Le sang des bijoux, soldats ! »
Eh quoi, déjà je miroir. Maîtresse tu carré noir et si les
nuages de tout à l'heure myosotis, ils moulins dans la
toujours présente éternité.
CHANSON DE CHASSE
La chasseresse sans chance
de son sein choie son sang sur ses chasselas
chasuble sur ce chaud si chaud sol
chat sauvage
chat chat sauvage qui vaut sage
chat sage ou sage sauvage
laissez sécher les chasses léchées
chasse ces chars sans chevaux et cette échine
sans châle
si sûre chasseresse
son sort qu'un chancre sigille
chose sans chagrin
chanson sans chair chanson chiche.
ÉLÉGANT CANTIQUE
DE SALOMÉ SALOMON
Mon mal meurt mais mes mains miment
Nœuds, nerfs non anneaux. Nul nord
Même amour mol ? mames, mord
Nus nénés nonne ni Nine.
Où est Ninive sur la mammemonde ?
Ma mer, m'amis, me murmure :
« nos nils noient nos nuits nées neiges ».
Meurt momie ! môme : âme au mur.
Néant nié nom ni nerf n'ai-je !
Aime haine
Et n'aime
haine aime
aimai ne
M N
N M
N M
M N
LE BONBON
Je je suis suis le le roi roi
des montagnes
j'ai de de beaux beaux bobos beaux beaux yeux yeux
il fait une chaleur chaleur
j'ai nez
j'ai doigt doigt doigt doigt doigt à à
chaque main main
j'ai dent dent dent dent dent dent dent
dent dent dent dent dent dent dent
dent dent dent dent dent dent dent
dent dent dent dent dent dent dent
dent dent dent dent
Tu tu me me fais fais souffrir
mais peu m'importe m'importe
la la porte porte.
AU MOCASSIN LE VERBE
Tu me suicides, si docilement.
Je te mourrai pourtant un jour.
Je connaîtrons cette femme idéale
et lentement je neigerai sur sa bouche.
Et je pleuvrai sans doute même si je fais tard, même si
je fais beau temps.
Nous aimez si peu nos yeux
et s'écroulerai cette larme sans
raison bien entendu et sans tristesse.
Sans.
CŒUR EN BOUCHE
Son manteau traînait comme un soleil couchant
et les perles de son collier étaient belles comme des dents.
Une neige de seins qu'entourait la maison
et dans l'âtre un feu de baisers.
Et les diamants de ses bagues étaient plus brillants que
des yeux.
« Nocturne visiteuse Dieu croit en moi !
– Je vous salue gracieuse de plénitude
les entrailles de votre fruit sont bénies.
Dehors se courbent les roseaux fines tailles.
Les chats grincent mieux que les girouettes.
Demain à la première heure, respirer des roses aux doigts
d'aurore
et la nue éclatante transformera en astre le duvet. »
Dans la nuit ce fut l'injure des rails aux indifférentes
locomotives
près des jardins où les roses oubliées
sont des amourettes déracinées.
« Nocturne visiteuse un jour je me coucherai dans un linceul comme dans une mer.
Tes regards sont des rayons d'étoile
les rubans de ta robe des routes vers l'infini.
Viens dans un ballon léger semblable à un cœur
malgré l'aimant, arc de triomphe quant à la forme.
Les giroflées du parterre deviennent les mains les plus
belles d'Haarlem.
Les siècles de notre vie durent à peine des secondes.
A peine les secondes durent-elles quelques amours.
A chaque tournant il y a un angle droit qui ressemble à
un vieillard.
Le loup à pas de nuit s'introduit dans ma couche.
Visiteuse ! Visiteuse ! tes boucliers sont des seins !
Dans l'atelier se dressent aussi sournoises que des langues
les vipères.
Et les étaux de fer comme les giroflées sont devenus des
mains.
Avec les fronts de qui lapiderez-vous les cailloux ?
Quel lion te suit plus grondant qu'un orage ?
Voici venir les cauchemars des fantômes. »
Et le couvercle du palais se ferma aussi bruyamment
que les portes du cercueil.
On me cloua avec des clous aussi maigres
que des morts
dans une mort de silence.
Maintenant vous ne prêterez plus d'attention
aux oiseaux de la chansonnette.
L'éponge dont je me lave n'est qu'un cerveau ruisselant
et des poignards me pénètrent avec l'acuité de vos regards.
L'ASILE AMI
Là ! L'Asie. Sol miré, phare d'haut, phalle ami docile
à la femme, il l'adore, et dos ci dos là mille a mis ! Phare
effaré la femme y résolut d'odorer la cire et la fade eau.
L'art est facile à dorer : fard raide aux mimis, domicile à
lazzi. Dodo l'amie outrée !
UN JOUR QU'IL FAISAIT NUIT
Il s'envola au fond de la rivière.
Les pierres en bois d'ébène les fils de fer en or et la
croix sans branche.
Tout rien.
Je la hais d'amour comme tout un chacun.
Le mort respirait de grandes bouffées de vide.
Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq
côtés.
Après cela il descendit au grenier.
Les étoiles de midi resplendissaient.
Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons sur
la rive au milieu de la Seine.
Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence.
En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours.
Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait
la foule.
Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le
courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se
fermèrent et l'aube versa sur nous les réservoirs
de la nuit.
La pluie nous sécha.
ISABELLE ET MARIE
Isabelle rencontra Marie au bas de l'escalier :
« Tu n'es qu'une chevelure ! lui dit-elle.
– et toi une main.
– main toi-même, omoplate !
– omoplate ? c'est trop fort, espèce de sein.
– Langue ! dent ! pubis !
– œil !
– cils ! aisselle ! rein !
– gorge !... oreille !
– Oreille ? moi ? regarde-toi, narine !
– non mais, vieille gencive !
– doigt !
