Il ronflait maintenant, la bouche mi-ouverte, le visage rouge, le cou trop serré par son col.

Elle murmura :

— Bernard !

Puis, plus fort :

— Bernard !

Il ne se réveilla point.

Elle tressaillit. À son insu elle avait porté la main sur l’interrupteur. Eh bien, quoi ? Qu’est-ce que cela signifiait ? N’était-ce pas simplement un jeu, un passe-temps ? Si elle agissait ainsi, c’était pour voir, tout au plus. Que le contact fût établi, il ne s’ensuivait pas… Elle tourna le bouton. Le contact s’établit.

Aussitôt, rapidement, elle passa devant la voiture. Un coup de manivelle.

À moitié réveillé par les premières explosions, Bernard murmura :

— Qu’y a-t-il ?

— Rien… dors… je m’amuse… je vérifie la mise en marche.

Il se rendormit. Maintenant elle était à son côté, contre lui. Avec quelle angoisse elle le surveillait, les yeux fixés sur les paupières closes, comme si elle eût cherché à les clore irrémédiablement.

Elle ne pensait plus. Elle ne luttait plus. Elle obéissait. Des forces la contraignaient à certains gestes. Et ces gestes elle les accomplissait automatiquement. De la main gauche, lentement, mais avec une énergie surhumaine, elle pesa sur la pédale de débrayage. De la main droite elle poussa le levier de changement de vitesse.

Seulement alors elle eut conscience de ce qu’elle faisait. Et elle eût bien voulu, oui, vraiment, il lui semblait qu’elle eût voulu empêcher la chose de se produire. Mais n’était-il pas trop tard ? Y avait-il au monde une puissance capable de s’opposer au relèvement de cette pédale, et par conséquent ?... Il eût fallu que sa main eût une énergie ! Et justement les muscles de ses bras fléchissaient. Sa main devenait insensible, inerte.

Elle lâcha brusquement la pédale et se releva d’un coup.

La voiture, libérée, s’en alla, s’en alla vers l’abîme… Bernard s’agita… Un grand cri… Tout disparut.

Et Louise courut, chancela et tomba évanouie sur le bord de la falaise, exactement comme quelqu’un qui aurait sauté de voiture au moment où un infortuné compagnon, victime d’un accident épouvantable, était précipité dans le vide !...

 

L’Indifférente

Durant un long voyage de son mari à l’étranger, Marthe Nancel eut à effectuer le trajet de Paris à Chartres. Elle se trouva seule dans son compartiment avec un individu auquel elle n’accorda nulle attention. Or, au sortir de Versailles, comme la nuit tombait, cet homme se jeta sur elle en balbutiant des mots obscènes. Marthe lutta désespérément. Mais les forces lui manquèrent et elle s’évanouit.

À Rambouillet, l’homme descendit alors qu’elle reprenait connaissance. Elle ne le revit jamais. Sur le moment même, elle ne sut pas au juste ce qui s’était passé.

*

M. Nancel revint quatre mois après. Il aimait beaucoup sa femme qui le chérissait également, et c’était pour eux, au retour de chaque séparation, une grande joie de se retrouver. Cependant elle se mit à trembler devant lui, et, sans lui permettre de l’embrasser, elle dit :

— Avant tout, mon ami, je vous dois la vérité.

Elle la lui dit et murmura :

— Je sais aujourd’hui ce qui s’est passé, car… je suis enceinte.

Entre eux, ce fut un drame triste et d’issue fatalement douloureuse. Somme toute, M. Nancel ne crut pas à l’aventure de sa femme, et, pensant qu’elle était grosse des œuvres de quelque amant, il la quitta. Par un reste d’estime, néanmoins, par crainte du scandale, aussi, il ne désavoua pas le fils qu’elle mit au monde.