A ses rayons, la bouteille abandonnée dans l'herbe et les ajoncs s'illumine des voies lactées qu'elle paraît contenir et ne contient pas car, bien bouchée, elle recèle, en ses flancs la sirène masquée, la captive et redoutable sirène masquée, celle qu'on nomme l'Inouïe dans les mers où jamais elle ne daigne chanter et la Fantomas dans les rêves. Et, vrai, vêtue du frac et du haut de forme, on l'imagine parcourant un bois de mauvais augure tandis que les musiques d'une fête lointaine somment vainement les échos de ramener à elles ce charmant travesti. On l'imagine encore, amazone, dans ce même bois, à l'automne, serrant contre elle un bouquet de roses trop épanouies dont les pétales s'envolent sous les efforts combinés du vent et du trot de son cheval.

 

Pour l'instant captive elle attend la délivrance dans sa prison bien bouchée par une main amoureuse, tandis qu'une lettre, non remise à son destinataire, moisit sur le sol. C'est l'heure où les dés et les horloges font des bruits singuliers qui étonnent les veilleurs. C'est l'heure où l'amant qui déshabille sa maîtresse s'étonne du crissement musical et inaccoutumé de la soie et du linge. Pâles et rêveurs, tous écoutent ces manifestations de l'invisible qui n'est que leurs pensées et leurs rêves et, ceux-là, sur les chiffres fatidiques et, ceux-ci, sur l'heure qui marqua jadis le rendez-vous manqué et, les derniers, sur l'éclat de la chair admirable éternisent quelques secondes leurs regards qui, soudain, voient loin, très loin au delà des enjeux et des changements de date, au delà des caresses et des serments, au delà même des chants indéchiffrables des sirènes. Il est minuit sur le château, sur la plaine et sur la mer.

Il est minuit sur les jeux et les enjeux.

Il est minuit au cadran des horloges.

Il est minuit sur l'amour et sur les lettres égarées et la sirène chante, mais sa voix ne dépasse pas les parois de verre, mais le buveur survient et boit la chanson et libère la sirène, celle qu'on nomme l'Inouïe et qu'on nomme aussi la Fantomas.

Cigogne étoile aimée du silence et des sens

Baisers défunts des rois la lance désirée

Le cercle tracé sous les toits du ciel assassin

Par le sang sans vergogne et les roses et les fourrés

Bourgogne naissante à l'aube d'un baiser

Bateaux encerclés intelligibles paroles du cercle

En trois segments martyrisé

Du signe plus reliant l'amant à sa maîtresse

L'hippocampe à la sirène

Et que nul ne les atteigne ni ne les sépare.

Que ceux qui le tenteraient

Soient confondus s'ils sont de mauvaise foi

Réduits à l'impuissance s'ils sont de bonne foi.

Que rien par ce cercle qui les isole

Ne sépare la sirène de l'hippocampe

L'hippocampe de la sirène

Et que dit-il lui :

Que rien ne l'atteigne elle

Dans sa beauté dans sa jeunesse dans sa santé

Dans sa fortune dans son bonheur et dans sa vie.

Que le buveur, ivre de la chanson, parte sur un chemin biscornu bordé d'arbres effrayants au bruit de la mer hurlant et gueulant et montant la plus formidable marée de tous les temps, non hors de son lit géographique, mais coulant d'un flux rapide hors de la bouteille renversée tandis que, libre, la sirène étendue sur le sol non loin de cette cataracte, considère l'étoile, la tantôt noire, la tantôt bleue, et s'imagine la reconnaître et la reconnaît en effet.

Ceci se passe, ne l'oublions pas, dans une véritable plaine, sur un véritable rivage, sous un véritable ciel. Et il s'agit d'une véritable bouteille et d'une véritable sirène, tandis que s'écoule une mer véritable qui emporte la lettre et monte à l'assaut du château.

