Apprends que Putois naquit dans la maturité de l'âge. J'étais encore enfant, ta tante était déjà fillette. Nous habitions une petite maison, dans un faubourg de Saint−Omer. Nos parents y menaient une vie tranquille et retirée, jusqu'à ce qu'ils fussent découverts par une vieille dame audomaroise, nommée Mme Cornouiller, qui vivait dans son manoir de Monplaisir, à cinq lieues de la ville, et qui se trouva être une grand−tante de ma mère. Elle usa d'un droit de parenté pour exiger que notre père et notre mère vinssent dîner tous les dimanches à Monplaisir, où ils s'ennuyaient excessivement.
Elle disait qu'il était honnête de dîner en famille le dimanche et que seuls les gens mal nés n'observaient pas cet ancien usage. Mon père pleurait d'ennui à Monplaisir. Son désespoir faisait peine à voir. Mais Mme Cornouiller ne le voyait pas. Elle ne voyait rien. Ma mère avait plus de courage. Elle souffrait autant que mon père, et peut−être davantage, et elle souriait.
Les femmes sont faites pour souffrir, dit Zoé.
Zoé, tout ce qui vit au monde est destiné à la souffrance. En vain nos parents refusaient ces funestes invitations. La voiture de Mme Cornouiller venait les prendre chaque dimanche, après midi. Il fallait aller à Monplaisir ; c'était une obligation à laquelle il était absolument interdit de se soustraire. C'était un ordre établi, que la révolte pouvait seule rompre. Mon père enfin se révolta, et jura de ne plus accepter une seule invitation de Mme Cornouiller, laissant à ma mère le soin de trouver à ces refus des prétextes décents et des raisons variées, c'est ce dont elle était le moins capable. Notre mère ne savait pas feindre.
Dis, Lucien, qu'elle ne voulait pas. Elle aurait pu mentir comme les autres.
Il est vrai de dire que lorsqu'elle avait de bonnes raisons, elle les donnait plutôt que d'en inventer de mauvaises. Tu te rappelles, ma soeur, qu'il lui arriva un jour de dire, à table: "Heureusement que Zoé a la coqueluche: nous n'irons pas de longtemps à Monplaisir."
C'est pourtant vrai! dit Zoé.
Tu guéris, Zoé. Et Mme Cornouiller vint dire un jour à notre mère: "Ma mignonne, je compte bien que vous viendrez avec votre mari dîner dimanche à Monplaisir." Notre mère, chargée expressément par son mari de présenter à Mme Cornouiller un valable motif de refus, imagina, en cette extrémité, une raison qui n'était pas véritable. "Je regrette vivement, chère madame. Mais cela nous sera impossible. Dimanche, j'attends le jardinier."
PUTOIS
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Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables
"A cette parole, Mme Cornouiller regarda, par la porte−fenêtre du salon, le petit jardin sauvage, où les fusains et les lilas avaient tout l'air d'ignorer la serpe et de devoir l'ignorer toujours. "Vous attendez le jardinier!
Pourquoi? Pour travailler au jardin."
"Et ma mère, ayant tourné involontairement les yeux sur ce carré d'herbes folles et de plantes à demi sauvages, qu'elle venait de nommer un jardin, reconnut avec effroi l'invraisemblance de son invention.
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