– con ! »
(31 mai 1923)
LA COLOMBE DE L'ARCHE
Maudit !
soit le père de l'épouse
du forgeron qui forgea le fer de la cognée
avec laquelle le bûcheron abattit le chêne
dans lequel on sculpta le lit
où fut engendré l'arrière-grand-père
de l'homme qui conduisit la voiture
dans laquelle ta mère
rencontra ton père.
(14 novembre 1923)
C'ÉTAIT UN BON COPAIN
Il avait le cœur sur la main
Et la cervelle dans la lune
C'était un bon copain
Il avait l'estomac dans les talons
Et les yeux dans nos yeux
C'était un triste copain
Il avait la tête à l'envers
Et le feu là où vous pensez
Mais non quoi il avait le feu au derrière
C'était un drôle de copain
Quand il prenait ses jambes à son cou
Il mettait son nez partout
C'était un charmant copain
Il avait une dent contre Étienne
A la tienne Étienne à la tienne mon vieux
C'était un amour de copain
Il n'avait pas sa langue dans la poche
Ni la main dans la poche du voisin
Il ne pleurait jamais dans mon gilet
C'était un copain
C'était un bon copain.
A LA MYSTÉRIEUSE
(1926)
O DOULEURS DE L'AMOUR !
O douleurs de l'amour !
Comme vous m'êtes nécessaires et comme vous m'êtes
chères.
Mes yeux qui se ferment sur des larmes imaginaires,
mes mains qui se tendent sans cesse vers le vide.
J'ai rêvé cette nuit de paysages insensés et d'aventures
dangereuses aussi bien du point de vue de la mort que du
point de vue de la vie qui sont aussi le point de vue de
l'amour.
Au réveil vous étiez présentes, ô douleurs de l'amour,
ô muses du désert, ô muses exigeantes.
Mon rire et ma joie se cristallisent autour de vous.
C'est votre fard, c'est votre poudre, c'est votre rouge,
c'est votre sac de peau de serpent, c'est vos bas de soie...
et c'est aussi ce petit pli entre l'oreille et la nuque, à la
naissance du cou, c'est votre pantalon de soie et votre
fine chemise et votre manteau de fourrure, votre ventre
rond c'est mon rire et mes joies vos pieds et tous vos
bijoux.
En vérité, comme vous êtes bien vêtue et bien parée.
O douleurs de l'amour, anges exigeants, voilà que je
vous imagine à l'image même de mon amour, que je vous
confonds avec lui...
O douleurs de l'amour, vous que je crée et habille, vous
vous confondez avec mon amour dont je ne connais que
les vêtements et aussi les yeux, la voix, le visage, les
mains, les cheveux, les dents, les yeux...
J'AI TANT RÊVÉ DE TOI
J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de
baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est
chère ?
J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante
et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute
que je m'éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes
les apparences de la vie et de l'amour et toi, la seule qui
compte aujourd'hui pour moi, je pourrais moins toucher
ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier
front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec
ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre
cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera
allégrement sur le cadran solaire de ta vie.
LES ESPACES DU SOMMEIL
Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles du
monde et la grandeur et le tragique et le charme.
Les forêts s'y heurtent confusément avec des créatures
de légende cachées dans les fourrés.
Il y a toi.
Dans la nuit il y a le pas du promeneur et celui de l'assassin et celui du sergent de ville et la lumière du réverbère et celle de la lanterne du chiffonnier.
Il y a toi.
Dans la nuit passent les trains et les bateaux et le mirage des pays où il fait jour. Les derniers souffles du crépuscule et les premiers frissons de l'aube.
Il y a toi.
Un air de piano, un éclat de voix.
Une porte claque. Une horloge.
Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits
matériels.
Mais encore moi qui me poursuis ou sans cesse me
dépasse.
Il y a toi l'immolée, toi que j'attends.
Parfois d'étranges figures naissent à l'instant du sommeil et disparaissent.
Quand je ferme les yeux, des floraisons phosphorescentes apparaissent et se fanent et renaissent comme des
feux d'artifice charnus.
Des pays inconnus que je parcours en compagnie de
créatures.
Il y a toi sans doute, ô belle et discrète espionne.
Et l'âme palpable de l'étendue.
Et les parfums du ciel et des étoiles et le chant du coq
d'il y a 2.000 ans et le cri du paon dans des parcs en flamme
et des baisers.
Des mains qui se serrent sinistrement dans une lumière
blafarde et des essieux qui grincent sur des routes médusantes.
Il y a toi sans doute que je ne connais pas, que je connais au contraire.
Mais qui, présente dans mes rêves, t'obstines à s'y
laisser deviner sans y paraître.
Toi qui restes insaisissable dans la réalité et dans le rêve.
Toi qui m'appartiens de par ma volonté de te posséder en illusion mais qui n'approches ton visage du mien
que mes yeux clos aussi bien au rêve qu'à la réalité.
Toi qu'en dépit d'une rhétorique facile où le flot meurt
sur les plages, où la corneille vole dans des usines en
ruines, où le bois pourrit en craquant sous un soleil de plomb.
Toi qui es à la base de mes rêves et qui secoues mon
esprit plein de métamorphoses et qui me laisses ton gant
quand je baise ta main.
Dans la nuit il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des
herbes, des poumons de millions et millions d'êtres.
Dans la nuit il y a les merveilles du monde.
Dans la nuit il n'y a pas d'anges gardiens mais il y a
le sommeil.
Dans la nuit il y a toi.
Dans le jour aussi.
SI TU SAVAIS
Loin de moi et semblable aux étoiles, à la mer et à
tous les accessoires de la mythologie poétique,
Loin de moi et cependant présente à ton insu,
Loin de moi et plus silencieuse encore parce que je
t'imagine sans cesse,
Loin de moi, mon joli mirage et mon rêve éternel, tu
ne peux pas savoir.