 

Écoulement tumultueux du contenu de l'insondable bouteille. C'était pourtant une bouteille comme les autres et elle ne devait pas contenir plus de 80 centilitres et, pourtant, voilà que l'Océan tout entier jaillit de son goulot où adhèrent encore des fragments de cire. Frémissement des monts et des fondations du château sous l'assaut de l'eau, déplacement de l'étoile, rien ne peut distraire la sirène de sa rêverie en proie à sa propre respiration, dans l'odeur de violette de la nuit. Monte, monte Océan, roule tes vagues et reflète en les déformant les monstres inscrits dans les constellations et joyeux de se mesurer avec les terribles créatures de tes cavernes et de tes gouffres, monte, monte, emporte les buissons de thym et de prunelliers et fais, l'un sur l'autre, ébouler les tumulus de glaise et d'argile et les tas de cailloux, renverse la tombe oubliée par un criminel d'autrefois et un fossoyeur paresseux à l'aube d'un jour d'été où les diamants de la vie résonnaient formidablement dans les verres du cabaret et s'étalaient en cartes d'îles inconnues sur la nappe blanche.

 

Monte, monte et roule ton écume en fourrures élégantes puisque la sirène se plonge en toi, se roule en toi et monte avec toi vers le porche obscur du château, citadelle d'ombre et de fantômes, béant sur la ligne d'horizon qu'il engloutit interminablement.

 

Et voici que la sirène pénètre dans le château et s'égare dans un long corridor de draperies et de toiles d'araignées à l'issue duquel, lance et flamme et épée dans les mains, dans son armure de fer l'attend un chevalier.

 

Long combat, mêlée où le cliquetis de l'armure se mêle au cliquetis des écailles, éclairs des épées dans l'ombre, ahan des combattants, reflets des étoiles du ciel sur la cuirasse et les cuissards et de l'Océan sur la queue de la sirène, sang s'insinuant dans les jointures des dalles, souffle qui fait vibrer les toiles d'araignées. L'une de celles-ci s'agite sur le mur et son ombre en fait une créature abominablement géante.

 

Quand la sirène s'éloigne, les pièces de l'armure baignent, pêlemêle, dans le sang, sur le sol, tandis qu'à son tour la tantôt noire, la tantôt bleue, pénètre à son tour dans le corridor, s'empare de l'épée du chevalier, attaque la sirène.

 

Escrime fabuleuse, ce spectacle je le vois, il se déroule sous mes yeux, escrime fabuleuse que celle de l'étoile dont les branches se rétractent et s'allongent tour à tour. Zigomar du ciel, astucieuse duelliste, étoile, ton dernier reflet est parti vers des planètes distantes de millions et millions de kilomètres et, demain, dans des millions d'années, les astronomes surpris de ne plus voir ton fanal parmi les récifs sidéraux publieront qu'un grand naufrage vient d'avoir lieu dans les espaces célestes et qu'il faut noter ta disparition sur la liste déjà longue des phénomènes inexplicables et je doute que l'on donnerait créance à qui dirait que c'est une sirène qui, te frappant dans ton cœur à cinq branches, a supprimé ton éclat de l'écrin des comètes, des soleils, des planètes, des nébuleuses et de tes sœurs, les autres étoiles, parmi lesquelles te regretteront tes compagnes préférées, l'étoile du Nord et l'étoile du Sud.

 

O sirène ! je te suivrai partout. En dépit de tes crimes, compte tenu de la légitime défense, tu es séduisante à mon cœur et je pénètre par ton regard dans un univers sentimental où n'atteignent pas les médiocres préoccupations de la vie.

 

Je te suivrai partout. Si je te perds, je te retrouverai, sois-en sûre et, bien qu'il y ait quelque courage à t'affronter, je t'affronterai car il ne s'agit de souhaiter ici ni victoire ni défaite tant est beau l'éclat de tes armes et celui de tes yeux quand tu combats.

 

Marche dans ce château désert. Ton ombre surprend, c'est sûr, les marches des escaliers. Ta queue fourchue se prolonge longuement d'étage en étage. Tu étais tout à l'heure au plus profond des souterrains. Te voici maintenant au sommet du donjon. Soudain tu t'élèves, tu montes, tu t'éloignes en plein ciel. Ton ombre, d'abord immense, a diminué rapidement et ta minuscule silhouette se découpe maintenant sur la surface de la lune. Sirène tu deviens flamme et tu incendies si violemment la nuit qu'il n'est pas une lumière à subsister près de toi dans des parterres de fleurs inconnues hantées par les lucioles.

