On comprend qu’elle prie. Blanche a toujours la tête entre les mains. Au « Dieu soit loué ! » de Mère Marie, elle a pourtant nettement tressailli. Mère Marie lui touche l’épaule.
Sœur Blanche, il nous faut aller à Compiègne.
Blanche relève la tête.
BLANCHE
C’est vrai… Oh ! Mère Marie, s’il y a un moyen de les sauver, il me semble que j’aurai cette fois le courage…
MÈRE MARIE
Il ne s’agit pas de les sauver, mais d’accomplir avec elles le vœu que nous avons fait librement, il y a si peu de jours.
BLANCHE
Quoi ! nous les laisserons mourir sans rien tenter pour elles ?
MÈRE MARIE
Ce qui importe, ma petite fille, c’est de ne pas les laisser mourir sans nous.
BLANCHE
Hé ! qu’ont-elles besoin de nous pour mourir !
MÈRE MARIE
Est-ce une fille du Carmel qui parle ainsi ?
BLANCHE
Mourir, mourir, vous n’avez plus que ce mot à la bouche ! Serez-vous tous jamais las de tuer ou de mourir ? Serez-vous jamais rassasiés du sang d’autrui ou de votre propre sang ?
MÈRE MARIE
Il n’est d’horreur que dans le crime, ma fille, et c’est par le sacrifice des vies innocentes que cette horreur est effacée, le crime lui-même restitué à l’ordre de la divine charité…
Blanche frappe du pied.
BLANCHE
Je ne veux pas qu’elles meurent ! je ne veux pas mourir !
Elle se sauve sans que Mère Marie puisse la retenir. À la porte elle tombe sur le prêtre réfractaire qui s’exclame de joie :
L’AUMÔNIER
Chère Sœur Blanche, vous voilà ! Dieu soit loué !
Mais Blanche, tout à fait hors d’elle-même, regarde le prêtre d’un air égaré, lui échappe brusquement, et disparaît.
SCÈNE XI
L’AUMÔNIER
Que s’est-il passé avec Sœur Blanche ?
MÈRE MARIE
Vous l’avez vue ?
L’AUMÔNIER
Elle montrait une agitation extraordinaire. Elle est partie sans me dire un mot.
Mère Marie sourit.
MÈRE MARIE
Elle en est encore à se révolter comme un enfant. Mais qu’importe ! Rien ne saurait désormais la ravir à la douce pitié de Jésus-Christ.
Un temps.
Je partirai donc seule pour Compiègne.
Silence du prêtre.
Me désapprouvez-vous ?
L’AUMÔNIER
Non pas. Je pense seulement qu’il conviendrait d’attendre afin d’être mieux informés de ce qui se passe. Vos sœurs sont prisonnières, soit ! Mais il n’est nullement sûr qu’elles soient condamnées. Votre intervention ne risquerait-elle pas d’aggraver leur cas ?
MÈRE MARIE
Encore un coup, mon Père, si nous agissons toujours avec cette prudence, que restera-t-il de notre vœu de martyre ?
L’AUMÔNIER
Ma Mère, vous avez prononcé ce vœu dans l’obéissance et c’est dans l’obéissance que vous devez l’accomplir. Écrivez à votre Prieure, et demandez-lui ce que vous devez faire.
SCÈNE XII
La prison. Le matin. Il fait encore presque nuit. Quelques Sœurs sont encore assises le dos au mur. Le Petit Roi de Gloire est placé sur une mauvaise table. Dans une cruche cassée, quelques fleurs fanées. La table est recouverte d’un mouchoir blanc, trop étroit. Une seule mauvaise chandelle à demi consumée. Les religieuses viennent dans l’ombre s’agenouiller par deux ou par trois devant l’image. On entend des soupirs, qui pourraient aussi bien être des sanglots étouffés. Plusieurs Sœurs toussent. Froid et angoisse de l’aube. Un peu à l’écart, dans l’angle de la pièce, à droite de la table, la Prieure prosternée. Sœur Constance, qui vient de s’agenouiller devant le Petit Roi de Gloire, pousse, en se relevant, un cri de douleur.
SŒUR VALENTINE
Qu’est-ce qui vous prend, Sœur Constance ?
SŒUR CONSTANCE
Je me suis endormie sous la lucarne, et voilà maintenant que j’ai le torticolis. Mon pauvre cou…
Elle le frotte à deux mains en riant.
SŒUR SAINT-CHARLES (avec un haut-le-corps)
Oh ! Sœur Constance !
SŒUR ALICE
Si vos nerfs sont en bon état, pourquoi ébranler ceux des autres ?
Sœur Constance comprend tout à coup et frissonne à son tour…
SŒUR CONSTANCE
Mon Dieu, je… je…
SŒUR MARTHE
(coupant court, et d’une voix un peu forcée)
Moi. je n’ai pas dormi du tout. (Plus bas.) Notre pauvre vieille Mère Gérald a ronflé toute la nuit.
SŒUR GERTRUDE
C’est son catarrhe. Oh ! je le connais bien. Ma cellule était près de la sienne
Sœur Marthe pleure.
SŒUR FÉLICITÉ
Pourquoi pleurez-vous, Sœur Marthe ?
SŒUR SAINT-CHARLES
(de plus en plus énervée)
Pourquoi ? Pourquoi ?… Et pourquoi donc dites-vous « ma cellule était ». Pourquoi parler de notre chère maison comme si nous ne devions jamais la revoir ?
La Prieure a frappé discrètement dans ses mains, les religieuses se groupent autour d’elle.
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