Blanche court et laisse Mère Marie qui s’esquive.
SCÈNE IX
On voit Blanche dans la rue. Elle porte un petit cabas d’où dépassent des salades. Agitation. Bruit qui se rapproche. Le Ça ira. Les passants commencent à se disperser çà et là. Irruption d’une troupe de sans-culottes, armés de piques et de sabres, derrière un homme portant une tête à la pointe de la pique. Cinq ou six passants, dont Blanche, n’ont que le temps de se jeter dans une porte cochère ouverte dont ils repoussent le battant. Ils se trouvent dans une petite cour. Le bruit grandit dans la rue. Les passants réfugiés là se regardent d’abord avec méfiance. Il y a deux vieilles femmes, une très jeune fille, un vieux monsieur vêtu pauvrement mais l’air assez d’un ci-devant, et un jeune homme qui, après avoir inspecté les lieux, franchit un mur et disparaît. Ceux qui restent paraissent se rassurer peu à peu, Blanche reste à l’écart. Une des vieilles femmes prend la parole.
LA VIEILLE FEMME
M’est avis que nous ne sommes point au bout de nos peines.
LE VIEUX MONSIEUR
Il est vrai que la vie à Paris devient de plus en plus
difficile !
L’AUTRE VIEILLE
Oh ! elle n’est point meilleure autre part, Monsieur.
LA PREMIÈRE VIEILLE
Sinon pire. Moi, je suis de Nanterre…
L’AUTRE VIEILLE
Et moi de Compiègne.
Blanche sursaute. On sent qu’il lui faut surmonter sa peur. Elle dit d’une voix profondément altérée :
BLANCHE
Vous venez de Compiègne ?
L’AUTRE VIEILLE
Oui, ma belle. J’en vins hier avec une carriole de légumes. Il y a là-bas deux douzaines de mauvais drôles qui ont peur les uns des autres, et qui pour se rassurer font du bruit comme six cents. Avant-hier, ils ont arrêté ces dames du Carmel.
Elle regarde le visage bouleversé de Blanche et dit : C’est-y que vous avez là des parentes ?
BLANCHE
Oh ! non, Madame. Et d’ailleurs je ne suis jamais allée à Compiègne. Voilà seulement huit jours que je suis arrivée à Paris, venant de la Roche-sur-Yon, avec mes patrons.
Elle s’efforce de dissimuler le tremblement nerveux qui l’a prise. Ses traits marquent la terreur, et aussi quelque chose qui ressemble à une résolution désespérée. Rassemblant brusquement son courage, elle se glisse dehors. Le vieux monsieur s’est assis sur un banc et tasse une prise entre ses doigts. Les deux vieilles se regardent en hochant la tête.
UNE VIEILLE
Drôle de servante, ma fine.
SCÈNE X
Blanche arrive chez Rose Ducor, elle est hors d’haleine, hors d’elle-même. Elle s’assoit sur une chaise. Elle a la tête dans les mains. Elle répète :
BLANCHE
Il faut les sauver ! Il ne faut pas qu’on les tue ! Il faut les sauver coûte que coûte ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Il ne faut pas qu’on les tue !
Rose Ducor et Mère Marie s’empressent autour d’elle.
MÈRE MARIE
Que voulez-vous dire ?
BLANCHE
(d’une voix entrecoupée mais où l’on sent déjà la révolte et l’horreur)
J’allais faire mes courses au marché… comme chaque matin… lorsque… lorsqu’une vieille femme m’a dit…
MÈRE MARIE
Nos Sœurs sont en prison ?
BLANCHE
Oui.
MÈRE MARIE (d’un accent profond)
Dieu soit loué !
Silence. Les lèvres de Mère Marie remuent.
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