Vieille Clameur

dans Les Ténèbres 1927

 

Une tige dépouillée dans ma main c’est le monde
La serrure se ferme sur l’ombre et l’ombre met son œil à la serrure
Et voilà que l’ombre se glisse dans la chambre
La belle amante que voila l’ombre plus charnelle que ne l’imagine
    perdu dans son blasphème le grand oiseau de fourrure blanche
    perché sur l’épaule de la belle, de l’incomparable putain qui veille sur le sommeil
Le chemin se calme soudain en attendant la tempête
Un vert filet à papillon s’abat sur la bougie
Qui es-tu toi qui prends la flamme pour un insecte
Un étrange combat entre la gaze et le feu
C’est à vos genoux que je voudrais passer la nuit
C’est à tes genoux
De temps à autre sur ton front ténébreux et calme
    en dépit des apparitions nocturnes, je remettrai en place une mèche de cheveux dérangée
Je surveillerai le lent balancement du temps et de ta respiration
Ce bouton je l’ai trouvé par terre
Il est en nacre
Et je cherche la boutonnière qui le perdit
Je sais qu’il manque un bouton à ton manteau
Au flanc de la montagne se flétrit l’edelweiss
L’edelweiss qui fleurit dans mon rêve et dans tes mains quand elles     s’ouvrent :

Salut de bon matin quand l’ivresse est commune
    quand le fleuve adolescent descend d’un pas nonchalant
    les escaliers de marbre colossaux
    avec son cortège de nuées blanches et d’orties
La plus belle nuée était un clair de lune récemment transformé
    et l’ortie la plus haute était couverte de diamants
Salut de bon matin à la fleur du charbon
    la vierge au grand cœur qui m’endormira ce soir
Salut de bon matin aux yeux de cristal aux yeux de lavande aux yeux de     gypse
    aux yeux de calme plat aux yeux de sanglot aux yeux de tempête
Salut de bon matin salut
La flamme est dans mon cœur et le soleil dans le verre
Mais jamais plus hélas ne pourrons-nous dire encore
Salut de bon matin tous ! crocodiles yeux de cristal orties vierge
    fleur du charbon vierge au grand cœur.

 

 

 

XI. Le Suicidé de nuit

dans Les Ténèbres 1927

 

Les rameaux verts s’inclinent
    quand la libellule apparaît au détour du sentier
J’approche d’une pierre tombale plus transparente
    que la neige blanche comme le lait blanche
    comme la chaux blanche blanche comme les murailles
La libellule patauge dans les flaques de lait
L’armure de verre tremble frémit se met en marche
Les arcs-en-ciel se nouent à la Louis XV
Eh quoi ? déjà le sol dérobé par notre route dresse la main
Se bat avec l’armure de verre
Sonne aux portes
Flotte dans l’air
Crie
Gémit pleure ah ! ah ! ah ! ah ! sillage tu meurs en ce bruit bleu rocher
Les grands morceaux d’éponges qui tombent du ciel recouvrent les     cimetières
Le vin coule avec un bruit de tonnerre
Le lait le sol dérobé l’armure se battent sur l’herbe
    qui rougit et blanchit tour à tour
Le tonnerre et l’éclair et l’arc-en-ciel
Ah ! sillage tu crevasses et tu chantes
La petite fille s’en va à l’école en récitant sa leçon.

 

 

XII. Pour un rêve de jour

dans Les Ténèbres 1927

 

Le meurtre du douanier fut splendide avec le cerne bleu des yeux et     l’accent rauque des canards près de la mare

Le meurtre fut splendide mais déjà le soleil se transformait en robe de     crêpe

Filleule de l’ananas et portrait même des profondeurs de la mer

Un cygne se couche sur l’herbe voici le poème des métamorphoses. Le     cygne qui devient boîte d’allumettes et le phosphore en guise de cravate

Triste fin Métamorphose du silence en silence et chanson-verre du feu     à Neuilly le dimanche éclair qui se désole et rame à contre-courant     du nord magnétique et si peu fait pour comprendre que jamais du     fond des consciences ténébreuses sortir en éclat d’ailes et le fer se     troubler si l’escalier se résorbe en pluie sur l’étrange tissu marin que     parfois les pêcheurs ramènent dans leur filet de cheveux et d’écaille     au grand effroi des Peaux-rouges du tumulus et du signe fatal du     chargé de découvrir l’heure et la vitesse qui sanglote et palpite avec     l’arrêt de la sonnerie qui qui qui et qui ?