Bonjour la flamme.

Elle me tend ses longs gants noirs.

Et c'est le matin le feu l'aube et les ténèbres et l'éclair.

Bonjour la flamme.

Tu ne me brûles pas.

Tu me transportes.

Et je ne serais plus que cendre, ô flamme, si tu m'abandonnais.

Alors, comme les astres tombaient du ciel sur le lac invisible dans lequel je m'enfonçais avec délices,

Elle mit ses mains à mon cou et, me regardant dans les yeux de ce regard que mes yeux absorbent, elle dit :

« C'est toi que j'aurais dû aimer. »

Souviens-toi de cette parole pour les années futures, toi seule digne d'incarner l'inégalable amour que je portais à une autre à jamais disparue,

Et puisses-tu ne jamais la prononcer de nouveau

Dans un carrefour de rides, sous un ciel de jours fanés et de désirs abolis.

Je baise tes mains,

Tu as le droit de ne pas m'aimer

Insensé celui qui le méconnaît

Je baise tes mains.

Très haut dans le ciel montent les fumées calmes et le chant d'un oiseau si difforme que les nuages n'osent l'accueillir et que le ciel est plus clair et plus pur quand vole cet oiseau solitaire.

Je baise tes mains.

Je baise tes mains avant le départ pour la nuit, à l'arrivée des cauchemars, quand tu dors et quand tu rêves et quand tu penses à moi et quand tu n'y penses pas.

Je baise tes mains, tu as le droit de ne pas m'aimer.

Et toi,

Te souviens-tu de cette sirène de cire que tu m'as donnée ?

Tu te prévoyais déjà en elle et dans celle qui te ressemble.

Tu ne meurs pas de la transfiguration de mon amour, mais tu en vis, elle te perpétue.

Car c'est l'amour qui prévaut même surtoi, même sur elle.

Et tu ne seras vraiment morte

Que le jour où j'aurai oublié que j'ai aimé.

Cette sirène que tu m'as donnée, c'est elle.

Sais-tu quelle chaîne effrayante de symboles m'a conduit de toi qui fus l'étoile à elle qui est la sirène ?

O sœurs parallèles du ciel et de l'Océan !

Mais toi.

Je t'ai rencontrée l'autre nuit,

Une fameuse nuit d'orages, de larmes, de tendresse et de colère.

Oui, je t'ai rencontrée, c'était bien toi.

Mais quand je me suis approché et que je t'ai appelée et que je t'ai parlé,

C'est une autre femme qui m'a répondu :

Comment savez-vous mon nom ?

Regarde ton nouveau visage, car tu n'es pas morte.

Par la grâce de l'amour regarde ton nouveau visage.

Regarde, il est aussi beau que fut le premier.

Tu n'as guère changé.

Tes yeux de pervenche, tes yeux désormais éteints ne brillent plus dans un visage douloureux et ironique.

Non, deux yeux plus sombres dans un visage à la fois plus sévère et plus gai.

Elle aime comme toi les petits bistros, les zincs à l'aube dans les quartiers populaires, la joie des ouvriers quand ils sont joyeux.

Te rappelles-tu une nuit d'abîmes ?

Nous avons passé devant le Trocadéro et au delà, sur un boulevard où passe le métro aérien, non loin du Vel' d'Hiv',

Nous avons bu de la bière au « Rendez-vous des camionneurs ».

Il était six heures du matin.

Un plombier plaisanta longtemps avec nous.

Et, une autre fois, dans ce café où l'on sert du faro et de la gueuse lambick, te souviens-tu de Marie de la gare de l'Est ?

Elle fut jadis belle, aimée, riche.

Elle se lave maintenant aux fontaines Wallace.

Mais, comme elle a gardé un certain goût de luxe,

Une fois par mois elle va se faire épouiller dans un hôpital.

Il me semble parfois que ce n'est pas avec toi mais avec ton nouveau corps, ton nouveau visage, que j'ai vu toutes ces choses.

Regarde, regarde ton nouveau visage.

Il est aussi beau que fut le premier.