Si tu savais.
Loin de moi et peut-être davantage encore de m'ignorer et m'ignorer encore.
Loin de moi parce que tu ne m'aimes pas sans doute ou
ce qui revient au même, que j'en doute.
Loin de moi parce que tu ignores sciemment mes désirs
passionnés.
Loin de moi parce que tu es cruelle.
Si tu savais.
Loin de moi, ô joyeuse comme la fleur qui danse dans
la rivière au bout de sa tige aquatique, ô triste comme
sept heures du soir dans les champignonnières.
Loin de moi silencieuse encore ainsi qu'en ma présence
et joyeuse encore comme l'heure en forme de cigogne qui
tombe de haut.
Loin de moi à l'instant où chantent les alambics, à
l'instant où la mer silencieuse et bruyante se replie sur
les oreillers blancs.
Si tu savais.
Loin de moi, ô mon présent présent tourment, loin de
moi au bruit magnifique des coquilles d'huîtres qui se
brisent sous le pas du noctambule, au petit jour, quand
il passe devant la porte des restaurants.
Si tu savais.
Loin de moi, volontaire et matériel mirage.
Loin de moi c'est une île qui se détourne au passage
des navires.
Loin de moi un calme troupeau de bœufs se trompe de
chemin, s'arrête obstinément au bord d'un profond précipice, loin de moi, ô cruelle.
Loin de moi, une étoile filante choit dans la bouteille
nocturne du poète. Il met vivement le bouchon et dès lors
il guette l'étoile enclose dans le verre, il guette les constellations qui naissent sur les parois, loin de moi, tu es loin
de moi.
Si tu savais.
Loin de moi une maison achève d'être construite.
Un maçon en blouse blanche au sommet de l'échafaudage chante une petite chanson très triste et, soudain,
dans le récipient empli de mortier apparaît le futur de
la maison : les baisers des amants et les suicides à deux
et la nudité dans les chambres des belles inconnues et
leurs rêves à minuit, et les secrets voluptueux surpris
par les lames de parquet.
Loin de moi,
Si tu savais.
Si tu savais comme je t'aime et, bien que tu ne m'aimes
pas, comme je suis joyeux, comme je suis robuste et fier
de sortir avec ton image en tête, de sortir de l'univers.
Comme je suis joyeux à en mourir.
Si tu savais comme le monde m'est soumis.
Et toi, belle insoumise aussi, comme tu es ma prisonnière.
O toi, loin-de-moi à qui je suis soumis.
Si tu savais.
NON L'AMOUR N'EST PAS MORT
Non, l'amour n'est pas mort en ce cœur et ces yeux et
cette bouche qui proclamait ses funérailles commencées.
Écoutez, j'en ai assez du pittoresque et des couleurs et
du charme.
J'aime l'amour, sa tendresse et sa cruauté.
Mon amour n'a qu'un seul nom, qu'une seule forme.
Tout passe. Des bouches se collent à cette bouche.
Mon amour n'a qu'un nom, qu'une forme.
Et si quelque jour tu t'en souviens
O toi, forme et nom de mon amour,
Un jour sur la mer entre l'Amérique et l'Europe,
A l'heure où le rayon final du soleil se réverbère sur la
surface ondulée des vagues, ou bien une nuit d'orage sous
un arbre dans la campagne ou dans une rapide automobile,
Un matin de printemps boulevard Malesherbes,
Un jour de pluie,
A l'aube avant de te coucher,
Dis-toi, je l'ordonne à ton fantôme familier, que je fus
seul à t'aimer davantage et qu'il est dommage que tu
ne l'aies pas connu.
Dis-toi qu'il ne faut pas regretter les choses : Ronsard
avant moi et Baudelaire ont chanté le regret des vieilles
et des mortes qui méprisèrent le plus pur amour.
Toi quand tu seras morte
Tu seras belle et toujours désirable.
Je serai mort déjà, enclos tout entier en ton corps immortel, en ton image étonnante présente à jamais parmi
les merveilles perpétuelles de la vie et de l'éternité,
mais si je vis
Ta voix et son accent, ton regard et ses rayons,
L'odeur de toi et celle de tes cheveux et beaucoup
d'autres choses encore vivront en moi,
En moi qui ne suis ni Ronsard ni Baudelaire,
Moi qui suis Robert Desnos et qui pour t'avoir connue
et aimée,
Les vaux bien.
Moi qui suis Robert Desnos, pour t'aimer
Et qui ne veux pas attacher d'autre réputation à ma
mémoire sur la terre méprisable.
COMME UNE MAIN A L'INSTANT
DE LA MORT
Comme une main à l'instant de la mort et du naufrage
se dresse comme les rayons du soleil couchant, ainsi de
toutes parts jaillissent tes regards.
Il n'est plus temps, il n'est plus temps peut-être de
me voir,
Mais la feuille qui tombe et la roue qui tourne te
diront que rien n'est perpétuel sur terre,
Sauf l'amour,
Et je veux m'en persuader.
Des bateaux de sauvetage peints de rougeâtres couleurs,
Des orages qui s'enfuient,
Une valse surannée qu'emportent le temps et le vent
durant les longs espaces du ciel.
Paysages.
Moi je n'en veux pas d'autres que l'étreinte à laquelle
j'aspire,
Et meure le chant du coq.
Comme une main à l'instant de la mort se crispe,
mon cœur se serre.
Je n'ai jamais pleuré depuis que je te connais.
J'aime trop mon amour pour pleurer.
Tu pleureras sur mon tombeau,
Ou moi sur le tien.
Il ne sera pas trop tard.
Je mentirai. Je dirai que tu fus ma maîtresse
Et puis vraiment c'est tellement inutile,
Toi et moi, nous mourrons bientôt.
