Quoique dans les Principes de M. Rameau, l’on doive toucher tous les Sons de chaque Accord, il faut bien se garder de prendre toujours cette Regle à la lettre. Il y a des Accords qui seroient insupportables avec tout ce remplissage. Dans la plupart des Accord dissonans, sur-tout dans les Accords par supposition, il y a quelque Son à retrancher pour en diminuer la dureté: ce Son est quelquefois la Septieme, quelquefois la Quinte; quelquefois l’une & l’autre se retranchent. On retranche encore assez souvent la Quinte ou l’Octave de la Basse dans les Accords dissonans, pour éviter des Octaves ou des Quintes de suite qui peuvent faire un mauvais effet, sur-tout aux extrémités. Par la même raison, quand la Note sensible est dans la Basse, on ne la met pas dans l’Accompagnement; & l’on double, au lieu de cela, la Tierce ou la Sixte, de la main droite. On doit éviter aussi les Intervalles de Seconde, & d’avoir deux doigts joints; car cela fait une Dissonance fort dure, qu’il faut garder pour quelques occasions où l’expression la demande. En général on doit penser, en accompagnant, que quand M. Rameau veut qu’on remplisse tous les Accords, il a bien plus d’égard’a la méchanique des doigts & à son systême particulier d’Accompagnement, qu’à la pureté de l’Harmonie. Au lieu du bruit confus que fait un pareil Accompagnement, il faut chercher à [17] le rendre agréable & sonore, & faire qu’il nourrisse & renforce la Basse, au lieu de la couvrir & de l’étouffer.
Que si l’on demande comment ce retranchement de Sons s’accorde avec la définition de l’Accompagnement par une Harmonie complete, je réponde que ces retranchemens ne sont, dans le vrai, qu’hypothétiques & seulement dans le systême de M. Rameau; que, suivant la Nature, ces Accords, en apparence ainsi mutilés, ne sont pas moins complets que les autres, puisque les Sons qu’on y suppose ici retranchés les rendroient choquans & souvent insupportables; qu’en effet les Accords dissonans ne sont point remplis dans le systême de M. Tartini comme dans celui de M. Rameau; que par conséquent des Accords défectueux dans celui-ci sont complets dans l’autre; qu’enfin le bon goût dans l’exécution demandant qu’on s’écarte souvent de la regle générale, & l’Accompagnement le plus régulier n’étant pas toujours le plus agréable, la définition doit dire la regle, & l’usage apprendre quand on s’en doit écarte.
II. On doit toujours proportionner le bruit de l’Accompagnement au caractere de la Musique & à celui des Instrumens ou des Voix que l’on doit accompagner. Ainsi dans un Chœur on frappe de la main droite les Accords pleins; de la gauche on redouble l’Octave ou la Quinte; quelquefois tout l’Accord. On en doit faire autant dans le Récitatif Italien; car les sons de la Basse n’y étant pas soutenus ne doivent se faire entendre qu’avec toute leur Harmonie, & de maniere à rappeller fortement & pour long-tems [18] l’idée de la Modulation. Au contraire dans un Air lent & doux, quand on n’a qu’une voix foible ou un seul Instrument à accompagner, on retranche des Sons, on arpège doucement, on prend le petit Clavier. En un mot, on a toujours attention que l’Accompagnement, qui n’est fait que pour soutenir & embellir le Chant, ne le gâte & ne le couvre pas.
III. Quand on frappe les même touches pour prolonger le Son dans une Note longue ou une Tenue, que ce soit plutôt au commencement de la Mesure ou du Tems fort, que dans un autre moment: on ne doit rebattre qu’en marquent bien la Mesure. Dans le Récitatif Italien, quelque durée que puisse avoir une Note de Basse, il ne faut jamais la frapper qu’une fois & sortement avec tout, son Accord; on refrappe seulement l’Accord quand il change sur la même Note: mais quand un Accompagnement de Violons regne sur le Récitatif, alors il faut soutenir la Basse & en arpéger l’Accord.
IV. Quand on accompagne de la Musique vocale, on doit par l’Accompagnement soutenir la Voix, la guider, lui donner le Ton à toutes les rentrées, & l’y remettre quand elle détonne: l’Accompagnateur ayant toujours le Chant sous les yeux & Harmonie présente à l’esprit, est chargé spécialement d’empêcher que la Voix ne s’égare. (Voyez ACCOMPAGNATEUR.
V. On ne doit pas accompagner de la même maniere la Musique Italienne & la Françoise. Dans celle-ci, il faut soutenir les bons, les arpéger gracieusement & continuellement [19] de bas en haut; remplir toujours l’Harmonie, autant qu’il se peut; jouer proprement la Basse; en un mot, se prêter à tout ce qu’exige le genre. Au contraire, en accompagnant de l’Italien, il faut frapper simplement & détacher les Notes de la Basse; n’y faire ni Trills ni Agremens, lui conserver la marche égale & simple qui lui convient; l’Accompagnement doit être plein, sec & sans arpéger, excepté le cas dont j’ai parlé numéro 3, & quelques Tenues ou Points d’Orgue. On y peut, sans scrupule, retrancher dis Sons; mais alors il faut bien choisir ceux qu’on fait entendre; en sorte qu’ils se fondent dans l’Harmonie & se marient bien avec la Voix. Les Italiens ne veulent pas qu’on entende rien dans l’Accompagnement, ni dans la Basse, qui puisse distraire un moment l’oreille du Chant; & leurs Accompagnemens sont toujours dirigés sur ce principe, que le plaisir & l’intention s’évaporent en se partageant.
VI. Quoique l’Accompagnement de l’Orgue soit le même que celui du Clavecin, le goût en est très-différent. Comme les Sons de l’Orgue sont soutenus, la marche en doit être plus liée & moins sautillante: il faut lever la main entiere le moins qu’il se peut; glisser les doigts d’une touche à l’autre, sans ôter ceux qui, dans la place où ils sont, peuvent servir à l’Accord où l’on passe. Rien n’est si désagréable que d’entendre hacher sur l’Orgue cette espece d’Accompagnement sec, arpégé, qu’on est forcé de pratiquer sur le Clavecin.
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