Regarde, regarde ton nouveau corps.

Je me souviens de la rencontre entre ces deux visages de mon amour, de mon unique amour.

C'est peut-être de cela que tu es morte.

Mais tu vis, vous vivez,

Amantes bien nommées, insoumises à mon amour,

Visages bien nommés, corps bien nommés.

Je pleure sur la mémoire que tu perdis en mourant, mais la mort m'est indifférente.

Moi, je me souviens.

Je te trouve semblable à toi-même,

Aussi cruelle et aussi douce,

Et ne m'accordant tellement

Que pour me faire plus violemment regretter le peu que tu me refuses.

Nous voici vieux déjà tous deux.

Nous avons trente ans de plus qu'aujourd'hui,

Nous pouvons parler de jadis sans regret, sinon sans désir.

Tout de même nous aurions pu être heureux,

S'il était dit qu'on puisse l'être

Et que les choses s'arrangent dans la vie.

Mais du malheur même naquit notre insatiable, notre funeste, notre étonnant amour.

Et de cet amour le seul bonheur que puissent connaître deux cœurs insatiables comme les nôtres.

Écoute, écoute monter les grandes images vulgaires que nous transfigurons.

Voici l'Océan qui gronde et chante et sur lequel le ciel se tourmente et s'apaise semblable à ton lit.

Voici l'Océan semblable à notre cœur.

Voici le ciel où naufragent les nuages dans l'éclat triste d'un fanal promené à tour de rôle par les étoiles.

Voici le ciel semblable à nos deux cœurs.

Et puis voici les champs, les fleurs, les steppes, les déserts, les plaines, les sources, les fleuves, les abîmes, les montagnes

Et tout cela peut se comparer à nos deux cœurs.

Mais ce soir je ne veux dire qu'une chose :

Deux montagnes étaient semblables de forme et de dimensions.

Tu es sur l'une

Et moi sur l'autre.

Est-ce que nous nous reconnaissons ?

Quels signes nous faisons-nous ?

Nous devons nous entendre et nous aimer.

Peut-être m'aimes-tu ?

Je t'aime déjà.

Mais ces étendues entre nous, qui les franchira ?

Tu ne dis rien mais tu me regardes

Et, pour ce regard,

Il n'y a ni jour ni étendue

Ma seule amie mon amour.

Je n'ai pas fini de te dire tout.

Mais à quoi bon...

L'indifférence en toi monte comme un rosier vorace qui, détruisant les murailles, se tord et grandit,

Étouffe l'ivrogne de son parfum...

Et puis, est-ce que cela meurt ?

Un clair refrain retentit dans la ruelle lavée par le matin, la nuit et le printemps.

Le géranium à la fenêtre fermée semble deviner l'avenir.

C'est alors que surgit le héros du drame.

Je ne te conte cette histoire qui ne tient pas debout que parce que je n'ose pas continuer comme j'ai commencé.

Car je crois à la vertu des mots et des choses formulées.

Nul jeu, ce soir, sur la table de bois blanc.

Un ciel creux comme une huître vide

Une terre plate

La demoiselle sans foudre apparaîtra-t-elle ?

Un cœur de poisson abandonné sur le carrelage d'une cuisine n'en peut plus d'ennui.

Il se gonfle

Près de lui dans la boîte à ordures luit l'arête.

Corridor sombre traversé par les chats

Une porte de saltimbanque s'ouvre et se ferme alternativement sur une femme, sur un homme, sur un homme, sur une femme.

Et la demoiselle sans foudre dit qu'au carrefour d'aubépines et de sainfoin elle perdit un bas

Qu'elle perdit l'autre au pied du chêne fendu

Et sa chemise sur la berge.

La demoiselle sans foudre est nue toute nue

Elle tient un cœur palpitant de poisson dans la main

Elle regarde vaguement devant elle

Elle se mord les lèvres jusqu'au sang et parfois s'arrête et chantonne.

La demoiselle sans foudre est seule toute seule.

Le cœur de poisson palpite dans sa main

L'ombre tombe sur son corps nu et le fait étinceler

C'est ainsi que naissent les constellations

C'est ainsi que naît le désir

C'est alors que se souvenant de lui-même un noctambule s'arrête sous un réverbère au coin d'une rue, regarde rougeoyer la lumière.

