La rose de buvard gardienne de tous
les secrets et mauvaise conseillère saignait un sang plus épais que
l’écume de mer et qui n’était pas le sien.
La rose de nuages apparaissait sur les villes maudites à l’heure des
éruptions de volcans à l’heure des incendies à l’heure des émeutes et
au-dessus de Paris quand la commune y mêla les veines irisées du
pétrole et l’odeur de la poudre. Elle fut belle au 21 janvier belle au
mois d’octobre dans le vent froid des steppes belle en 1905 à l’heure
des miracles à l’heure de l’amour.
La rose de bois présidait aux gibets. Elle fleurissait au plus haut de
la guillotine puis dormait dans la mousse à l’ombre immense des
champignons.
La rose de fer avait éte battue durant des siècles par des forgerons
d’éclairs. Chacune de ses feuilles était grande comme un ciel
inconnu. Au moindre choc elle rendait le bruit du tonnerre. Mais
qu’elle était douce aux amoureuses désespérées la rose de fer.
La rose de marbre la rose de verre la rose de charbon la rose de papier
buvard la rose de nuages la rose de bois la rose de fer refleuriront
toujours mais aujourd’hui elles sont effeuillées sur ton tapis.
Qui es-tu ? toi qui écrases sous tes pieds nus les débris fugitifs de la rose de marbre de la rose de verre de la rose de charbon de la rose de
papier buvard de la rose de nuages de la rose de bois de la rose de fer.
SIRÈNE-ANÉMONE
1929
Qui donc pourrait me voir
Moi la flamme étrangère
L’anémone du soir
Fleurit sous mes fougères
Ô fougères mes mains
Hors l’armure brisée
Sur le bord des chemins
En ordre sont dressées
Et la nuit s’exagère
au brasier de la rouille
Tandis que les fougères
Vont aux écrins de houille
L’anémone des cieux
Fleurit sur mes parterres
Fleurit encore aux yeux
À l’ombre des paupières
Anémone des nuits
qui plonge ses racines
Dans l’eau creuse des puits,
Aux ténèbres des mines
Poseraient-ils leurs pieds
Sur le chemin sonore
où se niche l’acier
Aux ailes de phosphore
Verraient-ils les mineurs
Constellés d’anthracite
Paraître l’astre en fleur
Dans un ciel en faillite
En cet astre qui luit
S’incarne la sirène
L’anémone des nuits
fleurit sur son domaine
Alors que s’ébranlaient avec des cris d’orage
Les puissances Vertige au verger des éclairs
La sirène dardée à la proue d’un sillage
Vers la lune chanta la romance de fer
Sa nage déchirait l’hermine des marées
Et la comète errant rouge sur un ciel noir
Paraissait par mirage aux étoiles ancrées
L’anémone fleurie aux jardins des miroirs
Et parallèlement la double chevelure
Rayait de feu le ciel et d’écume les eaux
Fougères surgissez hors de la déchirure
Par où l’acier saigna sur le fil des roseaux
Nulle armure jamais ne valut votre angoisse
Fougères pourrissant parmi nos souvenirs
Mais vous charbonnerez longtemps sous nos cuirasses
Avant la flamme où se cabrant pour mieux hennir
Le cheval vieux cheval de retour et de rêve
Vers les champs clos emportera nos ossements
Avant l’onde roulant notre cœur sur la grève
Où la sirène dort sous un soleil clément
L’anémone fleurit partout sous les carènes
Déchirées aux récifs dans l’herbe des forêts
Dans le train des miroirs sur les parquets d’ébène
Et surtout dans nos cœurs palpitant sans arrêt
C’est le joyau serti au vif des nébuleuses
L’orgueil des voies lactées et des constellations
La prunelle qui met au regard des plus gueuses
Le diamant de fureur et de consolation
Heureuse de nager loin des hauts promontoires
Parmi les escadrons de requins fraternels
La sirène aux seins durs connaît maintes histoires
Et l’accès des trésors à l’ombre des tunnels
Mais ni l’or reluisant dans les fosses marines
Ni les clefs retrouvées des légendes du port
Ne la charment autant que d’ouvrir les narines
Aux vents salés plus lourds des parfums de la mort
C’était par un soir de printemps d’une des années perdues à l’amour
D’une des années gagnées à l’amour pour jamais
Souviens-toi de ce soir de pluie et de rosée où les étoiles devenues comètes tombaient vers la terre
La plus belle et la plus fatale la comète de destin de larmes et d’éternels égarements
