cuivre, entouré de murailles et de tours. Personne, excepté le roi, ne peut entrer chez elle ; car on a prédit qu’elle serait un jour mariée à un simple soldat, et le roi en est furieux.

– Je voudrais pourtant bien la voir, pensa le soldat ; mais comment obtenir cette permission ? »

En attendant, il menait joyeuse vie, allait au spectacle, se promenait en voiture dans le jardin du roi et faisait beaucoup d’aumônes, ce qui était très beau. Il savait par expérience combien il est dur de n’avoir pas le sou. Maintenant il était riche, il avait de beaux habits, et avec cela des amis qui répétaient en chœur : « Vous êtes aimable, vous êtes un parfait cavalier. » Cela flattait les oreilles du soldat. Mais, comme tous les jours il dépensait de l’argent sans jamais en recevoir, un beau matin, il ne lui resta que deux sous. La belle chambre qu’il habitait, il fallut la quitter et prendre à la place un petit trou sous les toits. Là il était obligé de cirer lui-même ses bottes, de les raccommoder avec une grosse aiguille, et aucun de ses amis ne venait le voir : il y avait trop d’escaliers à monter.

Un soir bien sombre, il n’avait pas eu de quoi s’acheter une chandelle : il se rappela soudain qu’il s’en trouvait un petit bout dans le briquet de l’arbre creux. Il saisit donc le briquet et le bout de chandelle ; mais, au moment même où les étincelles jaillirent du caillou, la porte s’ouvrit tout à coup, et le chien qui avait les yeux aussi grands que des tasses à thé se trouva debout devant lui et dit : « Monseigneur, qu’ordonnez-vous ?

– Qu’est-ce que cela ? s’écria le soldat. Voilà un drôle de briquet ! J’aurai donc de cette manière tout ce que je voudrai ? Vite ! apporte-moi de l’argent. »

Houp ! l’animal est parti. Houp ! le voilà de retour, tenant dans sa gueule un grand sac rempli de sous.

Le soldat savait maintenant quel précieux briquet il possédait. S’il battait une fois, c’était le chien de la caisse aux sous qui paraissait ; battait-il deux fois, c’était le chien de la caisse d’argent ; trois fois, celui qui gardait l’or.

Il retourna dans sa belle chambre, reprit ses beaux habits ; et ses amis de revenir en hâte : ils l’aimaient tant !

Un jour, le soldat pensa : « C’est pourtant une chose bien singulière qu’on ne puisse parvenir à voir cette princesse ! Tout le monde est d’accord sur sa parfaite beauté ; mais à quoi sert la beauté dans une prison de cuivre ? N’y aurait-il pas un moyen pour moi de la voir ? Où est mon briquet ? » Il fit feu. Houp ! voilà le chien avec les yeux comme des tasses à thé qui est déjà présent.

« Pardon ! il est bien tard, dit le soldat, mais je voudrais voir la princesse, ne fût-ce qu’un instant. »

Et voilà le chien parti. Le soldat n’avait pas eu le temps de se retourner qu’il était revenu avec la princesse. Elle était assise sur son dos, si belle qu’en la voyant on devinait une princesse. Le soldat ne put s’empêcher de l’embrasser, car c’était un vrai soldat.

Puis le chien s’en retourna avec la princesse. Mais le lendemain, tout en prenant le thé avec le roi et la reine, elle leur raconta un rêve bizarre qu’elle avait eu la nuit d’un chien et d’un soldat. Elle était montée à cheval sur un chien, et le soldat l’avait embrassée.

« C’est une histoire très jolie », dit la reine.

Cependant, la nuit suivante, on fit veiller une des vieilles dames d’honneur auprès de la princesse, pour voir si c’était un véritable rêve.

Le soldat mourait d’envie de revoir la belle princesse ; le chien revint la nuit, et l’emporta au grand galop. Mais la vieille dame d’honneur mit une paire de bottes à l’épreuve de l’eau et courut bien vite après lui. Lorsqu’elle eut vu la maison où il était entré : « Je sais maintenant l’adresse », pensa-t-elle ; et, avec un morceau de craie, elle fit une grande croix sur la porte. Ensuite elle retourna se coucher, et, peu de temps après, le chien revint aussi avec la princesse.