A LA FAVEUR DE LA NUIT
Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre,
Cette ombre à la fenêtre c'est toi, ce n'est pas une autre,
c'est toi.
N'ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle
tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s'ouvre et le vent, le vent qui balance
bizarrement la flamme et le drapeau entoure ma fuite
de son manteau.
La fenêtre s'ouvre : ce n'est pas toi.
Je le savais bien.
LES TÉNÈBRES
(1927)
I
LA VOIX DE ROBERT DESNOS
Si semblable à la fleur et au courant d'air
au cours d'eau aux ombres passagères
au sourire entrevu ce fameux soir à minuit
si semblable à tout au bonheur et à la tristesse
c'est le minuit passé dressant son torse nu au-dessus
des beffrois et des peupliers
j'appelle à moi ceux-là perdus dans les campagnes
les vieux cadavres les jeunes chênes coupés
les lambeaux d'étoffe pourrissant sur la terre et le linge
séchant aux alentours des fermes
j'appelle à moi les tornades et les ouragans
les tempêtes les typhons les cyclones
les raz de marée
les tremblements de terre
j'appelle à moi la fumée des volcans et celle des cigarettes
les ronds de fumée des cigares de luxe
j'appelle à moi les amours et les amoureux
j'appelle à moi les vivants et les morts
j'appelle les fossoyeurs j'appelle les assassins
j'appelle les bourreaux j'appelle les pilotes les maçons
et les architectes
les assassins
j'appelle la chair
j'appelle celle que j'aime
j'appelle celle que j'aime
j'appelle celle que j'aime
le minuit triomphant déploie ses ailes de satin et se pose
sur mon lit
les beffrois et les peupliers se plient à mon désir
ceux-là s'écroulent ceux-là s'affaissent
les perdus dans la campagne se retrouvent en me trouvant
les vieux cadavres ressuscitent à ma voix
les jeunes chênes coupés se couvrent de verdure
les lambeaux d'étoffe pourrissant dans la terre et sur
la terre
claquent à ma voix comme l'étendard de la révolte
le linge séchant aux alentours des fermes habille d'adorables femmes que je n'adore pas
qui viennent à moi
obéissent à ma voix et m'adorent
les tornades tournent dans ma bouche
les ouragans rougissent s'il est possible mes lèvres
les tempêtes grondent à mes pieds
les typhons s'il est possible me dépeignent
je reçois les baisers d'ivresse des cyclones
les raz de marée viennent mourir à mes pieds
les tremblements de terre ne m'ébranlent pas mais font
tout crouler à mon ordre
la fumée des volcans me vêt de ses vapeurs
et celle des cigarettes me parfume
et les ronds de fumée des cigares me couronnent
les amours et l'amour si longtemps poursuivis se réfugient en moi
les amoureux écoutent ma voix
les vivants et les morts se soumettent et me saluent les
premiers froidement les seconds familièrement
les fossoyeurs abandonnent les tombes à peine creusées
et déclarent que moi seul puis commander leurs nocturnes travaux
les assassins me saluent
les bourreaux invoquent la révolution
invoquent ma voix
invoquent mon nom
les pilotes se guident sur mes yeux
les maçons ont le vertige en m'écoutant
les architectes partent pour le désert
les assassins me bénissent
la chair palpite à mon appel
celle que j'aime ne m'écoute pas
celle que j'aime ne m'entend pas
celle que j'aime ne me répond pas.
(14 décembre 1926)
II
INFINITIF
Y mourir ô belle flammèche y mourir
voir les nuages fondre comme la neige et l'écho
origines du soleil et du blanc pauvres comme Job
ne pas mourir encore et voir durer l'ombre
naître avec le feu et ne pas mourir
étreindre et embrasser amour fugace le ciel mat
gagner les hauteurs abandonner le bord
et qui sait découvrir ce que j'aime
omettre de transmettre mon nom aux années
rire aux heures orageuses dormir au pied d'un pin
grâce aux étoiles semblables à un numéro
et mourir ce que j'aime au bord des flammes.
III
LE VENDREDI DU CRIME
Un incroyable désir s'empare des femmes endormies
Une pierre précieuse s'endort dans l'écrin bleu de roi
Et voilà que sur le chemin s'agitent les cailloux fatigués
Plus jamais les pas des émues par la nuit
Passez cascades
Les murailles se construisent au son du luth d'Orphée
Et s'écroulent au son des trompettes de Jéricho
Sa voix perce les murailles
Et mon regard les supprime sans ruines
Ainsi passent les cascades avec la lamentation des étoiles
Plus de cailloux sur le sentier
Plus de femmes endormies
Plus de femmes dans l'obscurité
Ainsi passez cascades.
IV
L'IDÉE FIXE
Je t'apporte une petite algue qui se mêlait à l'écume de
la mer et ce peigne
Mais tes cheveux sont mieux nattés que les nuages avec
le vent avec les rougeurs célestes et tels avec des
frémissements de vie et de sanglots que se tordant
parfois entre mes mains ils meurent avec les flots
et les récifs du rivage en telle abondance qu'il faudra
longtemps pour désespérer des parfums et de leur
fuite avec le soir où ce peigne marque sans bouger
les étoiles ensevelies dans leur rapide et soyeux cours
traversé par mes doigts sollicitant encore à leur racine
la caresse humide d'une mer plus dangereuse que
celle où cette algue fut recueillie avec la mousse dispersée d'une tempête
Une étoile qui meurt est pareille à tes lèvres
Elles bleuissent comme le vin répandu sur la nappe
Un instant passe avec la profondeur d'une mine
L'anthracite se plaint sourdement et tombe en flocons
sur la ville
Qu'il fait froid dans l'impasse où je t'ai connue
Un numéro oublié sur une maison en ruines
Le numéro 4 je crois
Je te retrouverai avant quelques jours près de ce pot de
reine-marguerite
Les mines ronflent sourdement
Les toits sont couverts d'anthracite
Ce peigne dans tes cheveux semblable à la fin du monde
La fumée le vieil oiseau et le geai
Là sont finies les roses et les émeraudes
Les pierres précieuses et les fleurs
La terre s'effrite et s'étoile avec le bruit d'un fer à repasser sur la nacre
Mais tes cheveux si bien nattés ont la forme d'une main.
