Il parut d’un seul coup très las, ratatiné, immensément vieux, comme si le terrifiant impact de la balle l’avait paralysé sans le terrasser. Ensuite, au bout d’un temps qui me parut très long (il ne devait toutefois pas s’être écoulé plus de cinq secondes), il s’affaissa sur les genoux. Un filet de bave coulait de sa bouche. Il paraissait maintenant infiniment vieux, à croire qu’il était âgé de plusieurs milliers d’années. Je fis à nouveau feu, visant au même endroit. Cette fois encore, il ne s’écroula pas : au contraire, avec une tragique lenteur il se remit sur ses pieds et se tint tant bien que mal debout, chancelant, tandis que sa tête s’affaissait. Je tirai une troisième balle. C’était le coup de grâce. On pouvait voir la douleur irradier à travers tout son corps privant les jambes de leurs dernières forces. Mais alors qu’il s’effondrait, il parut, l’espace d’un instant, se redresser. Tandis que ses jambes postérieures ployaient, sa trompe se dressa vers le ciel comme un arbre : on eût dit une énorme masse rocheuse s’élevant quelque peu, juste avant de basculer. Il barrit pour la seule et unique fois. Puis il s’abattit, me présentant son ventre, et sa chute ébranla le sol avec une telle force que je perçus la secousse de l’endroit où je me trouvais.
Je me levai. Les Birmans traversaient déjà en courant l’étendue boueuse. Il était évident que l’éléphant ne se relèverait plus jamais, mais il n’était pas encore mort. Il respirait en cadence, en poussant de longs râles sonores, tandis que la masse puissante de son flanc se soulevait et s’abaissait péniblement. Il avait la bouche grande ouverte, offrant à mon regard les cavernes rose pâle de sa gorge. Un long moment je restai là, attendant sa mort, mais son souffle ne s’éteignait pas. Finalement, je tirai mes deux dernières balles en visant ce que je jugeais être la région du coeur. Un flot de sang épais, pareil à du velours rouge, jaillit de sa blessure, mais l’animal ne voulait toujours pas mourir. Son corps n’avait même pas tressailli quand les balles l’avaient atteint, et la respiration agonisante continuait sans s’interrompre. Il mourait très lentement, en proie à une immense souffrance, mais dans un monde très loin du nôtre, un monde où aucune balle ne pouvait plus l’atteindre. Je devais à tout prix faire cesser ce bruit atroce. C’était affreux de voir cet énorme animal couché à terre, ne pouvant bouger et ne pouvant davantage mourir – et d’être incapable de mettre un terme à ses souffrances. Je me fis donc apporter ma Winchester et déchargeai l’arme coup sur coup dans le coeur et la gorge. Les balles semblaient n’avoir aucun effet. Le râle torturé continuait, implacable comme le tic-tac d’une horloge.
Finalement, incapable de supporter plus longtemps ce spectacle, je m’en allai. Je sus par la suite que l’éléphant avait mis une demi-heure à mourir. Mais avant mon départ, les Birmans étaient déjà arrivés, avec des couteaux et des paniers et, à ce que j’appris, dans le courant de l’après-midi la bête était pratiquement réduite à l’état de carcasse.
Plus tard, naturellement, il y eut d’interminables discussions sur la mort de cet éléphant. Son propriétaire était furieux, mais ce n’était qu’un Indien, qui n’avait aucun pouvoir.
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