Cueille, cueille la rose et ne t’occupe pas de ton destin cueille cueille la     rose et la feuille de palmier et relève les paupières de la jeune fille     pour qu’elle te regarde ÉTERNELLEMENT.

 

 

XIII. Il fait nuit

dans Les Ténèbres 1927

 

Tu t’en iras quand tu voudras
Le lit se ferme et se délace avec délices
    comme un corset de velours noir
Et l’insecte brillant se pose sur l’oreiller
Éclate et rejoint le Noir
Le flot qui martèle arrive et se tait
Samoa la belle s’endort dans l’ouate
Clapier que fais-tu des drapeaux ? tu les roules dans boue
À la bonne étoile et au fond de toute boue
Le naufrage s’accentue sous la paupière
Je conte et décris le sommeil
Je recueille les flacons de la nuit et je les range sur une étagère
Le ramage de l’oiseau de bois se confond
    avec le bris des bouchons en forme de regard
N’y pas aller n’y pas mourir la joie est de trop
Un convive de plus à la table ronde dans la clairière de vert émeraude
    et de heaumes retentissants près d’un monceau d’épées
    et d’armures cabossées
Nerf en amoureuse lampe éteinte de la fin du jour
Je dors

 

 

XIV. Vie d’ébène

dans Les Ténèbres 1927

 

Un calme effrayant marquera ce jour
Et l’ombre des réverbères et des avertisseurs fatiguera la lumière
Tout se taira les plus silencieux et les plus bavards
Enfin mourront les nourrissons braillards
Les remorqueurs les locomotives le vent
Glisser en silence
On entendra la grande voix qui venant de loin passera sur la ville
On l’attendra longtemps
Puis vers le soleil de milord
Quand la poussière les pierres et l’absence de larmes composent
    sur les grandes places désertes la robe du soleil
Enfin on entendra venir la voix
Elle grondera longtemps aux portes
Elle passera sur la ville arrachant les drapeaux et brisant les vitres
On l’entendra
Quel silence avant elle mais plus grand encore le silence
    qu’elle ne troublera pas mais qu’elle accusera du délit de mort     prochaine qu’elle flétrira qu’elle dénoncera
Ô jour de malheurs et de joies
Le jour le jour prochain où la voix passera sur la ville.
Une mouette fantomatique m’a dit qu’elle m’aimait autant que je l’aime
Que ce grand silence terrible était mon amour
Que le vent qui portait la voix était la grande révolte du monde
Et que la voix me serait favorable.

 

 

XV. Désespoir du soleil

dans Les Ténèbres 1927

 

 

Quel bruit étrange glissait le long de la rampe d’escalier au bas de laquelle rêvait la pomme transparente.

Les vergers étaient clos et le sphinx bien loin de là s’étirait dans le sable craquant de chaleur dans la nuit de tissu fragile.

Ce bruit devait-il durer jusqu’à l’éveil des locataires ou s’évader dans l’ombre du crépuscule matinal ? Le bruit persistait. Le sphinx aux aguets l’entendait depuis des siècles et désirait l’éprouver. Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir la silhouette souple du sphinx dans les ténèbres de l’escalier. Le fauve égratignait de ses griffes les marches encaustiquées. Les sonnettes devant chaque porte marquaient de lueurs la cage de l’ascenseur et le bruit persistant sentant venir celui qu’il attendait depuis des millions de ténèbres s’attacha à la crinière et brusquement l’ombre pâlit.

C’est le poème du matin qui commence tandis que dans son lit tiède avec des cheveux dénoués rabattus sur le visage et les draps plus froissés que ses paupières la vagabonde attend l’instant où s’ouvrira sur un paysage de résine et d’agate sa porte close encore aux flots du ciel et de la nuit.

C’est le poème du jour où le sphinx se couche dans le lit de la vagabonde et malgré le bruit persistant lui jure un éternel amour digne de foi.

C’est le poème du jour qui commence dans la fumée odorante du chocolat et le monotone tac tac du cireur qui s’étonne de voir sur les marches de l’escalier les traces des griffes du voyageur de la nuit.

C’est le poème du jour qui commence avec des étincelles d’allumettes au grand effroi des pyramides surprises et tristes de ne plus voir leur majestueux compagnon couché à leurs pieds.