V
SOUS LES SAULES
L'étrange oiseau dans la cage aux flammes
Je déclare que je suis le bûcheron de la forêt d'acier
que les martes et les loutres sont des jamais connues
l'étrange oiseau qui tord ses ailes et s'illumine
Un feu de Bengale inattendu a charmé ta parole
Quand je te quitte il rougit mes épaules et l'amour
Le quart d'heure vineux mieux vêtu qu'un décor lointain étire ses bras débiles et fait craquer ses doigts
d'albâtre
A la date voulue tout arrivera en transparence plus
fameux que la volière où les plumes se dispersent
Un arbre célèbre se dresse au-dessus du monde avec des
pendus en ses racines profondes vers la terre
C'est ce jour que je choisis
Un flamboyant poignard a tué l'étrange oiseau dans la
cage de flamme et la forêt d'acier vibre en sourdine
illuminée par le feu des mortes giroflées
Dans le taillis je t'ai cachée dans le taillis qui se proclame
roi des plaines.
VI
TROIS ÉTOILES
J'ai perdu le regret du mal passé les ans.
J'ai gagné la sympathie des poissons.
Plein d'algues, le palais qui abrite mes rêves est un
récif et aussi un territoire du ciel d'orage et non du ciel
trop pâle de la mélancolique divinité.
J'ai perdu tout de même la gloire que je méprise.
J'ai tout perdu hormis l'amour, l'amour de l'amour,
l'amour des algues, l'amour de la reine des catastrophes.
Une étoile me parle à l'oreille :
« Croyez-moi, c'est une belle dame,
Les algues lui obéissent et la mer elle-même se transforme en robe de cristal, quand elle paraît sur la plage. »
Belle robe de cristal tu résonnes à mon nom.
Les vibrations, ô cloche surnaturelle, se perpétuent
dans sa chair
Les seins en frémissent.
La robe de cristal sait mon nom,
La robe de cristal m'a dit :
« Fureur en toi, amour en toi
Enfant des étoiles sans nombres
Maître du seul vent et du seul sable
Maître des carillons de la destinée et de l'éternité,
Maître de tout enfin hormis de l'amour de sa belle
Maître de tout ce qu'il a perdu et esclave de ce qu'il
garde encore.
Tu seras le dernier convive à la table ronde de l'amour.
Les convives, les autres larrons ont emporté les couverts d'argent.
Le bois se fend, la neige fond.
Maître de tout hormis de l'amour de sa dame.
Toi qui commandes aux dieux ridicules de l'humanité
et ne te sers pas de leur pouvoir qui t'est soumis.
Toi, maître, maître de tout hormis de l'amour de ta
belle. »
Voilà ce que m'a dit la robe de cristal.
VII
CHANT DU CIEL
La fleur des Alpes disait au coquillage : « tu luis »
Le coquillage disait à la mer : « tu résonnes »
La mer disait au bateau : « tu trembles »
Le bateau disait au feu : « tu brilles »
Le feu me disait : « je brille moins que ses yeux »
Le bateau me disait : « je tremble moins que ton cœur
quand elle paraît »
La mer me disait : « je résonne moins que son nom en
ton amour »
Le coquillage me disait : « je luis moins que le phosphore du désir dans ton rêve creux »
La fleur des Alpes me disait : « elle est belle »
Je disais : « elle est belle, elle est belle, elle est émouvante ».
VIII
DE LA FLEUR D'AMOUR
ET DES CHEVAUX MIGRATEURS
Il était dans la forêt une fleur immense qui risquait
de faire mourir d'amour tous les arbres
Tous les arbres l'aimaient
Les chênes vers minuit devenaient reptiles et rampaient jusqu'à sa tige
Les frênes et les peupliers se courbaient vers sa corolle
Les fougères jaunissaient dans sa terre
Et telle elle était radieuse plus que l'amour nocturne
de la mer et de la lune
Plus pâle que les grands volcans éteints de cet astre
Plus triste et nostalgique que le sable qui se dessèche
et se mouille au gré des flots
Je parle de la fleur de la forêt et non des tours
Je parle de la fleur de la forêt et non de mon amour
Et si telle trop pâle et nostalgique et adorable aimée
des arbres et des fougères elle retient mon souffle sur
les lèvres c'est que nous sommes de même essence
Je l'ai rencontrée un jour
Je parle de la fleur et non des arbres
Dans la forêt frémissante où je passais
Salut papillon qui mourut dans sa corolle
Et toi fougère pourrissante mon cœur
Et vous mes yeux fougères presque charbon presque
flamme presque flot
Je parle en vain de la fleur mais de moi
Les fougères ont jauni sur le sol devenu pareil à la lune
Semblable le temps précis à l'agonie d'une abeille perdue entre un bleuet et une rose et encore une perle
Le ciel n'est pas si clos
Un homme surgit qui dit son nom devant lequel s'ouvre
les portes un chrysanthème à la boutonnière
C'est de la fleur immobile que je parle et non des ports
de l'aventure et de la solitude
Les arbres un à un moururent autour de la fleur
Qui se nourrissait de leur mort pourrissante
Et c'est pourquoi la plaine devint semblable à la pulpe
des fruits
Pourquoi les villes surgirent
Une rivière à mes pieds se love et reste à ma merci
ficelle de la salutation des images
Un cœur quelque part s'arrête de battre et la fleur se
dresse
C'est la fleur dont l'odeur triomphe du temps
La fleur qui d'elle-même a révélé son existence aux
plaines dénudées pareilles à la lune à la mer et à l'aride
atmosphère des cœurs douloureux
Une pince de homard bien rouge reste à côté de la marmite
Le soleil projette l'ombre de la bougie et de la flamme
La fleur se dresse avec orgueil dans un ciel de fable
Vos ongles mes amies sont pareils à ses pétales et roses
comme eux
La forêt murmurante en bas se déploie
Un cœur qui s'arrête comme une source tarie
Il n'est plus temps il n'est plus temps d'aimer vous
qui passez sur la route
La fleur de la forêt dont je conte l'histoire est un chrysanthème
Les arbres sont morts les champs ont verdi les villes
sont apparues
Les grands chevaux migrateurs piaffent dans leurs
écuries lointaines
Bientôt les grands chevaux migrateurs partent
Les villes regardent passer leur troupeau dans les rues
dont le pavé résonne au choc de leurs sabots et parfois
étincelle
Les champs sont bouleversés par cette cavalcade
Eux la queue traînant dans la poussière et les naseaux
fumants passent devant la fleur
Longtemps se prolongent leurs ombres
Mais que sont-ils devenus les chevaux migrateurs dont
la robe tachetée était un gage de détresse
Parfois on trouve un fossile étrange en creusant la terre
C'est un de leurs fers
La fleur qui les vit fleurit encore sans tache ni faiblesse
Les feuilles poussent au long de sa tige
Les fougères s'enflamment et se penchent aux fenêtres
des maisons
Mais les arbres que sont-ils devenus
La fleur pourquoi fleurit-elle
Volcans ! ô volcans !