S’éloignait de mon ciel en se reflétant dans la mer
Tu naquis de ce mirage
Mais tu t’éloignas avec la comète et ta chanson s’éteignit parmi les échos
Devait-elle ta chanson pour jamais
Est-elle morte et dois-je la chercher dans le chœur tumultueux des vagues qui se brisent
Ou bien renaîtra-t-elle du fond des échos et des embruns
Quand à jamais la comète sera perdue dans les espaces
Surgiras-tu mirage de chair et d’os hors de ton désert de ténèbres
Souviens-toi de ce paysage de minuit de basalte et de granit 0ù détachée du ciel une chevelure rayonnante s’abattit sur tes épaules
Quelle rayonnante chevelure de sillage et de lumière
Ce n’est pas en vain que tremblent dans la nuit les robes de soie
Elles échouent sur les rivages venant des profondeurs
Vestiges d’amours et de rivages où l’anémone refuse de s’effeuiller
De céder à la volonté des flots et des destins végétaux
À petits pas la solitaire gagne alors un refuge de haut parage
Et dit qu’il est mille regrets à l’horloge
Non ce n’est pas en vain que palpitent ces robes mouillées
Le sel s’y cristallise en fleurs de givre
Vidées des corps des amoureuses
Et des mains qui les enlaçaient
Elles s’enfuient des gouffres tubéreuses
Laissant aux mains malhabiles qui les laçaient
Les cuirasses d’acier et les corsets de satin
N’ont elles pas senti la rayonnante chevelure d’astres
Qui par une nuit de rosée tomba en cataractes sur tes épaules
Je l’ai vue tomber
Tu te transfiguras
Reviendras-tu jamais des ténèbres
Nue et plus triomphante au retour de ton voyage
Que l’enveloppe scellée par cinq plaies de cire sanglante
Ô les mille regrets n’en finiront jamais
D’occuper cette horloge dans la clairière voisine
Tes cheveux de sargasse se perdent
Dans la plaine immense des rendez-vous manqués
Sans bruit au port désert arrivent les rameurs
Qui donc pourrait te voir toi l’amante et la mère
Incliner à minuit sur le front du dormeur
L’anémone du soir fleurie sous tes paupières
Baiser sa bouche close et baiser ses yeux clos
Incliner sur son front l’immense chevelure
Bérénice de l’ombre ah ! retourne à tes flots
Sirène avant que l’aube ouvre ses déchirures
Une steppe naîtra de l’écume atlantique
Du clair de lune et de la neige et du charbon
où nous emportera la licorne magique
Vers l’anémone éclose au sein des tourbillons
Tempête de suie nuage en forme de cheval
Ah malheur ! Sacré nom de Dieu ! La nuit naufrage
La nuit ? Voici sonner les grelots ! Carnaval
Ferme l’œil ! En vérité le bel équipage
Et dans ce ciel suintant des barriques des docks
Soudain brusquement s’interrompent les rafales
Quand la sirène avec l’aurore atteint les rocs
L’anémone du ciel est la fleur triomphale
C’est elle qui dresse au-dessus des volcans
Jette une lueur blafarde à travers la campagne
C’est l’aile du vautour le cri du pélican
C’est le plan d’évasion qui fait sortir du bagne
C’est le reflet qui tremble aux vitres des maisons
Le sang coagulé sur les draps mortuaires
C’est un voile de deuil pourri sur le gazon
C’est la robe de bal découpée dans un suaire
C’est l’anathème et l’insulte et le juron
C’est le tombeau violé les morts à la voirie
La vérole promise à trois générations
Et c’est le vitriol jeté sur les soieries
C’est le bordel du Christ le tonnerre de Brest
C’est le crachat le geste obscène vers la vierge
C’est un peuple nouveau apparaissant à l’est
C’est le poignard le poison ce sont les verges
C’est l’inverti qui se soumet et s’agenouille
Le masochiste qui se livre au martinet
Le scatophage hideux au masque de gargouille
Et la putain furonculeuse aux yeux punais
C’est l’étreinte écœurante avec la femme à barbe
C’est le ciel reflété par un œil de lépreux
C’est le châtré qui se dénude sous les arbres
Et l’amateur d’urine au sourire visqueux
C’est l’empire des sens anémone l’ivresse
Et le sulfure et la saveur d’un sang chéri
La légitimité de toutes les caresses
Et la mort délicieuse entre des bras flétris
Pluie d’étoiles tombez parmi les chevelures
Je veux un ciel tout nu sur un globe désert
où des brouillards mettront une robe de bure