Mais le bruit quel était-il ? Dites-le tandis que le poème du jour commence tandis que la vagabonde et le sphinx bien-aimé rêvent aux bouleversements de paysages. Ce n’était pas le bruit de la pendule ni celui des pas ni celui du moulin à café.

Le bruit quel était-il ? Quel était-il ?

L’escalier s’enfoncera-t-il toujours plus avant ? Montera-t-il toujours plus haut ?

Rêvons acceptons de rêver c’est le poème du jour qui commence.

 

 

 

XVI. Identité des images

dans Les Ténèbres 1927

 

 

Je me bats avec fureur contre des animaux et des bouteilles

Depuis peu de temps peut-être dix heures sont passées l’une après l’autre

La belle nageuse qui avait peur du corail ce matin s’éveille

Le corail couronné de houx frappe à sa porte

Ah ! encore le charbon toujours le charbon

Je t’en conjure charbon génie tutélaire du rêve et da ma solitude laisse-moi laisse-moi parler encore de la belle nageuse qui avait peur du corail

Ne tyrannise plus ce séduisant sujet de mes rêves

La belle nageuse reposait dans un lit de dentelles et d’oiseaux

Les vêtements sur une chaise au pied du lit étaient illuminés par les lueurs les dernières lueurs du charbon

Celui-ci venu des profondeurs du ciel de la terre et de la mer était fier de son bec de corail et de ses grandes ailes de crêpe

Il avait toute la nuit suivi des enterrements divergents vers des cimetières suburbains

Il avait assisté à des bals dans les ambassades marqué de son empreinte une feuille de fougère des robes de satin blanc

Il s’était dressé terrible à l’avant des navires et les navires n’étaient pas revenus

Maintenant tapi dans la cheminée il guettait le réveil de l’écume et le chant des bouilloires

Son pas retentissant avait troublé le silence des nuits dans les rues aux pavés sonores

Charbon sonore charbon maître du rêve charbon

Ah dis-moi où est-elle cette belle nageuse cette nageuse qui avait peur du corail ?

Mais la nageuse elle-même s’est rendormie

Et je reste face à face avec le feu et je resterai la nuit durant à interroger le charbon aux ailes de ténèbres qui persiste à projeter sur mon chemin monotone l’ombre de ses fumées et le reflet terrible de ses braises

Charbon sonore charbon impitoyable charbon.

 

 

XVII. Au petit jour

dans Les Ténèbres 1927

 

Le schiste éclairera-t-il la nuit blanche du liège ?
Nous nous perdrons dans le corridor de minuit avec la calme horreur du sanglot qui meurt
Accourez tous lézards fameux depuis l’antiquité plantes grimpantes carnivores digitales
Accourez lianes
Sifflet des révolte
Accourez girafes
Je vous convie à un grand festin
Tel que la lumière des verres sera pareille à l’aurore boréale
Les ongles des femmes seront des cygnes étranglés
Pas très loin une herbe sèche sur le bord du chemin.

 

 

XVIII. Ténèbres ! O Ténèbres !

dans Les Ténèbres 1927

 

Sycomore effréné fameuse division du temps fleur du silence animal ô rouge rouge et bleu rouge et jaune silice surgie du creux des mains des nuits et des plaines en de féroces exclamations du regard prune éclat de vitre et d’aisselle acrobate ou des tours dressées du fin fond des abîmes à la voix qui dit je l’adore.

Salut c’est plus dur que le marbre et plus éclatant que la terre meuble et plus majestueux ô nuage que le rossignol du palissandre et de l’effroi.

Orgie du métal et des cloques de crapaud je parle et du ciel je l’entends et du soleil je l’imagine.

Taisons-nous mes amis devant les grands abîmes du clos de la veuve en crêpe de Chine. Si tu veux lui obéir en fin de mer et de nuit par les draps de lin blanc que j’atteste et nous avons connu nos draps blancs les premiers.

Féroce et lui de dire à la cigogne et au serpent : « Surgissez à minuit juste dans le lait et dans les yeux. »

Si tu l’abandonnes auprès d’un réverbère que les fleurs seront belles en cornets de bonbons.

Je désire et tu ordonnes et meurent les cricris sauvages dans les colliers d’ambre avec une pluie d’étincelles et de flottement d’étoffe à peine tu l’as su mais tu l’as deviné.

