CRAINQUEBILLE DEVANT LA JUSTICE

6

Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables d'obtempérer. Et sur ce que je l'avertis que j'allais verbaliser, il me répondit en criant: "Mort aux vaches!" ce qui me sembla être injurieux."

Cette déposition, ferme et mesurée, fut écoutée avec une évidente faveur par le Tribunal. La défense avait cité madame Bayard, cordonnière, et M. David Matthieu, médecin en chef de l'hôpital Ambroise−Paré, officier de la Légion d'honneur. Madame Bayard n'avait rien vu ni entendu. Le docteur Matthieu se trouvait dans la foule assemblée autour de l'agent qui sommait le marchand de circuler. Sa déposition amena un incident.

"J'ai été témoin de la scène, dit−il. J'ai remarqué que l'agent s'était mépris: il n'avait pas été insulté. Je m'approchai et lui en fis l'observation. L'agent maintint le marchand en état d'arrestation et m'invita à le suivre au commissariat. Ce que je fis. Je réitérai ma déclaration devant le commissaire.

Vous pouvez vous asseoir, dit le président. Huissier, rappelez le témoin Matra.

Matra, quand vous avez procédé à l'arrestation de l'accusé, monsieur le docteur Matthieu ne vous a−t−il pas fait observer que vous vous mépreniez?

C'est−à−dire, monsieur le président, qu'il m'a insulté.

Que vous a−t−il dit?

Il m'a dit: "Mort aux vaches!"

Une rumeur et des rires s'élevèrent dans l'auditoire.

"Vous pouvez vous retirer", dit le président avec précipitation.

Et il avertit le public que si ces manifestations indécentes se reproduisaient, il ferait évacuer la salle.

Cependant la défense agitait triomphalement les manches de sa robe, et l'on pensait en ce moment que Crainquebille serait acquitté.

Le calme s'étant rétabli, maître Lemerle se leva. Il commença sa plaidoirie par l'éloge des agents de la Préfecture, "ces modestes serviteurs de la société, qui, moyennant un salaire dérisoire, endurent des fatigues et affrontent des périls incessants, et qui pratiquent l'héroïsme quotidien. Ce sont d'anciens soldats, et qui restent soldats. Soldats, ce mot dit tout...".

Et maître Lemerle s'éleva, sans effort, à des considérations très hautes sur les vertus militaires. Il était de ceux, dit−il, "qui ne permettent pas qu'on touche à l'armée, à cette armée nationale à laquelle il était fier d'appartenir".

Le président inclina la tête.

Maître Lemerle, en effet, était lieutenant dans la réserve. Il était aussi candidat nationaliste dans le quartier des Vieilles−Haudriettes.

Il poursuivit:

"Non certes, je ne méconnais pas les services modestes et précieux que rendent journellement les gardiens de la paix à la vaillante population de Paris.