aux mortes adorées pourrissant hors de terre
Adieu déjà parmi les heures de porcelaine
Regardez le jour noircit au feu qui s’allume dans l’âtre
Regardez encore s’éloigner les herbes vivantes
Et les femmes effeuillant la marguerite du silence
Adieu dans la boue noire des gares
Dans les empreintes de mains sur les murs
Chaque fois qu’une marche d’escalier s’écroule un timide enfant paraît à la fenêtre mansardée
Ce n’est plus dit-il le temps des parcs feuillus
J’écrase sans cesse des larves sous mes pas
Adieu dans le claquement des voiles
Adieu dans le bruit monotone des moteurs
Adieu ô papillons écrasés dans les portes
Adieu vêtements souillés par les jours à trotte-menu
Perdus à jamais dans les ombres des corridors
Nous t’appelons du fond des échos de la terre,
Sinistre bienfaiteur anémone de lumière et d’or
Et que brisé en mille volutes de mercure
Éclate en braises nouvelles à jamais incandescentes
L’amour miroir qui sept ans fleurit dans ses fêlures
Et cire l’escalier de la sinistre descente
Abîme nous t’appelons du fond des échos de la terre
Maîtresse généreuse de la lumière de l’or et de la chute
Dans l’écume de la mort et celle des Finistères
Balançant le corps souple des amoureuses
Dans les courants marqués d’initiales illisibles
Maîtresse sinistre et bienfaisante de la perte éternelle
Ange d’anthracite et de bitume
Claire profondeur des rades mythologie des tempêtes eau purulente des fleuves eau lustrale des pluies et des rosées
Créature sanglante et végétale des marées
Du marteau sur l’enclume au couteau de l’assassin
Tout ce que tu brises est étoile et diamant
Ange d’anthracite et de bitume
Éclat du noir orfraie des vitrines
Des fumées lourdes te pavoisent quand tu poses les pieds
Sur les cristaux de neige qui recouvrent les toits
Haletant de mille journaux flambant après une nuit d’encre fraîche
Les grands mannequins écorchés par l’orage
Nous montrent ce chemin par où nul n’est venu
Où donc est l’oreiller pour mon front fatigué
Où donc sont les baisers où donc sont les caresses
Pour consoler un cœur qui s’est trop prodigué où donc est mon enfant ma fleur et ma détresse
Me pardonnant si des brouillards bandent mes yeux
Si j’ai l’air d’être ailleurs si j’ai l’air un autre
Me pardonnant de croire au noir au merveilleux
D’avoir des souvenirs qui ne soient pas les nôtres
Pardonnant mon passé mon cœur mes cicatrices
D’avoir parcouru seul d’émouvantes contrées
D’avoir été tenté par des voix tentatrices
Et de ne pas l’avoir plus vite rencontrée
Saurait-elle oublier mes rêves d’autrefois
Les fortunes perdues et les larmes versées
L’étoile sans merci brillant au fond des bois
Et les désirs meurtris en des nuits insensées
Et ces phrases tordues comme notre amour même
Et que je murmurais lorsque minuit blafard
Posait ses maigres doigts sur des visages blêmes
Séchant les yeux mouillés et barbouillant les fards
Dans ces temps-là le ciel était lourd de ténèbres
Le sonore minuit conduisait vers mon lit
Des visiteuses sans pitié et plus funèbre
Que la mort l’anémone évoquait la folie
Les fleurs qui s’effeuillaient sur les fruits de l’automne
Laissèrent leurs parfums aux fleurs des compotiers
Et sur le fût tronqué des anciennes colonnes
Le sel des vents marins mit des lueurs de glaciers
Et longtemps ces parfums orgueil des porcelaines
Flotteront dans la paix des salles à manger
Et les cristaux de sel brilleront dans la laine
Des grands manteaux flottants que portent les bergers
Mes baisers rejoindront les larmes qui vont naître
Ils rejoindront la solitude sans pitié
Les vents marins soufflant sur les chaumes sans maîtres
Et les parfums mourants au fond des compotiers
Je suis marqué par mes amours et pour la vie
Comme un cheval sauvage échappé aux gauchos
Qui retrouvant la liberté de la prairie
Montre aux juments ses poils brûlés par le fer chaud
Tandis qu’au large avec de grands gestes virils
La sirène chantant vers un ciel de carbone
Au milieu des récifs éventreurs de barils,
Au cœur des tourbillons fait surgir l’anémone.