Et avant de reprendre son chemin s'imagine tel qu'il était des années auparavant avec son regard vif et sa bouche sanglante

A l'heure où la demoiselle sans foudre venait tendrement le border dans son lit.

La sirène rencontre son double et lui sourit.

Elle s'endort alors du sommeil adorable dont elle ne s'éveillera pas.

Elle rêve peut-être. Elle rêve certainement. Nous sommes au matin d'un jour de moissons lumineuses et de tremblements de terre et de marées de diamants, les premières retombant sur tes cheveux et surgissant de tes yeux, les seconds signalant ta promenade et les troisièmes montant à l'assaut de ton cœur.

Il est cinq heures du matin dans la forêt de pins où se dresse le château de la sirène, mais la sirène ne s'éveillera plus car elle a vu son double, elle t'a vu. Désormais ton empire est immense.

D'un sentier sort un bûcheron sur lequel la rosée tremble et s'étoile.

Au premier arbre qu'il abat surgit un grand nombre de libellules !

Elles s'éparpillent dans des territoires de brindilles.

Au second arbre se brisent les premières vagues.

Au troisième arbre tu m'as dit :

« Dors dans mes bras. »

Tu diras au revoir pour moi à la petite fille du pont

à la petite fille qui chante de si jolies chansons

à mon ami de toujours que j'ai négligé

à ma première maîtresse

à ceux qui connurent celle que tu sais

à mes vrais amis et tu les reconnaîtras aisément

à mon épée de verre

à ma sirène de cire

à mes monstres à mon lit

Quant à toi que j'aime plus que tout au monde

Je ne te dis pas encore au revoir

Je te reverrai

Mais j'ai peur de n'avoir plus longtemps à te voir.

Amer destin celui de compter la feuille et la pierre blanche

Malice errant le premier du mois de mai

Salua d'un cœur vaillant chapeau claque et gants blancs

Salua dis-je le dis-je et la lune en mousseline

Salua bien des choses

Salua surtout le dis-je

Salua vraiment salua

Salua

Et comme j'ai l'honneur de le dire

La cataracte du Niagara ne tiendrait peut-être pas dans votre verre

Peut-être pas Monsieur peut-être

Peut-être et comment va Madame peut-être

Madame peut-être s'ennuie

Madame peut-être a des vapeurs

Peut-être.

Quand il mit son doigt sur le plaid

Sur le plaid d'Égypte monsieur mais oui

Nous ne sommes pas tous comme ça dans la famille

C'est heureux pour mon père et ma mère

Et pourtant plus on est de fous...

Oui c'est heureux

Plus on rit

Oui

J'ai écrit cette chanson qui en vaut bien d'autres

Un soir où je n'étais ni gai ni triste

Bien que de jour en jour je connaisse mieux les hommes

Ni gai ni triste

Un soir où je n'avais pas bu

Un soir où j'avais vu celle que j'aime

J'ai écrit cette chanson qui en vaut bien d'autres

Pour amuser celle que j'aime.

Mais je connais une chanson bien plus belle

Celle d'une aube dans la rue ou parmi les champs prêts à la moisson ou sur un lit désert

On a brûlé ce début de printemps les dernières bûches de l'hiver

De vieilles douleurs deviennent douces au souvenir

Des yeux plus jeunes s'ouvrent sur un univers lavé

J'ai connu cette aube grâce à toi

Mais se lèvera-t-elle jamais

Sur les douleurs que tu provoques ?

Tu sais de quelle apparition je parle

Et de quelle réincarnation

Coulez coulez larmes et fleuves

Et vins dans les verres.

Le temps n'est plus où nous riions

Quand nous étions ivres.

Elle est haut la sirène parmi les étoiles sœurs de la vaincue.

Impératrices de peu de nuages, reines d'une heure de la nuit, planètes néfastes. Et voici que d'un seul bond, d'une seule chute, la sirène plonge dans la mer au milieu d'une gerbe d'écume qui fait pâlir la Voie Lactée.

