Il vaut mieux tirer mon épée; si mon ennemi craint le fer autant que moi, à peine osera-t-il l'envisager. Accorde-moi pareil ennemi, ciel propice!

(Elle entre dans la caverne.)

BÉLARIUS, revenant de la chasse.--C'est toi, Polydore, qui as été le meilleur chasseur, et tu es le roi de la fête. Cadwal et moi nous serons ton cuisinier et ton domestique, c'est ce qui est convenu. L'industrie cesserait bientôt de prodiguer ses sueurs et périrait sans le salaire pour lequel elle travaille. Entrons; notre appétit donnera de la saveur à ces aliments grossiers. La lassitude dort profondément sur les cailloux, tandis que la mollesse inquiète trouve dur un oreiller de duvet. Que la paix habite ici, pauvre logis qui te gardes toi-même!

GUIDÉRIUS.--Je suis excédé de lassitude.

ARVIRAGUS.--Je suis affaibli par la fatigue, mais l'appétit est vigoureux.

GUIDÉRIUS.--Il nous reste dans la caverne de la viande froide; nous nous en repaîtrons en attendant que notre chasse soit cuite.

BÉLARIUS, regardant dans la caverne.--Arrêtez, n'entrez pas.... Si je ne le voyais pas manger nos provisions, je croirais que c'est une fée.

GUIDÉRIUS.--Qu'y a-t-il donc, seigneur?

BÉLARIUS.--Par Jupiter, un ange! ou si ce n'est pas un ange, c'est le modèle des beautés de la terre! Voyez la divinité, sous les traits d'un jeune adolescent.

(Imogène s'avance à l'entrée de la caverne.)

IMOGÈNE, suppliante.--Bons chasseurs, ne me faites point de mal. Avant d'entrer ici, j'ai appelé, et mon intention était de demander ou d'acheter ce que j'ai pris. En vérité, je n'ai rien dérobé, et je n'aurais rien pris, quand j'aurais l'or semé par terre. Voilà de l'argent pour ce que j'ai mangé: j'aurais laissé cet argent sur la table, aussitôt que j'aurais eu fini mon repas, et je serais parti en priant le ciel pour l'hôte qui m'avait nourri.

GUIDÉRIUS.--De l'argent, jeune homme?

ARVIRAGUS.--Que tout l'argent et l'or deviennent de la fange: il ne vaut pas mieux, excepté pour ceux qui adorent des dieux de fange.

IMOGÈNE.--Je le vois, vous êtes fâché. Apprenez que si vous me tuez pour ma faute, je serais mort si je ne l'avais pas commise.

BÉLARIUS.--Où allez-vous?

IMOGÈNE.--Au havre de Milford.

BÉLARIUS.--Quel est votre nom?

IMOGÈNE.--Fidèle, seigneur.--J'ai un parent qui part pour l'Italie: il s'embarque à Milford: j'allais le rejoindre lorsque, épuisé par la faim, je suis tombé dans cette faute.

BÉLARIUS.--Je te prie, beau jeune homme, ne nous crois pas des rustres, et ne juge pas de la bonté de nos âmes sur l'aspect de l'antre où nous vivons. La rencontre est heureuse. Il est presque nuit; tu feras meilleure chère avant ton départ, et nous te remercierons d'être resté pour la partager.--Mes enfants, souhaitez-lui la bienvenue.

GUIDÉRIUS.--Jeune homme, si tu étais une femme, je te ferais la cour sans relâche, jusqu'à ce que je fusse ton époux. Franchement, je dis ce que je ferais.

ARVIRAGUS.--Moi, je suis satisfait de ce qu'il est un homme. Je l'aimerai comme un frère, et, l'accueil que je ferais à mon frère après une longue absence, tu le recevras de moi. Sois le bienvenu. Sois joyeux; car tu rencontres ici des amis.

IMOGÈNE, à part.--Des amis! Ah! si c'étaient mes frères! que le ciel n'a-t-il permis qu'ils fussent les enfants de mon père! alors le prix de ma personne eût été moins grand, et par là plus en rapport avec toi, Posthumus.

BÉLARIUS.--Il souffre de quelque chagrin.

GUIDÉRIUS.--Que je voudrais l'en affranchir!

ARVIRAGUS.--Et moi aussi, quel qu'il fût, et quoi qu'il m'en coûtât de peines et de dangers! Dieux!

BÉLARIUS.--Écoutez-moi, mes enfants.

(Il leur parle à l'oreille et s'éloigne d'eux.)

IMOGÈNE.--Des grands de la cour qui n'auraient pour palais que cette étroite caverne, qui se serviraient eux-mêmes, et qui, renonçant à ces frivoles tributs de l'inconstante multitude, posséderaient la vertu que leur assurerait leur propre conscience, ne pourraient surpasser ces deux jeunes gens. Pardonnez, grands dieux! mais je voudrais changer de sexe, pour vivre ici avec eux, puisque Posthumus est perfide.