L’AVEUGLE
Les yeux clos elle allait dans un pays de nacre
Où la vie assumait la forme d’un croissant
C’était un jour de foire et les jeux de massacre
Retentissaient du rire et des cris des passants
Dans l’eau de l’océan les mines englouties
Recelaient des échos en place de trésors
Les ouvriers lâchant le manche des outils
Incendiaient les forêts et la nouvelle aurore
Répandue à grands flots se brisait aux murailles
La terre tressaillait à l’appel des volcans
Les sorciers découvraient dans le corps des volailles
Le mirage du ciel et d’impurs talismans
Chaque nuit éclairée par les aérolithes
Se déchirait sinistre avec un bruit d’accroc
Et les loups en hurlant surgissaient de leurs gîtes
Pour sceller les cailloux des marques de leurs crocs
Sans souci j’ai suivi le chemin de l’aveugle
Ses pieds trébuchaient sur les dalles des perrons
Mais ses doigts déchiffraient les mufles et les gueules
Des fauves effrayés par le bruit des clairons
Sa bouche ne savait ni chanson ni prière
Ses seins qu’avaient mordus d’anonymes amants
Saillaient sous le corsage et sous ses deux paupières
Deux miroirs reflétaient son attendrissement
Il fleurissait dans l’ombre en roses phosphoriques
Dans un parc de granit de flamme et de métal
Où jamais le refrain grotesque des cantiques
Ne troubla le silence immobile et fatal
Je n’oublierai jamais le docteur imbécile
Qui l’ayant délivrée des nuits de cécité
Mourut en attendant avec un cœur tranquille
Qu’un archange joufflu vînt l’en féliciter
Mais avant d’évoquer au fond de ses prunelles
Un paysage absurde avec ses monuments
Le fer heurtant le fer en crachats d’étincelles
Et les menteurs levant la main pour les serments
Soyez bénis dit-elle au granit de son rêve
Soyez bénis dit-elle aux reflets des cristaux
Le voyage à bon port en cet instant s’achève
Au pied du sémaphore à l’ombre des signaux
Mais aujourd’hui n’est pas mon jour de délivrance
Ce n’est pas moi qu’on rend aux soirs et aux matins
Le rêve prisonnier de mon esprit s’élance
Comme un beau patineur chaussé de ses patins
La terre connaîtra mes cités ténébreuses
Mes spectres minéraux mon cœur sans dimension
Les lilas effeuillés la mort des tubéreuses
La danse que Don Juan et moi-même dansions
Que tous ferment les yeux au temps où mes yeux s’ouvrent
S’il n’est pas tout à moi que me fait l’univers
Avec ses Wesminsters ses Kremlins et ses Louvres
Que m’importe l’amour si mon amant voit clair
Et ce soir célébrant notre mariage atroce
Je plongerai l’acier dans ses yeux adorés
Que mon premier baiser soit un baiser féroce
Et puis je guiderai ses pas mal assurés
Je finirai ma vie en veillant sur sa vie
Je le protégerai des maux et des dangers
Je couvrirai son corps contre l’intempérie
Et je prendrai la lettre aux mains du messager
Je lirai l’heure ardente au cadran de l’horloge
J’aurai pour lui des soins hideux et maternels
Je serai l’infirmière à qui vont les éloges
La maîtresse impérieuse aux ordres sans appel
Le soir qu’éclaboussaient les étoiles filantes
Se déplia comme un serpent sur les pays
Chaque fleur à son tour a fleuri sur les plantes
Et puis voici la mort qui n’a jamais failli
Lits éventrés nuit éternelle éclair des crimes
Incendie allumé dans la maison des fous
Voici venir l’amour du fin fond des abîmes
Voici venir l’amour lampes éteignez-vous !