 

L'épave est toujours à la même place enlisée dans le sable où ses armes rouillées ont des allures de poulpes.

 

Une huître gigantesque bâille et montre sa gigantesque perle dans l'orient de laquelle le homard et le crabe écartent les algues comme une forêt vierge.

Il était une fois une algue errante

Il était une fois un rein et une reine

Dans des courants de tulle et de tussor

Une algue qui avait vu bien des choses, bien des actes repréhensibles

Et bien des couchers de soleil

Et bien des couchers de sirènes.

Elle voguait à l'aventure, rêvant aux résédas qui s'ennuient dans leur pot de terre sur l'appui de la fenêtre des demoiselles vieillies par l'abstinence et le regret de leur jeunesse.

Une hélice après l'autre avait meurtri les branches et les graines magiques de cette algue qui se dissolvait lentement en pourriture dans l'eau salée.

Un poisson volant lui dit : Bonjour l'algue.

Car, si l'on peut donner la parole à un poisson volant, il n'est pas d'exemple qu'on puisse la donner à une algue perdue au large, détachée d'on ne sait quel haut-fond et travaillée par les phénomènes de la dissolution et de la germination.

La sirène, je la perds, je crois la perdre, mais je la retrouve toujours, la sirène nage vers la plage, pénètre dans la forêt du rosier mortel et, là, rencontre l'oiseau hideux, l'oiseau muet et, durant un jour ou mille ans, lui apprend à chanter et transfigure cette bête.

Les arbres se penchent longuement sur cette rencontre et des drapeaux inconnus fleurissent dans leur feuillage.

Fougères, rasoirs, baisers perdus, tout s'écroule et renaît par une belle matinée tandis que, par un sentier désert, délaissant sur l'herbe les cartes d'une réussite certaine, la sirène s'éloigne vers la plage d'où elle partit au début de cette histoire décousue.

Regagne la plage au pied du château fort

La mer a regagné son lit

L'étoile ne brille plus mais sa place décolorée comme une vieille robe luit sinistrement.

Regagne la plage.

Regagne la bouteille

S'y couche.

L'ivrogne remet le bouchon

Le ciel est calme.

Tout va s'endormir au bruit du flux blanchi d'écume.

Oh rien ne peut séparer la sirène de l'hippocampe !

Rien ne peut défaire cette union

Rien

C'est la nuit

Tout dort ou fait semblant de dormir

Dormons, dormons,

Ou faisons semblant de dormir.

Ne manie pas ce livre à la légère

A la légère à la légère à la légère à la légère.

Je sais ce qu'il veut dire mieux que personne.

Je sais où je vais,

Ce ne sera pas toujours gai.

Mais l'amour et moi

L'aurons voulu ainsi.

II

THE NIGHT OF LOVELESS NIGHTS

(1930)

Nuit putride et glaciale, épouvantable nuit,

Nuit du fantôme infirme et des plantes pourries,

Incandescente nuit, flamme et feu dans les puits,

Ténèbres sans éclairs, mensonges et roueries.

Qui me regarde ainsi au fracas des rivières ?

Noyés, pêcheurs, marins ? Éclatez les tumeurs

Malignes sur la peau des ombres passagères,

Ces yeux m'ont déjà vu, retentissez clameurs !

Le soleil ce jour-là couchait dans la cité

L'ombre des marronniers au pied des édifices,

Les étendards claquaient sur les tours et l'été

Amoncelait ses fruits pour d'annuels sacrifices.

Tu viens de loin, c'est entendu, vomisseur de couleuvres,

Héros, bien sûr, assassin morne, l'amoureux

Sans douleur disparaît, et toi, fils de tes œuvres,

Suicidé, rougis-tu du désir d'être heureux ?

Fantôme, c'est ma glace où la nuit se prolonge

Parmi les cercueils froids et les cœurs dégouttants,

L'amour cuit et recuit comme une fausse oronge

Et l'ombre d'une amante aux mains d'un impotent.

Et pourtant tu n'es pas de ceux que je dédaigne.

Ah ! serrons-nous les mains, mon frère, embrassons-nous

Parmi les billets doux, les rubans et les peignes,

La prière jamais n'a sali tes genoux.