Litre brisé fleur pliante et comme elle avait de beaux yeux et de belles mains du volcan qui le coulisse ah ! crevez donc un homard de lentille microscopique évoluant dans un ciel sans nuage ne rencontrera-t-il jamais une comète ni un corbeau ?

Tes yeux tes yeux si beaux sont les voraces de l’obscurité du silence et de l’oubli.

 

 

 

 

 

XIX. Paroles de rochers

dans Les Ténèbres 1927

 

 

La reine de l’azur et le fou du vide passent dans un cab

À chaque fenêtre s’accoudent les chevelures

Et les chevelures disent : « À bientôt ! »

« À bientôt ! » disent les méduses

« À bientôt ! »disent les soies

Disent les nacres disent les perles disent les diamants

À bientôt une nuit des nuits sans lune et sans étoile

Une nuit de tous les littorals et de toutes les forêts

Une nuit de tout amour et de toute éternité

Une vitre se fend à la fenêtre guettée

Une étoffe claque sur la campagne tragique

Tu seras seul

Parmi les débris de nacre et les diamants carbonisés

Les perles mortes

Seul parmi les soies qui auront été des robes vidées à ton approche

Parmi les sillages de méduses enfuies quand ton regard s’est levé

Seules peut-être les chevelures ne fuiront pas

T’obéiront

Fléchiront dans tes doigts comme d’irrévocables condamnations

Chevelures courtes des filles qui m’aimèrent

Chevelures longues des femmes qui m’aimèrent

Et que je n’aimai pas

Restez longtemps aux fenêtres chevelures !

Une nuit de toutes les nuits du littoral

Une nuit de lustre et de funérailles

Un escalier se déroule sous mes pas et la nuit et le jour ne révèlent à mon destin que ténèbres et échecs

L’immense colonne de marbre le doute soutient seule le ciel sur ma tête Les bouteilles vides dont j’écrase le verre en tessons éclatants

Le parfum du liège abandonné par la mer

Les filets des bateaux imaginés par les petites filles

Les débris de la nacre qui se pulvérise lentement

Un soir de tous les sois d’amour et d’éternité

L’infini profond douleur désir poésie amour révélation miracle révolution amour l’infini profond m’enveloppe de ténèbres bavardes

Les infinis éternels se brisent en tessons ô chevelures ! C’était ce sera une nuit des nuits sans lune ni perle

Sans même de bouteilles brisées.

 

 

XX. Dans bien longtemps

dans Les Ténèbres 1927

 

Dans bien longtemps je suis passé par le château des feuilles
Elles jaunissaient lentement dans la mousse
Et loin les coquillages s’accrochaient désespérément aux rochers de la     mer
Ton souvenir ou plutôt ta tendre présence était à la même place
Présence transparente et la mienne
Rien changé mais tout avait vieilli en même temps que mes tempes et     mes yeux
N’aimez-vous pas ce lieu commun ? laissez-moi laissez-moi c’est si rare     cette ironique satisfaction
Tout avait vieilli sauf ta présence
Dans bien longtemps je suis passé par la marée du jour solitaire
Les flots étaient toujours illusoires
La carcasse du navire naufragé que tu connais – tu te rappelles cette     nuit de tempête et de baisers ? – était-ce un navire naufragé ou un     délicat chapeau de femme roulé par le vent dans la pluie du     printemps était à la même place
Et puis foutaise larirette dansons parmi les prunelliers !
Les apéritifs avaient changé de nom et de couleur
Les arcs-en-ciel qui servent de cadre aux glaces
Dans bien longtemps tu m’as aimé.

 

 

XXI. Jamais d’autre que toi

dans Les Ténèbres 1927

 

