À en croire ses souvenirs publiés (Marcel Proust, À un ami, Paris, Amiot-Dumont, 1948, préface de G. de Lauris), Georges de Lauris avait entrepris de défendre l’action de Combes devant Marcel Proust.

4- À l’occasion de l’affaire Dreyfus.

5- Peut-être Joseph Marquis, curé d’Illiers depuis 1872 – voir l’entrée « Marquis, Joseph » dans le Dictionnaire Marcel Proust publié sous la direction de A. Bouillaguet et B. Rogers, Honoré Champion, 2004.

6- Jules Amiot.

7- Il s’agit en fait des lois de Jules Ferry sur la dissolution des congrégations enseignantes non autorisées.

8- Allusion au rejet par Proust, durant l’affaire Dreyfus, de l’argumentation consistant à passer sous silence les manipulations et les erreurs de l’armée, à seule fin de ménager son prestige.

9- Républicain, opposé à la révision de l’affaire Dreyfus, Jules Méline soutenait une doctrine protectionniste.

10- Bertrand de Fénelon.

11- Allusion à Horace, Épîtres, II, 1 : « Græcia capta ferum victorem cepit » (« La Grèce conquise a conquis son farouche vainqueur »).

12- Banquier et homme politique avocat des idées libérales.

13- Député de droite, Conrad de Witt vota néanmoins en faveur de la révision du procès de Dreyfus.

à madame Mathieu de Noailles

Lundi [octobre 1903]1

Madame,

 

Vous êtes infiniment gentille. Je serais ravi de dîner mercredi. Mais je dois sortir jeudi (et ne peux guère faire autrement, c’est une chose déjà remise quatre fois parce que j’ai toujours été malade). Et je ne peux pas sortir deux jours de suite, étant malade plusieurs jours après chaque sortie. J’ai par moments de cette vie où chaque plaisir se paye, sans que d’ailleurs il soit même goûté, cette sorte de « répugnance triste, de sentiment pauvre et désespéré2 » qu’éprouvait la pauvre, chère et sublime Sabine à voir les meubles de son salon remués et son domestique balayant. J’aimerais au moins être retiré, laborieux et fructifiant dans quelque grand monastère dont vous seriez, toute en blanc, l’admirable abbesse. (Bien que mon cléricalisme soit – passagèrement – atténué, parce que je viens de relire l’histoire de l’affranchissement des communes et que je vois tout ce que ces pauvres bourgeois et paysans enthousiastes eurent à souffrir de tous ces cochons. Cela m’a d’autant plus frappé que l’histoire la plus douloureuse et qui donne le plus grand frisson « civique » comme vous diriez, est celle de cette pauvre commune de Vézelay dont je suis allé il y a un mois – au prix de combien de crises d’asthme ! – admirer sans rancune et avec conscience la merveilleuse église abbatiale sans me douter de la cruauté de l’abbé Pons de Monboissier.) Mais j’oublierai tout cela à cause de mon amour des églises où je reviens toujours « Comme la guêpe vole au lis épanoui3 » et puis parce que ces bourgeois étaient encore plus féroces si c’est possible. Et puis je ne sais pas un mot d’histoire. Et je viens de lire Vieux papiers, vieilles maisons et Batz de Lenôtre4. Et tout de même c’est fort que Clemenceau se réclame de la Terreur et en tous cas ne permette pas qu’on l’isole du Bloc. Madame vous n’êtes pas mon confesseur et je ne sais pas pourquoi je ne vous fais grâce d’aucune de mes absurdes pensées et j’essaye d’effacer cette effusion audacieuse par le plus passionné respect.

Marcel Proust.

Dites à Régnier des choses pleines d’admiration et à Beaunier des choses pleines de sympathie.

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1- Lettre publiée dans Corr. Gén. (II, 53-55) ; Kolb (III, 432-434).

2- Citation approximative de La Nouvelle Espérance (1903), roman de la destinataire.

3- Verlaine, Sagesse, II, IV, 7 (« – Certes si tu le veux mériter, mon fils, oui, / Et voici. Laisse aller l’ignorance indécise / De ton cœur vers les bras ouverts de mon Église / Comme la guêpe vole au lis épanoui »).

4- Georges Lenôtre, Paris révolutionnaire. Vieilles maisons, vieux papiers, Paris, Perrin, 1900 ; Georges Lenôtre, Le Baron de Batz. Un conspirateur royaliste sous la Terreur, Paris, Perrin, 1896.

à madame Mathieu de Noailles

Jeudi [décembre 1903]1

Madame,

 

Vous êtes trop gentille. Dans les âges croyants je comprends qu’on aimât la Sainte Vierge, elle laissait s’approcher de sa robe les boiteux, les aveugles, les lépreux, les paralytiques, tous les malheureux. Mais vous êtes meilleure encore, et, à chaque nouvelle révélation de votre grand cœur infini, je comprends mieux la base inébranlable, les assises pour l’éternité de votre génie. Et si cela vous fâche un peu d’être une encore meilleure Sainte Vierge, je dirai que vous êtes comme cette déesse carthaginoise qui inspirait à tous des idées de luxure et à quelques-uns des idées de piété. Madame, il ne faut pas me plaindre, quoique je sois très malheureux. Mais c’est ma pauvre Maman dont je n’ai même pas le courage de penser sincèrement quelle pourra être la vie, quand je me dis que la seule personne pour qui elle vivait (je ne peux même pas dire le seul être qu’elle aimait, depuis la mort de ses parents2, car toute autre affection était si loin de celle-là) elle ne la verra plus jamais. Elle lui avait donné, à un point qui serait à peine croyable à qui ne l’a pas vu, toutes les minutes de sa vie. Toutes maintenant, vidées de ce qui faisait leur raison d’être et leur douceur, viennent lui représenter chacune sous une autre forme et comme autant de mauvaises fées ingénieuses à torturer, le malheur qui ne la quittera plus. Ce n’est pas d’ailleurs que personne puisse s’en rendre compte. Maman est d’une telle énergie (l’énergie qui ne prend aucun air énergique ne laisse pas soupçonner qu’on se domine) qu’il n’y a aucune différence apparente entre elle il y a huit jours et elle aujourd’hui. Mais moi qui sais à quelles profondeurs et avec quelle violence, et pour quelle durée le drame se joue, je ne peux pas ne pas avoir peur. Aussi je ne peux guère penser à mon chagrin.