Lorsque ensuite il enfila chemise et pantalon, le soldat et lui ne se tinrent plus de rire, car enfin ces vêtements étaient par-derrière fendus en deux. Peut-être que le condamné se sentait obligé d’amuser le soldat, car il virevoltait devant lui dans ses hardes, tandis que l’autre, agenouillé par terre, se tapait sur les cuisses en riant. Ils se ressaisirent tout de même enfin par égard pour la présence de ces messieurs.

Quand l’officier, là-haut, eut enfin fini, il parcourut encore d’un regard souriant toutes les parties de l’ensemble, referma cette fois le couvercle de la traceuse qui était jusque-là resté levé, redescendit, regarda au fond de la fosse et puis en direction du condamné, nota avec satisfaction que ce dernier avait récupéré ses vêtements, se dirigea ensuite vers le seau pour se laver les mains, en constata trop tard la repoussante saleté, s’attrista de ne pouvoir donc s’y laver les mains, les plongea finalement – sans que cette solution de remplacement lui convînt, mais il fallait faire contre mauvaise fortune bon cœur – dans le sable, puis se redressa et se mit à déboutonner sa vareuse d’uniforme. Ce faisant, il reçut d’abord dans les mains les deux mouchoirs de dame qui étaient coincés dans son col.

Tiens tes mouchoirs ! dit-il en les lançant au condamné, et il ajouta en guise d’explication à l’adresse du voyageur : Cadeau des dames !

En dépit de la hâte manifeste qu’il mettait à déboutonner sa vareuse, puis à se déshabiller entièrement, il maniait néanmoins chaque vêtement avec le plus grand soin, et même il lissa du doigt, tout spécialement, les cordelières d’argent de sa vareuse, tapotant même un gland pour qu’il tombât d’aplomb. Ce qui à vrai dire n’allait guère avec tant de méticulosité, c’est qu’à peine en avait-il fini avait une pièce de vêtement qu’il la jetait d’un geste hargneux dans la fosse. Pour finir, il ne lui resta plus que sa courte épée avec sa bretelle. Il tira l’épée du fourreau, la brisa en deux, puis en saisit tout à la fois les morceaux, le fourreau et la bretelle, et les jeta si violemment qu’ils allèrent tinter les uns contre les autres au fond de la fosse.

Il était maintenant nu. Le voyageur se mordit les lèvres et ne dit rien. Il savait bien ce qui allait arriver, mais il n’avait aucun droit d’empêcher l’officier de faire quoi que ce fût. Si effectivement cette procédure judiciaire à laquelle l’officier était attaché était si près d’être abolie – éventuellement à la suite d’une intervention à laquelle le voyageur se sentait pour sa part tenu –, alors l’officier se comportait à présent de façon tout à fait judicieuse ; le voyageur, à sa place, n’aurait pas agi autrement.

Le soldat et le condamné ne comprirent tout d’abord rien, au début ils ne regardèrent même pas. Le condamné était très content d’avoir récupéré les mouchoirs, mais il n’eut pas loisir de s’en réjouir longtemps, car le soldat les lui chipa d’un geste vif et imprévisible. Alors, le condamné tenta de les lui reprendre, coincés qu’ils étaient sous le ceinturon du soldat, mais celui-ci était vigilant. Ils se disputaient ainsi, à moitié pour rire. Ce n’est que quand l’officier fut entièrement nu qu’ils devinrent attentifs. Le condamné, en particulier, parut être frappé par le pressentiment de quelque grand revirement. Ce qui lui était arrivé à lui arrivait maintenant à l’officier. Peut-être que les choses allaient être poussées jusqu’à leur terme extrême. C’était vraisemblablement le voyageur étranger qui en avait donné l’ordre. C’était donc la vengeance. Sans avoir lui-même souffert jusqu’au bout, voilà qu’on le vengeait tout de même jusqu’au bout. Un grand rire silencieux se peignit alors sur sa face et n’en disparut plus.

L’officier, lui, s’était tourné vers la machine. S’il était déjà clair auparavant qu’il la comprenait bien, la façon dont maintenant il la maniait et dont elle lui obéissait avait quasiment de quoi vous sidérer. Il n’avait fait qu’approcher sa main de la herse, et elle monta et descendit plusieurs fois jusqu’à atteindre la bonne position pour l’accueillir ; il ne saisit le lit que par son rebord, et déjà il se mettait à vibrer ; le tampon vint au-devant de la bouche de l’officier, on vit que celui-ci n’en voulait pas vraiment, mais son hésitation ne dura qu’un instant, il se soumit bien vite et prit le tampon dans sa bouche. Tout était paré, seules les sangles pendaient encore par côté, mais elles étaient manifestement inutiles, l’officier n’avait pas besoin d’être attaché. C’est alors que le condamné remarqua ces sangles lâches, à son avis l’exécution n’était pas parfaite si elles n’étaient pas bouclées, il adressa au soldat un signe pressant, et ils coururent tous deux ligoter l’officier. Celui-ci avait déjà tendu un pied pour donner une poussée à la manivelle qui mettrait en marche la traceuse ; il vit alors que les deux autres s’étaient approchés ; il ramena donc son pied et se laissa attacher. Seulement, maintenant, il ne pouvait plus atteindre la manivelle ; ni le soldat ni le condamné ne la trouveraient, et le voyageur était résolu à ne pas bouger. Ce ne fut pas nécessaire ; à peine les sangles étaient-elles en place que déjà la machine se mettait au travail ; le lit vibrait, les aiguilles dansaient sur la peau, la herse volait, tour à tour montant et descendant. Le voyageur regardait fixement depuis un moment déjà quand il se rappela qu’un rouage de la traceuse aurait dû grincer ; mais tout était silencieux, on n’entendait pas le moindre ronronnement.

Par ce travail silencieux, la machine se dérobait littéralement à l’attention. Le voyageur regarda du côté du soldat et du condamné.