BÉLARIUS.--Il en sera ainsi.--Allons apprêter notre gibier.--(Il se rapproche avec eux d'Imogène.) Beau jeune homme, entrons. La conversation fatigue lorsqu'on est à jeun: après le souper, nous te demanderons poliment ton histoire, et tu nous en diras ce qu'il te plaira.

GUIDÉRIUS.--Je te prie, entre avec nous.

ARVIRAGUS.--La nuit est moins bienvenue pour le hibou, et le matin pour l'alouette.

IMOGÈNE.--Je vous rends grâces.

ARVIRAGUS.--Je t'en prie, approche.

(Tous trois entrent dans la caverne.)


SCÈNE VII

Rome.

Entrent DEUX SÉNATEURS et des TRIBUNS.


PREMIER SÉNATEUR.--Voici la teneur des ordres de l'empereur: Puisque les soldats ordinaires sont maintenant occupés contre les Pannoniens et les Dalmates, et que les légions des Gaules sont trop faibles pour entreprendre la guerre contre les Bretons rebelles, nous devons exciter la noblesse à y prendre part. Il crée Lucius proconsul, et il vous donne à vous, tribuns, ses pleins pouvoirs pour faire cette levée.--Vive César!

LES TRIBUNS.--Lucius est-il général de l'armée?

SECOND SÉNATEUR.--Oui, tribuns. Il est pour le moment en Gaule.

PREMIER SÉNATEUR.--Avec les légions dont je vous parlais et que vos recrues doivent renforcer. Votre commission vous marque le nombre d'hommes et le moment de leur départ.

LES TRIBUNS.--Nous ferons notre devoir.

(Ils sortent.)

FIN DU TROISIÈME ACTE.



ACTE QUATRIÈME


SCÈNE I

Forêt près de la caverne.

Entre CLOTEN.


CLOTEN.--Me voici tout près des lieux où ils doivent se rejoindre, si Pisanio m'en a donné la carte fidèle. Que ses habits me vont bien! Pourquoi sa maîtresse ne m'irait-elle pas aussi bien, elle fut faite par celui qui a fait le tailleur (révérence parler), et d'autant plus que la femme, dit-on, va bien ou mal par caprice. Il faut que sous ce déguisement j'en fasse l'épreuve.--J'ose me l'avouer tout haut à moi-même (car il n'y a pas de vanité à parler à son miroir, seul dans sa chambre), mon corps est aussi bien dessiné que celui de ce Posthumus: je suis aussi jeune, plus robuste; je ne lui cède point en fortune; j'ai l'avantage sur lui par les circonstances; je le surpasse en naissance; je le vaux bien dans les occasions générales, et je me montre mieux que lui dans les combats particuliers; cependant cette petite entêtée l'aime au mépris de moi!

Ce que c'est que la vie de l'homme! Posthumus, ta tête, qui maintenant s'élève sur tes épaules, dans une heure sera abattue; ta maîtresse violée et tes habits déchirés en pièces sous tes yeux; et, tout cela fait, je la traîne à son père; il pourra d'abord m'en vouloir un peu d'avoir traité si rudement sa fille; mais ma mère régente son humeur; elle saura bien tourner le tout à mon éloge.--Mon cheval est bien attaché.--Allons, sors mon épée et dans un but sanguinaire. Fortune, amène-les sous ma main.--Oui, je reconnais ici la description que Pisanio m'a faite du lieu de leur rendez-vous, et ce misérable n'oserait me tromper.

(Il sort.)


SCÈNE II

A l'entrée de la caverne.

BÉLARIUS, GUIDÉRIUS, ARVIRAGUS et IMOGÈNE
sortent de la caverne.


BÉLARIUS, à Imogène.--Tu n'es pas bien, demeure ici, dans la caverne; après notre chasse nous viendrons te retrouver.

ARVIRAGUS.--Reste ici, mon frère; ne sommes-nous pas frères?

IMOGÈNE.--L'homme et l'homme devraient l'être; cependant nous voyons que l'argile et l'argile diffèrent en dignité, quoique leur poussière soit la même.--Je suis bien malade.

GUIDÉRIUS.--Allez à la chasse, moi, je veux rester avec lui.

IMOGÈNE.--Je ne suis pas si malade, quoique je ne me sente pas bien; mais je ne suis pas de ces citadins efféminés qui paraissent morts avant même d'être malades. Je vous prie, laissez-moi, allez à vos affaires de tous les jours: interrompre ses habitudes, c'est interrompre tout. Je suis malade, mais votre présence ne me guérirait pas. La société n'est pas une consolation pour ceux qui ne sont pas sociables. Je ne suis pas très-malade, puisque je peux encore en raisonner.