(26 août 1929)
MOUCHOIRS AU NADIR
Comme l’espace entre eux devenait plus opaque
Le signe des mouchoirs disparut pour jamais
Eux c’était une amante aux carillons de Pâques
Qui revenait de Rome et que l’onde animait
Eux c’était un amant qui partait vers la nuit
Érigée sur la route au seuil des capitales
Eux c’était la rivière et le miroir qui fuit
La porte du sépulcre et le cœur du crotale
Combien d’oiseaux combien d’échos combien de flammes
Se sont unis au fond des lits de cauchemars
Combien de matelots ont-ils brisé leurs rames
En les trempant dans l’eau hantée par les calmars
Combien d’appels perdus à travers les déserts
Avant de se briser aux portes de la ville
Combien de prêtres morts pendus à leurs rosaires
Combien de trahisons dans les guerres civiles
Le signe des mouchoirs qui se perd dans les nuages
Aux ailes des oiseaux fait ressembler le lin
Les filles à minuit contemplent son image
Vol de mouette apparue dans le miroir sans tain
Les avirons ne heurtent plus les flots du port
Les cloches vendredi ne partent plus pour Rome
Tout s’est tu puisqu’un soir l’au revoir et la mort
Ont échangé le sel le vin et la pomme
Les astres sont éteints au zénith qui les porte
Ô Zénith ô Nadir ô ciel tous les chemins
conduisent à l’amour marqué sur chaque porte
Conduisent à la mort marquée dans chaque main
Ô Nadir je connais tes parcs et ton palais
Je connais ton parfum tes fleurs tes créatures
Tes sentiers de vertige où passent les mulets
Du ciel les nuages blancs du soir à l’aventure
Ô Nadir dans ton lit de torrent et cascades
Le négatif de celle aimée la seule au ciel
Se baigne et des troupeaux lumineux de dorades
Paissent l’azur sous les arceaux de l’arc-en-ciel
Ni vierge di déesse et posant ses deux pieds
Sur le croissant de lune et l’anneau des planètes
Dans le ronronnement de tes rouages d’acier
Hors du champ tumultueux fouillé par les lunettes
Vieux Nadir ô pavé au col pur des amantes
Est-ce dans ta volière au parc des étincelles
Qu’aboutissent les vols de mouchoirs et la menthe
L’herbe d’oubli dans tes gazons resplendit-elle ?
DE SILEX ET DE FEU
Éraillé béant abritant peste et démence
Il arrive il pénètre au port le paquebot
Hors de son flanc comme l’intestin d’une panse
La cargaison étonnement des cachalots
Est partie à la dérive au sommet du mât
Flotte un pavillon noir Écartez-vous voilures
Tout l’équipage mort moisit dans les hamacs
Proie de l’épidémie aux yeux de pourriture
Sur l’épaule inclinant le manche de sa faux
Tout à l’heure à midi des bureaux sanitaires
L’épouvante danseuse étique aux bijoux faux
Paraîtra saluée par les cris des fonctionnaires
Déjà le feu pétille il est trop tard trop tard
Le ciel contemple les gestes des sémaphores
Cependant que le flot ronge le coaltar
Au flanc des bâtiments Qu’apparaisse l’aurore
Où les ancres levées aux sanglots des sirènes
Tous ces bateaux prendront la mer en liberté
Qu’ils soient croiseurs chaluts ou trafiquants d’ébène
Ou frégate fantôme aux ordres d’Astarté
Mais je crains qu’à leurs proues les moules par milliers
Ne se fixent avant leur départ vers les rades
Où l’anneau les attend aux pierres des piliers
Où l’on boit le tafia avec les camarades
Que m’importe après tout le sort des matelots
Qu’ils crèvent que le port durant dix quarantaines
Soit affamé tant pis pour le méli-mélo
Tant pis pour les marins et pour les capitaines
Mais au gré des courants flotte la cargaison
La vague la balance et le cap la repousse
La glace et le soleil au gré de la saison
Font péter les caissons où s’accroche la mousse
Où flottent maintenant le poivre et la cannelle
Le café la confiture et les bois précieux
Où sont les essences de fleurs et les flanelles
Les barriques de vin la soie brodée de dieux
Quels poissons ont mangé les viandes et le pain
