Adieu. » Bernis repart.

Bernis entre dans la tempête. Elle s’acharne sur l’avion comme les coups de pioche du démolisseur : on en a vu d’autres, on passera. Bernis n’a plus que des pensées rudimentaires, les pensées qui dirigent l’action : sortir de ce cirque de montagnes où la tornade descendante le plonge, où la pluie en rafales est si drue qu’il fait nuit, sauter ce mur, gagner la mer.

Un choc ! Une rupture ? L’avion tout à coup pèse vers la gauche. Bernis le retient d’une main, puis des deux mains, puis de tout son corps. « Nom de Dieu ! » L’avion a repris son poids vers la terre. Voici Bernis ruiné. Une seconde encore, et de cette maison bousculée, et qu’il vient à peine de comprendre, il sera rejeté pour toujours. Plaines, forêts, villages, jailliront vers lui en spirale. Fumée des apparences, spirales de fumée, fumée ! Bergerie culbutée aux quatre coins du ciel…

« Ah ! J’ai eu peur… » Un coup de talon libère un câble. Commande coincée. Quoi ? Sabotage ? Non. Trois fois rien : un coup de talon rétablit le monde. Quelle aventure !

Une aventure ? Il ne reste de cette seconde qu’un goût dans la bouche, une aigreur de la chair. Eh ! mais cette faille entrevue ! Tout n’était là qu’en trompe-l’œil : routes, canaux, maisons, jouets des hommes !…

Passé. Fini. Ici le ciel est clair. La météo l’avait prédit. « Ciel un quart couvert de cirrus. » La météo ? Les isobares ? Les « Systèmes nuageux » du professeur Borjsen ? Un ciel de fête populaire : oui. Un ciel de 14 Juillet. Il fallait dire : « À Malaga c’est jour de fête ! » Chaque habitant possède dix mille mètres de ciel pur sur lui. Un ciel qui va jusqu’aux cirrus. Jamais l’aquarium ne fut si lumineux, si vaste. Ainsi dans le golfe, un soir de régates : ciel bleu, mer bleu, col bleu et les yeux bleu du capitaine. Congé lumineux.

Fini. Trente mille lettres ont passé.

La Compagnie prêchait : courrier précieux, courrier plus précieux que la vie. Oui. De quoi faire vivre trente mille amants… Patience, amants ! Dans les feux du soir on vous arrive. Derrière Bernis les nuages épais, brassés dans une cuve par la tornade. Devant lui une terre vêtue de soleil, l’étoffe claire des prés, la laine des bois, le voile froncé de la mer.

À la hauteur de Gibraltar il fera nuit. Alors un virage à gauche vers Tanger détachera de Bernis l’Europe, banquise énorme, à la dérive…

Encore quelques villes nourries de terre brune puis l’Afrique.