La prison ne lui parut ni douloureuse ni humiliante. Elle lui parut nécessaire. Ce qui le frappa en entrant ce fut la propreté des murs et du carrelage. Il dit:
"Pour un endroit propre, c'est un endroit propre. Vrai de vrai! On mangerait par terre."
Laissé seul, il voulut tirer son escabeau, mais il s'aperçut qu'il était scellé au mur. Il en exprima tout haut sa surprise:
"Quelle drôle d'idée! Voilà une chose que j'aurais pas inventé, pour sûr."
S'étant assis, il tourna ses pouces et demeura dans l'étonnement. Le silence et la solitude l'accablaient. Il s'ennuyait et il pensait avec inquiétude à sa voiture mise en fourrière encore toute chargée de choux, de carottes, de céleri, de mâche et de pissenlit. Et il se demandait anxieux: II. L'AVENTURE DE CRAINQUEBILLE
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Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables
"Où qu'ils m'ont étouffé ma voiture?"
Le troisième jour, il reçut la visite de son avocat maître Lemerle, un des plus jeunes membres du barreau de Paris, président d'une des sections de la "Ligue de la Patrie française".
Crainquebille essaya de lui conter son affaire, ce qui ne lui était pas facile, car il n'avait pas l'habitude de la parole. Peut−être s'en serait−il tiré pourtant, avec un peu d'aide. Mais son avocat secouait la tête d'un air méfiant à tout ce qu'il disait, et feuilletant des papiers, murmurait:
"Hum! hum! je ne vois rien de tout cela au dossier..."
Puis, avec un peu de fatigue, il dit en frisant sa moustache blonde:
"Dans votre intérêt, il serait peut−être préférable d'avouer. Pour ma part, j'estime que votre système de dénégations absolues est d'une insigne maladresse."
Et dès lors Crainquebille eût fait des aveux s'il avait su ce qu'il fallait avouer.
III. CRAINQUEBILLE DEVANT LA JUSTICE
Le président Bourriche consacra six minutes pleines à l'interrogatoire de Crainquebille. Cet interrogatoire aurait apporté plus de lumière si l'accusé avait répondu aux questions qui lui étaient posées. Mais Crainquebille n'avait pas l'habitude de la discussion, et dans une telle compagnie le respect et l'effroi lui fermaient la bouche. Aussi gardait−il le silence, et le président faisait lui−même les réponses ; elles étaient accablantes. Il conclut:
"Enfin, vous reconnaissez avoir dit: "Mort aux vaches!"
J'ai dit: "Mort aux vaches!" parce que monsieur l'agent a dit: "Mort aux vaches!" Alors j'ai dit: "Mort aux vaches!"
Il voulait faire entendre qu'étonné par l'imputation la plus imprévue, il avait, dans sa stupeur, répété les paroles étranges qu'on lui prêtait faussement et qu'il n'avait certes point prononcées. Il avait dit: "Mort aux vaches!" comme il eût dit: "Moi! tenir des propos injurieux, l'avez−vous pu croire?"
M. le président Bourriche ne le prit pas ainsi.
"Prétendez−vous, dit−il, que l'agent a proféré ce cri le premier?"
Crainquebille renonça à s'expliquer. C'était trop difficile.
"Vous n'insistez pas. Vous avez raison", dit le président.
Et il fit appeler les témoins.
L'agent 64, de son nom Bastien Matra, jura de dire la vérité et de ne rien dire que la vérité. Puis il déposa en ces termes:
"Étant de service le 20 octobre, à l'heure de midi, je remarquai, dans la rue Montmartre, un individu qui me sembla être un vendeur ambulant et qui tenait sa charrette indûment arrêtée à la hauteur du numéro 328, ce qui occasionnait un encombrement de voitures. Je lui intimai par trois fois l'ordre de circuler, auquel il refusa III.
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