Viens, Riquet!... Nous allons nous promener sur les quais. C'est le vrai pays de gloire. Mais l'architecture est bien déchue depuis les temps de Gabriel et de Louis... Où est le chien?... Riquet! Riquet!..."

La voix de M. Bergeret apporta à Riquet un grand réconfort. Il y répondait par le bruit de ses pattes qui, dans la malle, grattaient éperdument la paroi d'osier.

"Où est le chien? demanda M. Bergeret à Pauline qui revenait portant une pile de linge.

RIQUET

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Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables Papa, il est dans la malle.

Comment est−il dans la malle, et pourquoi y est−il? demanda M. Bergeret.

Parce qu'il était stupide", répondit Pauline.

M. Bergeret délivra son ami. Riquet le suivit jusqu'à l'antichambre en agitant la queue. Puis une pensée traversa son esprit. Il rentra dans l'appartement, courut vers Pauline, se dressa contre les jupes de la jeune fille. Et ce n'est qu'après les avoir embrassées tumultueusement en signe d'adoration qu'il rejoignit son maître dans l'escalier. Il aurait cru manquer de sagesse et de religion en ne donnant pas ces marques d'amour à une personne dont la puissance l'avait plongé dans une malle profonde.

Dans la rue, M. Bergeret et son chien eurent le spectacle lamentable de leurs meubles domestiques étalés sur le trottoir. Pendant que les déménageurs étaient allés boire chez le mastroquet du coin, l'armoire à glace de Mlle Zoé reflétait la file des passants, ouvriers, élèves des Beaux−Arts, filles, marchands, et les haquets, les fiacres et les tapissières, et la boutique du pharmacien avec ses bocaux et les serpents d'Esculape. Accoté à une borne, M. Bergeret père souriait dans son cadre, avec un air de douceur et de finesse pâle et les cheveux en coup de vent. M. Bergeret considéra son père avec un respect affectueux et le retira du coin de la borne. Il rangea aussi à l'abri des offenses le petit guéridon de Zoé, qui semblait honteux de se trouver dans la rue.

Cependant, Riquet frotta de ses pattes les jambes de son maître, leva sur lui ses beaux yeux affligés, et son regard disait:

"Toi naguère si riche et si puissant, est−ce que tu serais devenu pauvre? Est−ce que tu serais devenu faible, ô mon maître? Tu laisses des hommes couverts de haillons vils envahir ton salon, ta chambre à coucher, ta salle à manger, se ruer sur tes meubles et les traîner dehors, traîner dans l'escalier ton fauteuil profond, ton fauteuil et le mien, le fauteuil où nous reposions tous les soirs, et bien souvent le matin, à côté l'un de l'autre.