car les dupes... (Entre Pisanio.) Qui va là? Quoi! tu t'esquives? Approche ici: ah! c'est toi, vil entremetteur: misérable, où est ta maîtresse? Réponds en un mot, ou bien tu vas tout droit voir les démons.
PISANIO.--O mon bon prince!
CLOTEN.--Où est ta maîtresse? Par Jupiter, je ne te le demanderai pas une fois de plus. Discret scélérat, je tirerai ce secret de ton coeur, ou je t'ouvre le coeur pour l'y trouver. Est-elle avec ce Posthumus, duquel on ne pourrait tirer une seule drachme de mérite au milieu d'un grand poids de bassesse?
PISANIO.--Hélas! seigneur! comment serait-elle avec lui? Quand a-t-elle disparu? Posthumus est à Rome.
CLOTEN.--Où est-elle? Allons, approche encore: point de vaines défaites: satisfais-moi sans détour; qu'est-elle devenue?
PISANIO.--O mon digne prince!
CLOTEN.--O mon digne scélérat! découvre-moi où est ta maîtresse. Au fait, en un seul mot.--Plus de digne prince!--Parle, ou ton silence te vaut à l'instant ton arrêt et ta mort.
PISANIO lui présente un écrit.--Eh bien! seigneur, ce papier renferme l'histoire de tout ce que je sais sur son évasion.
CLOTEN.--Voyons-le; je la poursuivrai jusqu'au trône d'Auguste. Donne, ou tu meurs.
PISANIO, à part.--Elle est assez loin: tout ce qu'il apprend par cet écrit peut le faire voyager; mais sans danger pour elle.
CLOTEN, lisant.--Hum!
PISANIO, à part.--Je manderai à mon maître qu'elle est morte. O Imogène! puisses-tu errer en sûreté, et revenir un jour en sûreté!
CLOTEN.--Coquin: cette lettre est-elle véritable?
PISANIO.--Oui, prince, à ce que je crois.
CLOTEN.--C'est l'écriture de Posthumus; je la connais.--Drôle! si tu voulais ne pas être un misérable, mais me servir fidèlement, employer sérieusement ton industrie dans tous les offices dont j'aurais occasion de te charger; j'entends que quelque fourberie que je te commande, tu voulusses l'exécuter à la lettre et loyalement, alors je te croirais un honnête homme, et tu ne manquerais ni de moyens de subsistance, ni de ma protection pour avancer ta fortune.
PISANIO.--Eh bien! mon bon seigneur?
CLOTEN.--Veux-tu me servir? Puisqu'avec tant de constance, tant de patience, tu restes attaché à la stérile fortune de ce misérable Posthumus, tu dois, à plus forte raison, par reconnaissance, t'attacher à la mienne en zélé serviteur. Veux-tu me servir?
PISANIO.--Seigneur, je le veux bien.
CLOTEN.--Donne-moi ta main: voici ma bourse. N'as-tu pas en ta possession quelque habit de ton ancien maître?
PISANIO.--Seigneur, j'ai à mon logement l'habit même qu'il portait lorsqu'il a pris congé de ma dame et maîtresse.
CLOTEN.--Ton premier service, c'est de m'aller chercher cet habit: que ce soit ton premier service; va.
PISANIO.--J'y vais, seigneur. (Il sort.)
CLOTEN.--Te joindre au havre de Milford?--J'ai oublié de lui demander une chose; mais je m'en souviendrai tout à l'heure.--Là même, misérable Posthumus, je veux te tuer.--Je voudrais que cet habit fût déjà venu. Elle disait un jour (l'amertume de ces paroles me soulève le coeur) qu'elle faisait plus de cas de l'habit de Posthumus que de ma noble personne, ornée de toutes mes qualités. Je veux, revêtu de cet habit, abuser d'elle; et d'abord le tuer, lui, sous les yeux de sa belle: elle verra alors ma valeur, et après ces mépris ce sera pour elle un tourment. Lui à terre, après ma harangue d'insulte finie sur son cadavre, lorsque ma passion sera rassasiée, ce que je veux, comme je le dis, accomplir pour la vexer, dans les mêmes habits dont elle faisait tant de cas, alors je la fais revenir à la cour et la fais marcher à pied devant moi. Elle s'égayait à me mépriser, je m'égayerai aussi moi à me venger. (Pisanio revient avec l'habit.) Sont-ce là ces habits?
PISANIO.--Oui, mon noble seigneur.
CLOTEN.--Combien y a-t-il qu'elle est partie pour le havre de Milford?
PISANIO.--A peine peut-elle y être arrivée à présent.
CLOTEN.--Porte ces vêtements dans ma chambre; c'est la seconde chose que je t'ai commandée. La troisième est que tu deviennes volontairement muet sur mes desseins. Songe à m'obéir, et la fortune viendra d'elle-même s'offrir à toi.--C'est à Milford qu'est maintenant ma vengeance! Que n'ai-je des ailes pour l'y atteindre.--Va, sois-moi fidèle.
(Il sort revêtu de l'habit de Posthumus.)
PISANIO.--Tu me commandes ma perte; car t'être fidèle, c'est devenir ce que je ne serai jamais, traître à l'homme le plus fidèle.--Va, cours à Milford, pour n'y pas trouver celle que tu poursuis.--Ciel! verse, verse sur elle tes bénédictions! Que les obstacles traversent l'empressement de cet insensé, et qu'un vain labeur soit son salaire!
(Pisanio sort.)
SCÈNE VI
Devant la caverne de Bélarius.
Entre IMOGÈNE en habit d'homme.
IMOGÈNE.--Je vois que la vie d'un homme est pénible; je me suis fatiguée, et ces deux nuits la terre m'a servi de lit. Je serais malade si ma résolution ne me soutenait. O Milford! lorsque du sommet de la montagne Pisanio te montrait à moi, tu étais à la portée de ma vue! ô Jupiter! je crois que les murs fuient devant les malheureux; ceux du moins, où ils trouveraient des secours. Deux mendiants m'ont dit que je ne pouvais pas me tromper de chemin. Les pauvres gens, accablés de misère, peuvent-ils mentir sachant que leurs maux sont un châtiment ou une épreuve? Oui, il n'y aurait rien d'étonnant, puisque les riches mêmes disent à peine la vérité. Tromper dans l'abondance est un plus grand crime que de mentir pressé par la misère; et la fausseté chez les rois est bien plus criminelle que chez les mendiants. Mon cher seigneur, et toi aussi tu es du nombre des hommes perfides!.... Maintenant que je songe à toi, ma faim est passée; il y a un moment, j'étais prête à défaillir d'épuisement. Mais que vois-je?--Un sentier mène à cette caverne!--C'est quelque repaire sauvage.--Je ferais mieux de ne pas appeler. Je n'ose appeler.--Pourtant la faim, tant qu'elle n'a pas triomphé de la nature, rend intrépide. La paix et l'abondance engendrent les lâches; la nécessité fut toujours la mère de l'audace. Holà, qui est ici? S'il y a quelque être civilisé, parlez; si vous êtes sauvages, prenez ou rendez-moi la vie. Holà?.... Nulle réponse.--Alors, je vais entrer.
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