Et les médicaments et les clous de girofle
La saumure a rempli la gourde des copains
Des épaves se sont échouées au bord des golfes
Mais là n’est pas la mer avec tous ses cadavres
Avec ses tourbillons ses huiles et ses laines
Ses continents déserts ses récifs et ses havres
Ses poissons ses oiseaux ses vents et ses baleines
Non ce n’est pas la mer ni l’eau ni le ressac
Ni l’horizon que brise une explosion d’étoiles
Ni même un naufrageur qui repêche des sacs
Ni la reprise mystérieuse sur la voile
La mer ce n’est pas même un miroir sans visage
Un terme de comparaison pour les rêveurs
Un sujet de pensées pour l’engeance des sages
Pas même un lavoir propre à noyer les laveurs
Ce n’est pas un grimoire où dorment des secrets
Une mine à trésor une femme amoureuse
Une tombe où cacher la haine et les regrets
Une coupe où vider l’Amazone et la Meuse
Non la mer c’est la nuit qui dort pendant le jour
C’est un écrin pillé c’est une horloge brève
Non pas même cela ni la mort ni l’amour
La mer n’existe pas car la mer n’est qu’un rêve
Et moi qui l’appelais à l’assaut de la digue
Je reste au pied des rocs jonchés de goémon
Tandis que le soleil ouvert comme une figue
Saigne sur les tourteaux errant dans le limon
Jamais plus la tempête en sapant les falaises
N’abîmera la ville d’Ys les icebergs
Ne dériveront plus à moins qu’il ne me plaise
De recréer les flots les voiles et les vergues
Déjà sentant la mort et la teinture d’iode
Dans la putréfaction qui comblera les mares
Une flore nouvelle apparaît comme une ode
Vers le ciel impalpable où s’éteignent les phares
De Marenne à Cancale
Y a un long chemin
L’ai fait à fond de cale
Sur un lit de jasmin
De Marenne à Cancale
Y a de bons marins
Des solides des mâles
Et cinq doigts à leurs mains
De Marenne à Cancale
Y a du sable fin
Y a du vent qui hâle
La gueule des gamins
De Marenne à Cancale
Y a morts et vivants
Des moribonds qui râlent
Du soleil et du vent
De Marenne à Cancale
On boit beaucoup de vin
Qui donc qui nous régale
Tout le long du chemin
De Marenne à Cancale
Vogue un fameux lapin
Un fier luron sans gale
Qui saoula les marins
Où donc est ma négresse
Dit le premier marin
On fit avec sa graisse
Quatre grands cierges fins
Découpée charcutée
On l’a mise en un four
Les moines l’ont mangée
Pendant quarante jours
Où donc est ma gonzesse
Dit le second marin
L’est encore à la messe
À prier tous les saints
Je lui ferai connaître
Mon saint Jean mon saint Louis
Car suis-je ou non le maître
Dans ce sacré boui-boui
Où donc le gui Madame
Dit le dernier marin
Qui n’avait pas de femme
Et pas de bague aux mains
Le gui le gui silence
Vous reviendrez un jour
À l’heure de la danse
Chanter au gui l’amour
J’étais aveugle et je croyais qu’il faisait nuit
Est-ce bien toi que je nommais la ténébreuse
O nuit sonore et lumineuse quand s’enfuit
L’aigle du cauchemar aimé des nébuleuses
Byron voyageant en Espagne
Habita longtemps à Tolède
Il y rêvait dans la campagne
Aux plus belles et aux plus laides
Il y fut aimé d’une folle
Il fut aimé d’une Espagnole
Il fut aimé d’une Espagnole
La plus belle de la cité
Mais près du lord la tendre folle
Sentait son cœur la tourmenter
Elle mourut d’amour la belle
Comme on fermait la citadelle
Comme on fermait la citadelle
On l’emporta dans son linceul
Et le lord en rêvant aux belles
Derrière elle marchait tout seul
Le long des rues le peuple en foule
Regardait passer la dépouille
Regardaient passer la dépouille
Les lanceurs de malédictions
Et les bigots au cœur de rouille
Et les traîtres à leurs passions
Mais le lord alors sans mot dire
Marcha vers l’insulte et les rires
Marcha vers l’insulte et les rires
Le lord aux yeux lourds d’océans
Devant lui reculaient les sbires
Les toreros les paysans
Il arriva devant les femmes
Les Pepitas aux lourdes mammes