Tu cherchais sur la plage au pied des rochers droits

La crique où vont s'échouer les étoiles marines :

C'était le soir, des feux à travers le ciel froid

Naviguaient et, rêvant au milieu des salines,

Tu voyais circuler des frégates sans nom

Dans l'éclaboussement des chutes impossibles.

Où sont ces soirs ? O flots rechargez vos canons

Car le ciel en rumeur est encombré de cibles.

Quel destin t'enchaîna pour servir les sévères,

Celles dont les cheveux charment les colibris,

Celles dont les seins durs sont un fatal abri

Et celles dont la nuque est un nid de mystère,

Celles rencontrées nues dans les nuits de naufrage,

Celles des incendies et celles des déserts,

Celles qui sont flétries par l'amour avant l'âge,

Celles qui pour mentir gardent les yeux sincères,

Celles au cœur profond, celles aux belles jambes,

Celles dont le sourire est subtil et méchant,

Celles dont la tendresse est un diamant qui flambe

Et celles dont les reins balancent en marchant,

Celles dont la culotte étroite étreint les cuisses,

Celles qui, sous la jupe, ont un pantalon blanc

Laissant un peu de chair libre par artifice

Entre la jarretière et le flot des volants,

 

Celles que tu suivis dans l'espoir ou le doute,

Celles que tu suivis ne se retournaient pas

Et les bouquets fanés qu'elles jetaient en route

T'entraînèrent longtemps au hasard de leurs pas

Mais tu les poursuivras à la mort sans répit,

Les yeux las de percer des ténèbres moroses,

De voir lever le jour sur le ciel de leur lit

Et d'abriter leur ombre en tes prunelles closes.

Une rose à la bouche et les yeux caressants

Elles s'acharneront avec des mains cruelles

A torturer ton cœur, à répandre ton sang

Comme pour les punir d'avoir battu pour elles.

Heureux s'il suffisait, pour se faire aimer d'elles,

D'affronter sans faiblir des dangers merveilleux

Et de toujours garder l'âme et le cœur fidèle

Pour lire la tendresse aux éclairs de leurs yeux,

Mais les plus audacieux, sinon les plus sincères,

Volent à pleine bouche à leur bouche un aveu

Et devant nos pensées, comme aux proues les chimères,

Resplendit leur sourire et flottent leurs cheveux.

Car l'unique régit l'amour et ses douleurs,

Lui seul a possédé les âmes passionnées

Les uns s'étant soumis à sa loi par malheur

N'ont connu qu'un bourreau pendant maintes années.

D'autres l'ont poursuivi dans ses métamorphoses :

Après les yeux très bleus voici les yeux très noirs

Brillant dans un visage où se flétrit la rose,

Plus profonds que le ciel et que le désespoir.

 

Maître de leur sommeil et de leurs insomnies

Il les entraîne en foule, à travers les pays,

Vers des mers éventrées et des épiphanies...

La marée sera haute et l'étoile a failli.

Quelqu'un m'a raconté que, perdu dans les glaces,

Dans un chaos de monts, loin de tout océan,

Il vit passer, sans heurt et sans fumée, la masse

Immense et pavoisée d'un paquebot géant.

Des marins silencieux s'accrochaient aux cordages

Et des oiseaux gueulards volaient dans les haubans

Des danseuses rêvaient au bord des bastingages

En robes de soirée et coiffées de turbans.

Les bijoux entouraient d'étincelles glaciales

Leur gorge et leurs poignets et de grands éventails

De plumes, dans leurs mains, claquaient vers des escales

Où les bals rougissaient les tours et les portails.

Les danseurs abîmés dans leur mélancolie

En songe comparaient leurs désirs à l'acier.

C'était parmi les monts, dans un soir de folie,

De grands nuages coulaient sur le flanc des glaciers.

Un autre découvrit, au creux d'une clairière,

Un rosier florissant entouré de sapins.

Combien a-t-il cueilli de roses sanguinaires

Avant de s'endormir sur la mousse au matin ?