Le ciel s'écroule
Je pense à très loin au plus profond de moi
Les temps abolis sont pareils aux ongles brisés sur les
portes closes
Quand dans les campagnes un paysan va mourir entouré
des fruits mûrs de l'arrière-saison du bruit du givre qui
se craquelle sur les vitres de l'ennui flétri fané comme les
bluets du gazon
Surgissent les chevaux migrateurs
Quand un voyageur s'égare dans les feux follets plus
crevassés que le front des vieillards et qu'il se couche
dans le terrain mouvant
Surgissent les chevaux migrateurs
Quand une fillette se couche nue au pied d'un bouleau
et attend
Surgissent les chevaux migrateurs
Ils apparaissent dans un galop de flacons brisés et
d'armoires grinçantes
Ils disparaissent dans un creux
Nulle selle n'a flétri leur échine et leur croupe luisante
reflète le ciel
Ils passent éclaboussant les murs fraîchement recrépis
Et le givre craquant les fruits mûrs les fleurs effeuillées l'eau croupissante le terrain mou des marécages qui
se modèlent lentement
Voient passer les chevaux migrateurs
Les chevaux migrateurs
Les chevaux migrateurs
Les chevaux migrateurs
Les chevaux migrateurs.
IX
AVEC LE CŒUR DU CHÊNE
Avec le bois tendre et dur de ces arbres, avec le cœur
du chêne et l'écorce du bouleau combien ferait-on de ciels,
combien d'océans, combien de pantoufles pour les jolis
pieds d'Isabelle la vague ?
Avec le cœur du chêne et l'écorce du bouleau.
Avec le ciel combien ferait-on de regards, combien
d'ombres derrière le mur, combien de chemises pour le
corps d'Isabelle la vague ?
Avec le cœur du chêne et l'écorce du bouleau, avec le
ciel.
Avec les océans combien ferait-on de flammes, combien
de reflets au bord des palais, combien d'arcs-en-ciel au-dessus de la tête d'Isabelle la vague ?
Avec le cœur du chêne et l'écorce du bouleau, avec le
ciel, avec les océans.
Avec les pantoufles combien ferait-on d'étoiles, de chemins dans la nuit, de marques dans la cendre, combien
monterait-on d'escaliers pour rencontrer Isabelle la vague ?
Avec le cœur du chêne et l'écorce du bouleau, avec le
ciel, avec les océans, avec les pantoufles.
Mais Isabelle la vague, vous m'entendez, n'est qu'une
image du rêve à travers les feuilles vernies de l'arbre de
la mort et de l'amour.
Avec le cœur du chêne et l'écorce du bouleau.
Qu'elle vienne jusqu'à moi dire en vain la destinée que
je retiens dans mon poing fermé et qui ne s'envole pas
quand j'ouvre la main et qui s'inscrit en lignes étranges.
Avec le cœur du chêne et l'écorce du bouleau, avec le ciel.
Elle pourra mirer son visage et ses cheveux au fond de
mon âme et baiser ma bouche.
Avec le cœur du chêne et l'écorce du bouleau, avec le
ciel, avec les océans.
Elle pourra se dénuder, je marcherai à ses côtés à travers le monde, dans la nuit, pour l'épouvante des veilleurs. Elle pourra me tuer, me piétiner ou mourir à mes
pieds.
Car j'en aime une autre plus touchante qu'Isabelle la
vague.
Avec le cœur du chêne et l'écorce du bouleau, avec le
ciel, avec les océans, avec les pantoufles.
