XII

A la tombée de la nuit des puissances malfaisantes rôdent autour de la maison. J'aboie pour que le maître averti les chasse.

XIII

Prière. O mon maître Bergeret, dieu du carnage, je t'adore. Terrible, soit loué! Sois loué, favorable! Je rampe à tes pieds: je te lèche les mains. Tu es très grand et très beau quand tu dévores, devant la table dressée, des viandes abondantes. Tu es très grand et très beau quand, d'un mince éclat de bois faisant jaillir la flamme, tu changes la nuit en jour. Garde−moi dans ta maison à l'exclusion de tout autre chien. Et toi, Angélique la cuisinière, divinité très bonne et très grande, je te crains et je te vénère afin que tu me donnes beaucoup à manger.

XIV

PENSÉES DE RIQUET

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Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables Un chien qui n'a pas de piété envers les hommes et qui méprise les fétiches assemblés dans la maison du maître mène une vie errante et misérable.

XV

Un jour, un broc percé, rempli d'eau, qui traversait le salon, mouilla le parquet ciré. Je pense que ce broc malpropre fut fessé.

XVI

Les hommes exercent cette puissance divine d'ouvrir toutes les portes. Je n'en puis ouvrir seul qu'un petit nombre. Les portes sont de grands fétiches qui n'obéissent pas volontiers aux chiens.

XVII

La vie d'un chien est pleine de dangers. Et pour éviter la souffrance, il faut veiller à toute heure, pendant les repas, et même pendant le sommeil.

XVIII

On ne sait jamais si l'on a bien agi envers les hommes. Il faut les adorer sans chercher à les comprendre. Leur sagesse est mystérieuse.

XIX

Invocation. O Peur, Peur auguste et maternelle, Peur sainte et salutaire, pénètre en moi, emplis−moi dans le danger, afin que j'évite ce qui pourrait me nuire, et de crainte que, me jetant sur un ennemi, j'aie à souffrir de mon imprudence.

XX

Il y a des voitures que des chevaux traînent par les rues. Elles sont terribles. Il y a des voitures qui vont toutes seules en soufflant très fort. Celles−là aussi sont pleines d'inimitié. Les hommes en haillons sont haïssables, et ceux aussi qui portent des paniers sur leur tête ou qui roulent des tonneaux. Je n'aime pas les enfants qui, se cherchant, se fuyant, courent et poussent de grands cris dans les rues. Le monde est plein de choses hostiles et redoutables.

LA CRAVATE

A Madame Félix Decori

M.