Et c’était délicieux de les voir.

Mais il en vint une, formidable, monstrueuse, semeuse d’épouvante et de mort, invincible fléau. Ah ! celle-là saurait bien me délivrer de la vie odieuse !

… Ils étaient cinq : le père et la mère, les deux fils — dix-sept et dix-neuf ans — et le mécanicien. Et ce fut la même chose, le même affolement incompréhensible devant ce corps en travers de la route. Un mur à droite : trois d’entre eux s’y brisent le crâne. Les deux autres meurent je ne sais comment.

… Forêt de Saint-Germain. L’endroit me plaît. L’agonie sera douce ici, sur la terre humide et parfumée.

Cette fois ce furent deux Anglais. Comme les autres, ils se jetèrent de côté. L’un mourut. L’autre… l’autre, j’ignore.

… Entre Port-Royal et Dampierre, deux vieilles dames et un adolescent, qui conduit.

… Enghien. Trois personnes.

… Poissy. Quatre.

… Mais, mon Dieu, que, tous ces gens sont stupides ! Tous, tous, sans exception, ils ont le même mouvement irréfléchi et absurde, le même coup de volant brutal. Deux seulement ont pu se redresser, se sauver. Les autres…

… Melun. Une dame et sa fille.

… Pontoise. Je ne sais plus…

Il se produit en moi un sentiment étrange. Comment l’expliquer ? Je n’ose pas, ou plutôt j’ai honte, après tout ce que j’ai dit. Pourtant, il faut l’avouer, d’autant plus que je saurai surmonter cette petite faiblesse. Eh bien ! voilà : j’ai comme une peur vague de mourir. Oui, j’ai peur.

Ah ! C’est que, vous pouvez m’en croire, cela semble si horrible ! Ce n’est pas du tout ce que j’imaginais : la fin d’un mal. Non, c’est le commencement d’un mal. On souffre, je vous le jure. Ah ! ce que l’on souffre ! J’en ai tenu dans mes bras, voyez-vous, qui hurlaient. D’autres ne disaient rien, et c’était plus atroce encore. Ou bien, de petits gémissements… Et les yeux de tous ces êtres ! Et leurs bouches tordues ! Et leurs visages blêmes !

Pauvres jeunes filles dont j’ai senti la dernière convulsion… Pauvres mères… Et tout cela souffrait, criait, pleurait, râlait. Et tout cela est mort. Ils étaient, et ils ne sont plus, et ils ne seront plus jamais. C’est fini. Leurs chairs pourrissent.

Et alors… et alors il se passe ceci, qu’en face de la mort je me mets peu à peu à aimer de nouveau la vie. La vie est meilleure peut-être.