La grande mer s’étale au-delà, emplit l’horizon, se déploie le long des côtes. On la voit partout, à l’infini, changeante et vivante, bleue, verte, grise, sombre et radieuse, couleur d’argent, couleur de ciel, couleur de soleil.

À droite c’est Fécamp, plus loin Dieppe, plus loin d’autres plages à peines visibles. À gauche c’est Étretat. Et dans le fond de la valleuse le petit village de Brametot se couche parmi les grands arbres.

Louise revint, grisée de lumière, un peu lasse aussi, car la chaleur était accablante.

— C’est merveilleux, dit-elle, aie donc le courage de descendre.

Ne recevant pas de réponse, elle regarda Bernard. Il n’avait point bougé de sa place. Il dormait.

Alors elle prit son ombrelle et s’assit à gauche de la route, au revers d’un talus.

Au bout de quelques minutes elle tira de sa poche une lettre, une longue lettre de douze pages, qu’elle se mit à lire. De temps à autre un sourire heureux découvrait ses dents blanches. À la fin elle porta les feuilles à sa bouche et les baisa ardemment, passionnément.

Puis elle relut la lettre. Cette fois elle pleura. Puis, l’ayant dissimulée dans son corsage, elle resta longtemps rêveuse.

Elle songeait au passé, à ses espoirs de jeune fille, aux déceptions de son mariage, aux joies aiguës et violentes, si douloureuses aussi, que la vie lui avait offertes depuis quelques mois.

Une cloche sonna midi, tout en bas, à l’église de Brametot.

« Les Langeval tardent bien à venir », se dit-elle.

Leur ami Georges les accompagnait. Elle frémit en pensant à lui. Georges ! ce nom lui caressait les lèvres, l’emplissait de bonheur. Georges ! ce doux enfant qui l’aimait au point de lui écrire chaque jour, et malgré leurs entrevues quotidiennes, de longues lettres d’adoration !

Elle imagina le déjeuner qui allait les réunir tous les cinq en quelque auberge de village. Georges serait là, près d’elle…

Bernard y serait également, soupçonneux et jaloux comme à l’ordinaire…

Un mouvement de révolte la souleva. Elle regarda son mari. Il dormait encore, accoudé au volant, la tête oscillant de droite et de gauche, congestionné, ridicule.

Pour la première fois elle sentit qu’elle le haïssait, mais d’une haine implacable et féroce. Jamais elle n’avait éprouvé ce sentiment. Et voilà soudain qu’elle découvrait en lui le plus cruel et le plus dangereux des ennemis.

Nerveusement elle arracha une tige de genêt qui se balançait près d’elle et en froissa les feuilles et les fleurs.

— Je le déteste ! s’écria-t-elle, je le hais.

Elle se leva et marcha vers la falaise. Mais tout à coup elle s’arrêta, les yeux fixes, le corps secoué de frissons. Ah ! l’abominable, la monstrueuse idée !

Elle fondit en larmes, la tête cachée entre ses mains. Elle ne voulait pas penser à cela, elle ne le voulait pas.

Quelques minutes s’écoulèrent.

Lentement Louise retourna près de la voiture et, montée sur le marchepied de gauche, elle examina Bernard en silence. Il ronflait maintenant, la bouche mi-ouverte, le visage rouge, le cou trop serré par son col.

Elle murmura :

— Bernard !

Puis, plus fort :

— Bernard !

Il ne se réveilla point.

Elle tressaillit. À son insu elle avait porté la main sur l’interrupteur. Eh bien, quoi ? Qu’est-ce que cela signifiait ? N’était-ce pas simplement un jeu, un passe-temps ? Si elle agissait ainsi, c’était pour voir, tout au plus. Que le contact fût établi, il ne s’ensuivait pas… Elle tourna le bouton. Le contact s’établit.

Aussitôt, rapidement, elle passa devant la voiture. Un coup de manivelle.

À moitié réveillé par les premières explosions, Bernard murmura :

— Qu’y a-t-il ?

— Rien… dors… je m’amuse… je vérifie la mise en marche.

Il se rendormit. Maintenant elle était à son côté, contre lui. Avec quelle angoisse elle le surveillait, les yeux fixés sur les paupières closes, comme si elle eût cherché à les clore irrémédiablement.

Elle ne pensait plus. Elle ne luttait plus.