Je vous réitère de passer votre chemin."
Crainquebille la tête basse, et les bras ballants, s'enfonça sous la pluie dans l'ombre.
PUTOIS
A Georges Brandès
I
"Ce jardin de notre enfance, dit M. Bergeret, ce jardin qu'on parcourait tout entier en vingt pas, fut pour nous un monde immense, plein de sourires et d'épouvantes.
Lucien, tu te rappelles Putois? demanda Zoé en souriant à sa coutume, les lèvres closes et le nez sur son ouvrage d'aiguille.
Si je me rappelle Putois!... De toutes les figures qui passèrent devant mes yeux quand j'étais enfant, celle de Putois est restée la plus nette dans mon souvenir. Tous les traits de son visage et de son caractère me sont présents à la mémoire. Il avait le crâne pointu...
Le front bas", ajouta mademoiselle Zoé.
Et le frère et la soeur récitèrent alternativement d'une voix monotone, avec une gravité baroque, les articles d'une sorte de signalement:
"Le front bas.
Les yeux vairons.
Le regard fuyant.
Une patte d'oie à la tempe.
Les pommettes aiguës, rouges et luisantes.
Ses oreilles n'étaient point ourlées.
Les traits de son visage étaient dénués de toute expression.
Ses mains, toujours en mouvement, trahissaient seules sa pensée.
Maigre, un peu voûté, débile en apparence...
Il était en réalité d'une force peu commune.
Il ployait facilement une pièce de cent sous entre l'index et le pouce...
PUTOIS
16
Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables Qu'il avait énorme.
Sa voix était traînante...
Et sa parole mielleuse."
Tout à coup M. Bergeret s'écria vivement:
"Zoé! nous avons oublié "les cheveux jaunes et le poil rare". Recommençons."
Pauline, qui avait entendu avec surprise cette étrange récitation, demanda à son père et à sa tante comment ils avaient pu apprendre par coeur ce morceau de prose, et pourquoi ils le récitaient comme, une litanie.
M. Bergeret répondit gravement:
"Pauline, ce que tu viens d'entendre est un texte consacré, je puis dire liturgique, à l'usage de la famille Bergeret. Il convient qu'il te soit transmis, pour qu'il ne périsse pas avec ta tante et moi. Ton grand−père, ma fille, ton grand−père Éloi Bergeret, qu'on n'amusait pas avec des niaiseries, estimait ce morceau, principalement en considération de son origine. Il l'intitula: L'Anatomie de Putois.
1 comment