Les Pepitas aux lourdes mammes
Les gitanes aux noirs cheveux
Les chanteuses les grandes dames
Devant lui baissèrent les yeux
Parvint devant les demoiselles
Bravo Toro ! dit la plus belle
Bravo Toro ! dit la plus belle
Voici mon cœur voici mon corps
Et voici mon amour fidèle
Mes baisers et mes boucles d’or B
yron fut aimé par deux folles
Fut aimé par deux Espagnoles
Est-ce bien toi que je nommais la ténébreuse
Avec tes grands flambeaux brûlant au pied des monts
Avec tes rues et tes parvis et fabuleuse
La dame de minuit l’amoureuse sans nom
Son corps qu’eût dessiné en reliant des étoiles
Sur la carte du ciel dans les constellations
Un astronome de jadis son corps sans voile
Est de ceux pour lesquels s’affrontaient les nations
Dans les vergers du ciel faisant sa promenade
Aux arbres sidéraux elle cueille les fruits
Tandis que les soleils dressés en colonnades
Sous leurs piliers de feu la voient marcher sans bruit
Et le ciel à son tour relégué dans les fables
Retrouve l’océan que je nie à jamais
Les lunes en cristal s’échoueront sur le sable
Où gît l’épave avec ses morts et ses agrès
La peste les marins les étoiles les flots
Les récifs et le bateau fantôme et la peste
La voie lactée et les yeux miteux des hublots
S’enliseront avec les statues au beau geste
Quelle nuit en effet valut nos yeux fermés
Quand visitant les jardins d’or de nos prunelles
Nous écoutions monter l’océan alarmé
Le flux de notre sang battant pour les cruelles.
(1929)
LE POÈME À FLORENCE
Comme un aveugle s’en allant vers les frontières
Dans les bruits de la ville assaillie par le soir
Appuie obstinément aux vitres des portières
Ses yeux qui ne voient pas vers l’aile des mouchoirs
Comme ce rail brillant dans l’ombre sous les arbres
Comme un reflet d’éclair dans les yeux des amants
Comme un couteau brisé sur un sexe de marbre
Comme un législateur parlant à des déments
Une flamme a jailli pour perpétuer Florence
Non pas celle qui haute au détour d’un chemin
Porta jusqu’à la lune un appel de souffrance
Mais celle qui flambait au bûcher quand les mains
Dressées comme cinq branches d’une étoile opaque
Attestaient que demain surgirait d’aujourd’hui
Mais celle qui flambait au chemin de saint Jacques
Quand la déesse nue vers le nadir a fui
Mais celle qui flambait aux parois de ma gorge
Quand fugitive et pure image de l’amour
Tu surgis tu partis et que le feu des forges
Rougeoyait les sapins les palais et les tours
J’inscris ici ton nom hors des deuils anonymes
Où tant d’amantes ont sombré corps âme et biens
Pour perpétuer un soir où dépouilles ultimes
Nous jetions tels des os nos souvenirs aux chiens
Tu fonds tu disparais tu sombres mais je dresse
Au bord de ce rivage où ne brille aucun feu
Nul phare blanchissant les bateaux en détresse
Nulle lanterne de rivage au front des bœufs
Mais je dresse aujourd’hui ton visage et ton rire
Tes yeux bouleversants ta gorge et tes parfums
Dans un olympe arbitraire où l’ombre se mire
Dans un miroir brisé sous les pas des défunts
Afin que si le tour des autres amoureuses
Venait avant le mien de s’abîmer tu sois
Et l’accueillante et l’illusoire et l’égareuse
La sœur des mes chagrins et la flamme à mes doigts
Car la route se brise au bord des précipices
Je sens venir les temps où mourront les amis
Et les amants d’autrefois et d’aujourd’hui
Voici venir les jours de crêpe et d’artifice
Voici venir les jours où les œuvres sont vaines
Où nul bientôt ne comprendra ces mots écrits
Mais je bois goulûment les larmes de nos peines
Quitte à briser mon verre à l’écho de tes cris
Je bois joyeusement faisant claquer ma langue
Le vin tonique et mâle et j’invite au festin
Tous ceux-là que j’aimai. Ayant brisé leur cangue
Qu’ils viennent partager mon rêve et mon butin
Buvons joyeusement ! chantons jusqu’à l’ivresse !