Mais ses yeux ont gardé l'étrange paysage

Inscrit sur leur prunelle et son cœur incertain

A choisi pour cesser de battre sans courage

Ce lieu clos par l'odeur de la rose et du thym.

 

Du temps où nous chantions avec des voix vibrantes

Nous avons traversé ces pays singuliers

Où l'écho répondait aux questions des amantes

Par des mots dont le sens nous était familier.

Mais, depuis que la nuit s'écroule sur nos têtes,

Ces mots ont dans nos cœurs des accents mystérieux

Et quand un souvenir parfois nous les répète

Nous désobéissons à leur ordre impérieux.

Entendez-vous chanter des voix dans les montagnes

Et retentir le bruit des cors et des buccins ?

Pourquoi ne chantons-nous que les refrains du bagne

Au son d'un éternel et lugubre tocsin ?

Serait-ce pas Don Juan qui parcourt ces allées

Où l'ombre se marie aux spectres de l'amour ?

Ce pas qui retentit dans les nuits désolées

A-t-il marqué les cœurs avec un talon lourd ?

Ce n'est pas le Don Juan qui descend impassible

L'escalier ruisselant d'infernales splendeurs

Ni celui qui crachait aux versets de la Bible

Et but en ricanant avec le commandeur.

Ses beaux yeux incompris n'ont pas touché les cœurs,

Sa bouche n'a connu que le baiser du rêve,

Et c'est celui que rêve en de sombres ardeurs

Celle qui le dédaigne et l'ignore et sans trêve

Heurte ses diamants froids, ses lèvres sépulcrales,

Sa bouche silencieuse à sa bouche et ses yeux,

Ses yeux de sphinx cruels et ses mains animales

A ses yeux, à ses mains, à son étoile, aux cieux.

 

Mais lui, le cœur meurtri par de mortes chimères,

Gardant leur bec pourri planté dans ses amours,

Pour un baiser viril, ô beautés éphémères,

Vous sauvera sans doute au seuil du dernier jour.

Le rire sur sa bouche écrasera des fraises,

Ses yeux seront marqués par un plus pur destin.

C'est Bacchus renaissant des cendres et des braises,

Les cendres dans les dents, les braises dans les mains.

Mais pour un qui renaît combien qui, sans mourir,

Portent au cœur, portent aux pieds de lourdes chaînes.

Les fleuves couleront et les morts vont pourrir...

Chaque an reverdira le feuillage des chênes.

J'habite quand il me plaît un ravin ténébreux au-dessus duquel le ciel se découpe en un losange déchiqueté par l'ombre des sapins, des mélèzes et des rochers qui couvrent les pentes escarpées.

Dans l'herbe du ravin poussent d'étranges tubéreuses, des ancolies et des colchiques survolées par des libellules et des mantes religieuses et si pareils sans cesse, le ciel la flore et la faune où succèdent aux insectes les corneilles moroses et les rats musqués, que je ne sais quelle immuable saison s'est abattue sur ce toujours nocturne ravin, avec son dais en losange constellé que ne traverse aucun nuage.

Sur les troncs des arbres deux initiales, toujours les mêmes, sont gravées. Par quel couteau, par quelle main, pour quel cœur ?

Le vallon était désert quand j'y vins pour la première fois. Nul n'y était venu avant moi. Nul autre que moi ne l'a parcouru.

La mare où les grenouilles nagent dans l'ombre avec des mouvements réguliers reflète des étoiles immobiles et le marais que les crapauds peuplent de leur cri sonore et triste possède un feu follet toujours le même.

La saison de l'amour triste et immobile plane en cette solitude.

Je l'aimerai toujours et sans doute ne pourrai-je jamais franchir l'orée des mélèzes et des sapins, escalader les rochers baroques, pour atteindre la route blanche où elle passe à certaines heures. La route où les ombres n'ont pas toujours la même direction.

Parfois il me semble que la nuit vient seulement de s'abattre. Des chasseurs passent sur la route que je ne vois pas. Le chant des cors de chasse résonne sous les mélèzes. La journée a été longue, parmi les terres de labour, à la poursuite du renard, du blaireau ou du chevreuil. Le naseau des chevaux fume blanc dans la nuit.

Les airs de chasse s'éteignent.