Dialogues des Carmélites
Les Dialogues des Carmélites, de Georges Bernanos, sont un travail de commande : Bernanos avait été chargé de composer les dialogues d’un scénario cinématographique, lui-même tiré de la célèbre nouvelle de Gertrud von Le Fort, la Dernière à l’échafaud. Le thème est la marche au martyre de seize Carmélites de Compiègne, qui furent guillotinées en place de Grève, le 17 juillet 1794. De cette trame, Bernanos a conservé la ligne générale et il n’en a pas altéré le sens profond : c’est le mystère de la peur qu’il exprime, développant ici un thème qui était depuis l’adolescence au centre de sa vie, de sa méditation et de son œuvre littéraire. Et pourtant l’œuvre est devenue, dans la version de Bernanos, profondément différente du récit allemand. Ne serait-ce que parce que, en rédigeant cette dernière œuvre littéraire, Bernanos se trouvait lui-même à la veille de sa propre mort.
Le texte complet des Dialogues a été retrouvé parmi les manuscrits de Bernanos et publié dès 1949, aux Éditions du Seuil, par Albert Béguin.
Romancier, journaliste, conférencier et pamphlétaire au style passionné, Georges Bernanos (1888-1948) a été profondément marqué par son éducation catholique. D’abord journaliste et directeur d’un hebdomadaire monarchiste (1913-1914), il devient inspecteur d’une compagnie d’assurances après la guerre qu’il fait comme engagé volontaire dans la cavalerie.
C’est pendant ses tournées qu’il écrit son premier roman : Sous le soleil de Satan (1926), dont le succès le décide à vivre désormais de sa plume. Suivront, principalement, l’Imposture (1927), la Joie (1929), prix Femina, le Journal d’un curé de campagne (1936), grand prix du roman de l’Académie française, la Nouvelle Histoire de Mouchette (1937) et Monsieur Ouine (1945).
On doit notamment au pamphlétaire la Grande Peur des bien-pensants (1931), les Grands Cimetières sous la lune (1937), dénonciation retentissante des répressions franquistes.
Après Nous autres Français et Scandale de la vérité publiés à la veille de la guerre, il part pour le Brésil où il réside de 1938 à 1945, ne cessant de mettre son talent de polémiste au service de la France libre. C’est à la fin d’un séjour de deux ans en Tunisie, dans les premiers mois de 1948 et quelques semaines avant de mourir, qu’il écrivit les Dialogues des Carmélites.
Du même auteur
AUX ÉDITIONS DU SEUIL
Les Prédestinés :
Jeanne relapse et sainte, saint Dominique et autres textes rassemblés et présentés par Jean-Loup Bernanos
Coll. « Point-Sagesses », 1983
Scandale de la vérité suivi de Nous autres Français
Coll. « Points », 1984
La Joie
Coll. « Points-Roman », 1983
Georges Bernanos
Dialogues des Carmélites
d’après une nouvelle de
GERTRUD VON LE FORT ET UN SCÉNARIO DU R.P. BRUCKBERGER ET DE PHILIPPE AGOSTESI
Editions du Seuil
ISBN 2-02-006689-0.
(isbn 1re publication : 2-02-001294-4 ; coll. « Livre de vie » 2-02-000484-4.)
© Éditions du Seuil et Éditions de la Baconnière, 1949.
A Christiane Manificat
« En un sens, voyez-vous, la Peur est tout de même la fille de Dieu, rachetée la nuit du Vendredi-Saint. Elle n’est pas belle à voir – non ! – tantôt raillée, tantôt maudite, renoncée par tous… Et cependant, ne vous y trompez pas : elle est au chevet de chaque agonie, elle intercède pour l’homme. »
Personnages
Le Marquis de la Force.
La Marquise de la Force.
Le Chevalier, leur fils.
Blanche, leur fille (Sœur Blanche de l’Agonie du Christ. Mme de Croissy (Mère Henriette de Jésus), Prieure du Carmel.
Mme Lidoine (Mère Marie de Saint-Augustin), nouvelle Prieure.
Mère Marie de l’Incarnation, sous-Prieure.
Mère Jeanne de l’Enfant-Jésus, doyenne d’âge.
Mère Gérald, Sœur Claire, Sœur Antoine, tourière vieilles religieuses.
Sœur Catherine.
Sœur Félicité.
Sœur Gertrude.
Sœur Alice.
Sœur Valentine de la Croix.
Sœur Mathilde.
Sœur Anne.
Sœur Marthe.
Sœur Saint-Charles, Sœur Constance de Saint-Denis très jeunes sœurs.
L’aumônier du Carmel.
M. Javelinot, médecin.
Le Marquis de Guiches.
Gontran.
Héloïse.
Rose Ducor, actrice.
Le notaire du couvent.
Thierry, laquais.
Antoine, cocher.
Délégués de la municipalité, commissaires, officiers civils.
Prisonniers, gardes, hommes et femmes du peuple.
Prologue
SCÈNE I
En 1774. Place Louis XV à Paris, le soir des fêtes données pour le mariage du Dauphin, futur Louis XVI, avec l’archiduchesse Marie-Antoinette. Les carrosses des aristocrates passent au milieu de la foule joyeuse contenue par le service d’ordre. Dans l’un des carrosses, on aperçoit un jeune couple, le Marquis de la Force et sa femme, qui est enceinte. Le Marquis descend de voiture et s’éloigne vers les tribunes.
Le feu d’artifice commence, mais soudain des caisses de fusées s’enflamment et les explosions se succèdent. Quoiqu’il n’y ait aucun danger grave, la panique s’empare de la foule. Bousculade, cris de peur, des gens tombent à terre et sont piétinés. La jeune Marquise, effrayée, pousse le verrou de la portière. Le cocher fouette les chevaux qui s’emballent et se lancent dans une course folle. Brusque colère de la foule, on arrête les chevaux, une vitre vole en éclats. Une voix d’homme crie : « Tout va changer bientôt, c’est vous autres qui serez massacrés, et nous roulerons dans vos carrosses ! » Les soldats surviennent à temps pour dégager la Marquise à laquelle on allait faire un mauvais parti.
SCÈNE II
Quelques heures plus tard. Un médecin sort de la chambre de la Marquise, à l’Hôtel de la Force. Il annonce au Marquis qu’une fille vient de lui naître, mais que la jeune mère est morte.
Premier tableau
SCÈNE I
Hôtel de la Force. Avril 1789. Le Marquis et le Chevalier. Celui-ci est visiblement surpris par la présence de son père, mais il ne peut retenir la question qui lui brûle les lèvres :
LE CHEVALIER
Où est Blanche ?
LE MARQUIS
Ma foi je n’en sais rien, pourquoi diable ne le demandez-vous pas à ses femmes au lieu d’entrer chez moi sans crier gare, comme un Turc ?
LE CHEVALIER
Je vous demande mille pardons.
LE MARQUIS
A votre âge, il n’y a pas grand mal à être un peu vif, comme il est naturel au mien de tenir à ses habitudes.
1 comment