Rameau.

Les Maîtres zélés ont bien senti l’insuffisance de leurs Regles. Pour y suppléer, ils ont eu recours à l’énumération & à la description des Consonnances, dont chaque Dissonance se prépare, s’accompagne & se sauve dans tous les différens cas: détail prodigieux que la multitude des Dissonances & de leurs combinaisons fait assez sentir, & dont la mémoire demeure accablée.

[12] Plusieurs conseillent d’apprendre la Composition avant de passer à l’Accompagnement: comme si l’Accompagnement n’étoit pas la Composition même, a l’invention près, qu’il faut de plus au Compositeur. C’est comme si l’on proposoit de commencer par se faire Orateur pour apprendre a lire. Combien de gens, au contraire, veulent qu’on commence par l’Accompagnement à apprendre la Composition? & cet ordre est assurément plus raisonnable & plus naturel.

La marche de la Basse, la Regle de l’Octave, la maniere de préparer & sauver les Dissonances, la Composition en général, tout cela ne concourt gueres qu’à montrer la succession d’un Accord à un autre; de sorte qu’à chaque Accord, nouvel objet, nouveau sujet de réflexion. Quel travail continuel! Quand l’esprit sera-t-il assez instruit? Quand l’oreille sera-t-elle assez exercée, pour que les doigts ne soient plus arrêtés?

Telles sont les difficultés que M. Rameau s’est propos d’applanir par ses nouveaux Chiffres, & par ses nouvelles Regles d’Accompagnement.

Je tacherai d’exposer en peu de mots les principes sur les quels sa méthode est fondée. Il n’y a dans l’Harmonie que des Consonnances & des Dissonances. Il n’y a donc que des Accords consonnans & des Accords dissonans.

Chacun de ces Accords est fondamentalement divisé par Tierces. (C’est le systême de M. Rameau.) L’Accord consonnant est composé de trois Notes, comme ut mi soi; [13] & le dissonant de quatre, comme sol si re fa: laissant à part la supposition & la suspension, qui, à la place des Notes dont elles exigent le retranchement, en introduisent d’autres comme par licence: mais l’Accompagnement n’en porte toujours que quatre. (Voyez SUPPOSITION & SUSPENSION.)

Ou des Accords consonnans se succedent, on dés Accords dissonans sont suivis d’autres Accords dissonans, ou les consonnans & les dissonans sont entrelacés.

L’Accord consonnant parfait ne convenant qu’à la Tonique, la succession des Accords consonnans fournit autant de Toniques, & par conséquent autant de changemens de Ton.

Les Accords dissonans se succedent ordinairement dans un même Ton, si les Sons n’y sont point altérés. La Dissonance lie le sens harmonique: un Accord y fait desirer l’autre, & sentir que la phrase n’est pas finie. Si le Ton change dans cette succession, ce changement est toujours annoncé par un Dièse ou par un Bémol. Quant à la troisieme succession, savoir l’entrelacement des Accords consonnans & dissonans, M. Rameau la réduit à deux cas seulement; & il prononce en général, qu’un Accord consonnant ne peut être immédiatement précédé d’aucun autre Accord dissonant, que celui de septieme de la Dominante-Tonique, ou de celui de Sixte-Quinte de la sous-Dominante; excepté dans la Cadence rompue & dans les suspensions: encore prétend-il qu’il n’y a pas d’exception quant au fond. Il me amble que l’Accord parfait peur encore [14] être précède de l’Accord de Septieme diminuée, & même de celui de Sixte-superflue; deux Accords originaux, dont le dernier ne se renverse point.

Voilà donc textures différentes des phrases harmoniques. 1. Des Toniques qui se succedent & forment autant de nouvelles Modulations. 2. Des Dissonances qui se succedent ordinairement dans le même Ton. 3. Enfin des Consonnances & Dissonances qui s’entrelacent, & ou la Consonnance est, selon M. Rameau, nécessairement précédée de la Septieme de la Dominante, ou de la Sixte-Quinte de la Sous-Dominante. Que reste-t-il donc à faire pour la facilité de l’Accompagnement, sinon d’indiquer à l’Accompagnateur quelle est celle de ces textures qui regne dans ce qu’il accompagne? Or c’est ce que M. Rameau veut qu’on exécute avec des caracteres de son invention.

Un seul Signe peut aisément indiquer le Ton, la Tonique & son Accord.

De-là se tire la connoissance des Dièses & des Bémols qui doivent entrer dans la composition des Accords d’une Tonique à une autre.

La succession fondementale par Tierces, eu par Quintes, tant en montant qu’en descendant, donne la premiere texture des phrases harmoniques, toute composée d’Accordes consonnans.

La succession fondamentale par Quinte, ou par Tierces, en descendant donne la seconde texture, compose d’Accords dissonans, savoir, des Accords de Septieme; & cette succession donne une Harmone descendante.

[15] L’Harmonie ascendante est fournie par une succession de Quintes en montant ou de Quartes en descendant, accompagnées de la Dissonance propre à cette succession, qui est la Sixte-ajoutée; & c’est la troisieme texture des phrases harmoniques. Cette derniere n’avoit jusqu’ici été observée par personne, pas même par M. Rameau, quoiqu’il en ait découvert le principe dans la Cadence qu’il appelle Irréguliere. Ainsi, par les Regles ordinaires, l’Harmonie qui naît d’une succession de Dissonances, descend toujours, quoique selon les vrais principes, & selon la raison, elle doive avoir, en montant, une progression tout aussi réguliere qu’en descendant.

Les Cadences fondamentales donnent la quatrieme texture de phrases harmoniques, où les Consonnances & les Dissonances s’entrelacent.

Toutes ces textures peuvent être indiquées par des caracteres simples, clairs, peu nombreux, qui puissent, en même tems, indiquer, quand il le faut, la Dissonance en général; car l’espece en est toujours déterminée par la texture même. On commence par s’exercer sur ces textures prises séparément; puis on les fait succéder les unes aux autres sur chaque Ton & sur chaque Mode successivement.

Avec ces précautions, M. Rameau prétend qu’on apprend plus d’Accompagnement en six mois qu’on n’en apprenoit auparavant en six ans, & il a l’expérience pour lui. (Voyez CHIFFRES & DOIGTER.)

A l’égard de la maniere d’accompagner avec intelligence, [16] comme elle dépend plus de l’usage & du goût que des Regles qu’on en peut donner, je me contenterai de faire ici que ici quelques observations générales que ne doit ignorer aucun Accompagnateur.

I.