Jamais d’autre que toi en dépit des étoiles et des solitudes
En dépit des mutilations d’arbre à la tombée de la nuit
Jamais d’autre que toi ne poursuivra son chemin qui est le mien
Plus tu t’éloignes et plus ton ombre s’agrandit
Jamais d’autre que toi ne saluera la mer à l’aube
quand fatigué d’errer moi sorti des forêts ténébreuses et des buissons     d’orties je marcherai vers l’écume
Jamais d’autre que toi ne posera sa main sur mon front et mes yeux
Jamais d’autre que toi et je nie le mensonge et l’infidélité
Ce navire à l’ancre tu peux couper sa corde
Jamais d’autre que toi
L’aigle prisonnier dans une cage ronge lentement les barreaux de     cuivre vert-de-grisés
Quelle évasion !
C’est le dimanche marqué par le chant des rossignols dans les bois vert     tendre l’ennui des petites filles en présence d’une cage où s’agite un     serin, tandis que dans la rue solitaire le soleil lentement déplace sa     ligne mince sur le trottoir chaud
Nous passerons d’autres lignes
Jamais jamais d’autre que toi
Et moi seul seul seul comme le lierre fané des jardins de banlieue seul     comme le verre
Et toi jamais d’autre que toi.

 

 

XXII. Passé le pont

dans Les Ténèbres 1927

 

La porte se ferme sur l’idole de plomb

Rien désormais ne peut signaler à l’attention publique cette maison     isolée

Seule l’eau peut-être se doutera de quelque chose

Les clairs matins d’automne la corde au cou plongent dans la rivière

Le myosotis petit chien de Syracuse n’appelle jamais plus la fermière     aux yeux pers de son cri de mauvais augure

Du temps de Philippe le Bel à travers les forêts de cristal un grand cri     vient battre les murs recouverts de lierre

La porte se ferme

Taisez-vous ah taisez-vous laissez dormir l’eau froide au bas de son     sommeil

Laissez les poissons s’enfoncer vers les étoiles

Le vent du canapé géant sur lequel reposent les murmures le vent     sinistre des métamorphoses se lève

Mort aux dents mort à la voile blanche mort à la cime éternelle

Laissez-la dormir dis-je laissez-la dormir ou bien j’affirme

    que des abîmes se creuseront

Que tout sera désormais fini entre la mousse et le cercueil

Je n’ai pas dit cela

Je n’ai rien dit

Qu’ai-je dit ?

Laissez laissez-la dormir

Laissez les grands chênes autour de son lit

Ne chassez pas de sa chambre cette humble pâquerette à demi effacée

Laissez laissez-la dormir.

 

 

 

 

XXIII. En sursaut

dans Les Ténèbres 1927

 

Sur la route en revenant des sommets rencontré par les corbeaux et les     châtaignes
Salué la jalousie et la pâle flatteuse
Le désastre. Enfin le désastre annoncé
Pourquoi pâlir, pourquoi frémir ?
Salué la jalousie et le règne animal avec la fatigue avec le désordre avec     la jalousie
Un voile qui se déploie au-dessus des têtes nues
Je n’ai jamais parlé de mon rêve de paille
Mais où sont partis les arbres solitaires du théâtre
Je ne sais où je vais j’ai des feuilles dans les mains
j’ai des feuilles dans la bouche
Je ne sais si mes yeux se sont clos cette nuit sur les ténèbres précieuses     ou sur un fleuve d’or et de flamme
Est-il le jour des rencontres et des poursuites
J’ai des feuilles dans les mains j’ai des feuilles dans la bouche.

 

 

XXIV. De la rose de marbre à la rose de fer

dans Les Ténèbres 1927

 

La rose de marbre immense et blanche était seule sur la place déserte
    où les ombres se prolongeaient à l’infini. Et la rose de marbre seule
    sous le soleil et les étoiles était la reine de la solitude. Et sans
    parfum la rose de marbre sur sa tige rigide au sommet du piédestal     de granit ruisselait de tous les flots du ciel. La lune s’arrêtait
    pensive en son cœur glacial et les déesses des jardins les déesses
    de marbre à ses pétales venaient éprouver leurs seins froids.

La rose de verre résonnait à tous les bruits du littoral. Il n’était pas un     sanglot de vague brisée qui ne la fît vibrer. Autour de sa tige fragile et     de son cœur transparent des arcs en ciel tournaient avec les
    astres. La pluie glissait en boules délicates sur ses feuilles que
    parfois le vent faisait gémir à l’effroi des ruisseaux et des vers
    luisants.

Le rose de charbon était un phénix nègre que la poudre transformait en     rose de feu. Mais sans cesse issue des corridors ténébreux de la mine     où les mineurs la recueillaient avec respect pour la transporter au     jour dans sa gangue d’anthracite la rose de charbon veillait aux
    portes du désert.

La rose de papier buvard saignait parfois au crépuscule quand le soir à     son pied venait s’agenouiller.