X
VIEILLE CLAMEUR
Une tige dépouillée dans ma main c'est le monde
La serrure se ferme sur l'ombre et l'ombre met son œil
à la serrure
Et voilà que l'ombre se glisse dans la chambre
La belle amante que voila l'ombre plus charnelle que ne
l'imagine perdu dans son blasphème le grand oiseau
de fourrure blanche perché sur l'épaule de la belle
de l'incomparable putain qui veille sur le sommeil
Le chemin se calme soudain en attendant la tempête
Un vert filet à papillon s'abat sur la bougie
Qui es-tu toi qui prends la flamme pour un insecte
Un étrange combat entre la gaze et le feu
C'est à vos genoux que je voudrais passer la nuit
C'est à tes genoux
De temps à autre sur ton front ténébreux et calme en
dépit des apparitions nocturnes je remettrai en place
une mèche de cheveux dérangée
Je surveillerai le lent balancement du temps et de ta respiration
Ce bouton je l'ai trouvé par terre
Il est en nacre
Et je cherche la boutonnière qui le perdit
Je sais qu'il manque un bouton à ton manteau
Au flanc de la montagne se flétrit l'edelweiss
L'edelweiss qui fleurit dans mon rêve et dans tes mains
quand elles s'ouvrent
Salut de bon matin quand l'ivresse est commune quand
le fleuve adolescent descend d'un pas nonchalant les
escaliers de marbre colossaux avec son cortège de
nuées blanches et d'orties
La plus belle nuée était un clair de lune récemment transformé et l'ortie la plus haute était couverte de diamants
Salut de bon matin à la fleur du charbon la vierge au
grand cœur qui m'endormira ce soir
Salut de bon matin aux yeux de cristal aux yeux de lavande
aux yeux de gypse aux yeux de calme plat aux yeux
de sanglot aux yeux de tempête
Salut de bon matin salut
La flamme est dans mon cœur et le soleil dans le verre
Mais jamais plus hélas ne pourrons-nous dire encore
Salut de bon matin tous ! crocodiles yeux de cristal orties
vierge fleur du charbon vierge au grand cœur.
XI
LE SUICIDÉ DE NUIT
Les rameaux verts s'inclinent quand la libellule apparaît
au détour du sentier
J'approche d'une pierre tombale plus transparente que
la neige blanche comme le lait blanche comme la
chaux blanche blanche comme les murailles
La libellule patauge dans les flaques de lait
L'armure de verre tremble frémit se met en marche
Les arcs-en-ciel se nouent à la Louis XV
Eh quoi ? déjà le sol dérobé par notre route dresse la main
Se bat avec l'armure de verre
Sonne aux portes
Flotte dans l'air
Crie
Gémit pleure ah ! ah ! ah ! ah ! sillage tu meurs en ce bruit
bleu rocher
Les grands morceaux d'éponges qui tombent du ciel
recouvrent les cimetières
Le vin coule avec un bruit de tonnerre
Le lait le sol dérobé l'armure se battent sur l'herbe qui
rougit et blanchit tour à tour
Le tonnerre et l'éclair et l'arc-en-ciel
Ah ! sillage tu crevasses et tu chantes !
La petite fille s'en va à l'école en récitant sa leçon.
XII
POUR UN RÊVE DE JOUR
Le meurtre du douanier lut splendide avec le cerne bleu
des yeux et l'accent rauque des canards près de la
mare
Le meurtre fut splendide mais déjà le soleil se transformait en robe de crêpe
Filleule de l'ananas et portrait même des profondeurs
de la mer
Un cygne se couche sur l'herbe voici le poème des métamorphoses Le cygne qui devient boîte d'allumettes
et le phosphore en guise de cravate
Triste fin Métamorphose du silence en silence et chanson-verre du feu à Neuilly le dimanche éclair qui se
désole et rame à contre-courant du nord magnétique et si peu fait pour comprendre que jamais du
fond des consciences ténébreuses sortir en éclat d'ailes
et le fer se troubler si l'escalier se résorbe en pluie
sur l'étrange tissu marin que parfois les pêcheurs
ramènent dans leur filet de cheveux et d'écaille au
grand effroi des Peaux-Rouges du tumulus et du
signe fatal du chargé de découvrir l'heure et la vitesse
qui sanglote et palpite avec l'arrêt de la sonnerie
qui qui qui et qui ?
Cueille cueille la rose et ne t'occupe pas de ton destin
cueille cueille la rose et la feuille de palmier et relève
les paupières de la jeune fille pour qu'elle te regarde
ÉTERNELLEMENT.
XIII
IL FAIT NUIT
Tu t'en iras quand tu voudras
Le lit se ferme et se délace avec délices comme un corset
de velours noir
Et l'insecte brillant se pose sur l'oreiller
Éclate et rejoint le Noir
Le flot qui martèle arrive et se tait
Samoa la belle s'endort dans l'ouate
Clapier que fais-tu des drapeaux ? tu les roules dans la boue
A la bonne étoile et au fond de toute boue
Le naufrage s'accentue sous la paupière
Je conte et décris le sommeil
Je recueille les flacons de la nuit et je les range sur une
étagère
Le ramage de l'oiseau de bois se confond avec le bris des
bouchons en forme de regard
N'y pas aller n'y pas mourir la joie est de trop
Un convive de plus à la table ronde dans la clairière de
vert émeraude et de heaumes retentissants près d'un
monceau d'épées et d'armures cabossées
Nerf en amoureuse lampe éteinte de la fin du jour
Je dors.
XIV
VIE D'ÉBÈNE
Un calme effrayant marquera ce jour
Et l'ombre des réverbères et des avertisseurs d'incendie
fatiguera la lumière
Tout se taira les plus silencieux et les plus bavards
Enfin mourront les nourrissons braillards
Les remorqueurs les locomotives le vent
Glisser en silence
On entendra la grande voix qui venant de loin passera
sur la ville
On l'attendra longtemps
Puis vers le soleil de milord
Quand la poussière les pierres et l'absence de larmes
composent sur les grandes places désertes la robe
du soleil
Enfin on entendra venir la voix
Elle grondera longtemps aux portes
Elle passera sur la ville arrachant les drapeaux et brisant les vitres
On l'entendra
Quel silence avant elle mais plus grand encore le silence
qu'elle ne troublera pas mais qu'elle accusera du
délit de mort prochaine qu'elle flétrira qu'elle dénoncera
O jour de malheurs et de joies
Le jour le jour prochain où la voix passera sur la ville
Une mouette fantomatique m'a dit qu'elle m'aimait
autant que je l'aime
Que ce grand silence terrible était mon amour
Que le vent qui portait la voix était la grande révolte
du monde
Et que la voix me serait favorable.
