Elle ne luttait plus. Elle obéissait. Des forces la contraignaient à certains gestes. Et ces gestes elle les accomplissait automatiquement. De la main gauche, lentement, mais avec une énergie surhumaine, elle pesa sur la pédale de débrayage. De la main droite elle poussa le levier de changement de vitesse.
Seulement alors elle eut conscience de ce qu’elle faisait. Et elle eût bien voulu, oui, vraiment, il lui semblait qu’elle eût voulu empêcher la chose de se produire. Mais n’était-il pas trop tard ? Y avait-il au monde une puissance capable de s’opposer au relèvement de cette pédale, et par conséquent ?... Il eût fallu que sa main eût une énergie ! Et justement les muscles de ses bras fléchissaient. Sa main devenait insensible, inerte.
Elle lâcha brusquement la pédale et se releva d’un coup.
La voiture, libérée, s’en alla, s’en alla vers l’abîme… Bernard s’agita… Un grand cri… Tout disparut.
Et Louise courut, chancela et tomba évanouie sur le bord de la falaise, exactement comme quelqu’un qui aurait sauté de voiture au moment où un infortuné compagnon, victime d’un accident épouvantable, était précipité dans le vide !...
L’Indifférente
Durant un long voyage de son mari à l’étranger, Marthe Nancel eut à effectuer le trajet de Paris à Chartres. Elle se trouva seule dans son compartiment avec un individu auquel elle n’accorda nulle attention. Or, au sortir de Versailles, comme la nuit tombait, cet homme se jeta sur elle en balbutiant des mots obscènes. Marthe lutta désespérément. Mais les forces lui manquèrent et elle s’évanouit.
À Rambouillet, l’homme descendit alors qu’elle reprenait connaissance. Elle ne le revit jamais. Sur le moment même, elle ne sut pas au juste ce qui s’était passé.
*
M. Nancel revint quatre mois après. Il aimait beaucoup sa femme qui le chérissait également, et c’était pour eux, au retour de chaque séparation, une grande joie de se retrouver. Cependant elle se mit à trembler devant lui, et, sans lui permettre de l’embrasser, elle dit :
— Avant tout, mon ami, je vous dois la vérité.
Elle la lui dit et murmura :
— Je sais aujourd’hui ce qui s’est passé, car… je suis enceinte.
Entre eux, ce fut un drame triste et d’issue fatalement douloureuse. Somme toute, M. Nancel ne crut pas à l’aventure de sa femme, et, pensant qu’elle était grosse des œuvres de quelque amant, il la quitta. Par un reste d’estime, néanmoins, par crainte du scandale, aussi, il ne désavoua pas le fils qu’elle mit au monde. Cet enfant s’appela Georges.
*
Dès le plus bas âge, Georges manifesta les plus méchants instincts et avec une telle violence qu’il était aisé de voir que l’éducation et la sévérité ne pourraient faire autre chose que de les atténuer sans les supprimer. Seule, la tendresse d’une mère eût eu quelque bonne influence, et souvent il semblait la chercher, comme une mauvaise plante qui aspirerait au soleil réconfortant. Mais qu’eût pu lui donner Marthe ? Tout au plus parvenait-elle à refréner sa haine contre celui qui avait brisé sa vie et séparé d’elle pour toujours l’époux aimé. Jamais elle ne le sentit son fils, jamais elle ne le considéra comme un être conçu et porté dans le mystère de ses entrailles et enfanté par l’effort de ses reins et de son ventre.
Il fut un étranger jeté fortuitement au seuil de sa porte, un étranger qu’elle élevait en maugréant, — car, s’il est naturel d’aimer son enfant, il ne l’est pas moins de ne pas aimer un étranger, et qu’était-ce autre chose pour elle ?
Elle vécut seule, plus seule auprès de ce fils que si elle n’en avait point. Aussitôt qu’elle le pût, elle s’en débarrassa et le mit au lycée. Mais il en fut renvoyé et, après deux autres tentatives infructueuses, elle dut le reprendre auprès d’elle.
Et elle se demandait souvent qui pouvait bien être le père de ce garnement intraitable et comment il se faisait que dans le sein d’une femme un homme pût ainsi déposer, avec une goutte de sang, tous ses instincts, tous ses vices, toute sa dépravation ?
Un jour, Georges disparut. Il avait seize ans. Elle était si lasse de lui qu’elle ne fit aucune recherche.
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