Nos mains ensanglantées aux tessons des bouteilles
Demain ne pourront plus étreindre nos maîtresses.
Les verrous sont poussés au pays des merveilles.
LA VIE ET L’ŒUVRE
DE ROBERT DESNOS
1900, 4 juillet. Naissance de Robert Desnos, à Paris. Son père est mandataire aux Halles. L’enfant passera toutes ses années de jeunesse dans le quartier Saint-Martin, dont les rues se nomment Quincampoix, Nicolas-Flamel ou Saint-Merri et dont l’atmosphère à la fois historique, magique et populaire devait exalter son imagination avant d’inspirer souvent sa poésie. Études à l’école communale, puis, quelque temps, au lycée Turgot. Surtout – à partir de six ou sept ans – il dessine et peint, lit des romans populaires et commence à noter ses rêves.
1917. Le jeune homme, qui a quitté sa famille va, tout en vivant de divers métiers, écrire et publier, d’abord dans des revues ; deux ans plus tard, en 1919, Le Fard des Argonautes et L’Ode à Coco. Il rencontre aussi ses premiers amis : Benjamin Péret, André Breton, Aragon, Tristan Tzara, Ribemont-Dessaignes, qui font déjà partie du mouvement Dada et viennent de créer la revue Littérature (1919).
1920. Robert Desnos fait son service militaire au Maroc.
1922. De retour à Paris, il retrouve ses amis, avec d’autres, en particulier Paul Eluard, Philippe Soupault, René Crevel, enfin tous ceux qu’on appelle maintenant les surréalistes ; il participe aux séances de sommeil hypnotique organisées par ceux-ci (il y apparaît vite comme le plus doué) et collabore à la revue Littérature (« Rrose Sélavy » et des récits de rêves y paraissent cette même année), puis après à La Révolution surréaliste. Jusqu’en 1929, il prend part à toutes les activités du groupe surréaliste, signe la plupart des tracts, fréquente les lieux qui seront bientôt liés à sa légende, du passage de l’Opéra et du bar Certa à la Centrale surréaliste où il rencontrera, en 1924, Raymond Queneau et à la rue du Château où il rencontrera, en 1925, Jacques et Pierre Prévert, Marcel Duhamel et quelques autres.
1924. Deuil pour deuil (Éditions Kra).
1926. C’est les bottes de sept lieues cette phrase « Je me vois », avec des eaux-fortes d’André Masson (Galerie Simon).
1927. La Liberté ou l’amour ! ouvrage condamné et mutilé par jugement du tribunal correctionnel de la Seine (Éditions Kra).
1930. Corps et biens (N. R. F.).
The Night of Loveless Nights, avec des illustrations de Georges Malkine (H. C., Anvers).
Cette même année 1930, Robert Desnos, qui vient de se séparer, avec quelques autres, d’André Breton et de ses disciples, écrit dans un pamphlet : « Le surréalisme est tombé dans le domaine public, à la disposition des hérésiarques, des schismatiques et des athées »… C’est dans le « domaine public » – le journalisme, la radio, la chanson, le cinéma, un moment la publicité – aussi bien que dans la poésie, qu’il en poursuivra désormais l’esprit. À la liste des premiers amis auxquels il est resté fidèle, en particulier Roger Vitrac, le peintre Malkine, le docteur Théodore Fraenkel, il faut en ajouter beaucoup d’autres : Picasso, Miró, Félix Labisse, les Deharme, Armand Salacrou, Henri Jeanson, Jean-Louis Barrault… Et il a fait la rencontre de Youki, qui va devenir sa femme.
1934. Les sans cou, avec des eaux-fortes d’André Masson (H. C.).
1939. Robert Desnos est mobilisé, fait prisonnier puis libéré, et rentre à Paris où il continue à écrire et à publier.
1942. Fortunes (N. R.
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