XV
DÉSESPOIR DU SOLEIL
Quel bruit étrange glissait le long de la rampe d'escalier
au bas de laquelle rêvait la pomme transparente.
Les vergers étaient clos et le sphinx bien loin de là s'étirait dans le sable craquant de chaleur dans la nuit
de tissu fragile.
Ce bruit devait-il durer jusqu'à l'éveil des locataires ou
s'évader dans l'ombre du crépuscule matinal ? Le
bruit persistait. Le sphinx aux aguets l'entendait
depuis des siècles et désirait l'éprouver. Aussi ne
faut-il pas s'étonner de voir la silhouette souple du
sphinx dans les ténèbres de l'escalier. Le fauve égratignait de ses griffes les marches encaustiquées. Les
sonnettes devant chaque porte marquaient de lueurs
la cage de l'ascenseur et le bruit persistant sentant
venir celui qu'il attendait depuis des millions de
ténèbres s'attacha à la crinière et brusquement
l'ombre pâlit.
C'est le poème du matin qui commence tandis que dans
son lit tiède avec des cheveux dénoués rabattus sur
le visage et les draps plus froissés que ses paupières
la vagabonde attend l'instant où s'ouvrira sur un
paysage de résine et d'agate sa porte close encore
aux flots du ciel et de la nuit.
C'est le poème du jour où le sphinx se couche dans le lit
de la vagabonde et malgré le bruit persistant lui
jure un éternel amour digne de foi.
C'est le poème du jour qui commence dans la fumée
odorante du chocolat et le monotone tac tac du cireur
qui s'étonne de voir sur les marches de l'escalier les
traces des griffes du voyageur de la nuit.
C'est le poème du jour qui commence avec des étincelles
d'allumettes au grand effroi des pyramides surprises
et tristes de ne plus voir leur majestueux compagnon
couché à leurs pieds.
Mais le bruit quel était-il ? Dites-le tandis que le poème
du jour commence tandis que la vagabonde et le
sphinx bien-aimé rêvent aux bouleversements de
paysages.
Ce n'était pas le bruit de la pendule ni celui des pas ni
celui du moulin à café.
Le bruit quel était-il ? quel était-il ?
L'escalier s'enfoncera-t-il toujours plus avant ? montera-t-il toujours plus haut ?
Rêvons acceptons de rêver c'est le poème du jour qui
commence.
XVI
IDENTITÉ DES IMAGES
Je me bats avec fureur contre des animaux et des bouteilles
Depuis peu de temps peut-être dix heures sont passées
l'une après l'autre
La belle nageuse qui avait peur du corail ce matin
s'éveille
Le corail couronné de houx frappe à sa porte
Ah ! encore le charbon toujours le charbon
Je t'en conjure charbon génie tutélaire du rêve et de ma
solitude laisse-moi laisse-moi parler encore de la
belle nageuse qui avait peur du corail
Ne tyrannise plus ce séduisant sujet de mes rêves
La belle nageuse reposait dans un lit de dentelles et
d'oiseaux
Les vêtements sur une chaise au pied du lit étaient illuminés par les lueurs les dernières lueurs du charbon
Celui-ci venu des profondeurs du ciel de la terre et de la
mer était fier de son bec de corail et de ses grandes
ailes de crêpe
Il avait toute la nuit suivi des enterrements divergents
vers des cimetières suburbains
Il avait assisté à des bals dans les ambassades marqué
de son empreinte une feuille de fougère des robes de
satin blanc
Il s'était dressé terrible à l'avant des navires et les navires
n'étaient pas revenus
Maintenant tapi dans la cheminée il guettait le réveil
de l'écume et le chant des bouilloires
Son pas retentissant avait troublé le silence des nuits
dans les rues aux pavés sonores
Charbon sonore charbon maître du rêve charbon
Ah dis-moi où est-elle cette belle nageuse cette nageuse
qui avait peur du corail ?
Mais la nageuse elle-même s'est rendormie
Et je reste face à face avec le feu et je resterai la nuit
durant à interroger le charbon aux ailes de ténèbres
qui persiste à projeter sur mon chemin monotone
l'ombre de ses fumées et le reflet terrible de ses
braises
Charbon sonore charbon impitoyable charbon.
XVII
AU PETIT JOUR
Le schiste éclairera-t-il la nuit blanche du liège ?
Nous nous perdrons dans le corridor de minuit avec la
calme horreur du sanglot qui meurt
Accourez tous lézards fameux depuis l'antiquité plantes
grimpantes carnivores digitales
Accourez lianes
Sifflet des révoltes
Accourez girafes
Je vous convie à un grand festin
Tel que la lumière des verres sera pareille à l'aurore
boréale
Les ongles des femmes seront des cygnes étranglés
Pas très loin d'ici une herbe sèche sur le bord du chemin.
XVIII
TÉNÈBRES ! O TÉNÈBRES !
Sycomore effréné fameuse division du temps fleur du
silence animal ô rouge rouge et bleu rouge et jaune
silice surgie du creux des mains des nuits et des
plaines en de féroces exclamations du regard prune
éclat de vitre et d'aisselle acrobate ou des tours dressées du fin fond des abîmes à la voix qui dit je l'adore.
Salut c'est plus dur que le marbre et plus éclatant que
la terre meuble et plus majestueux ô nuage que le
rossignol du palissandre et de l'effroi.
Orgie du métal et des cloques de crapaud je parle et du
ciel je l'entends et du soleil je l'imagine.
Taisons-nous mes amis devant les grands abîmes du clos
de la veuve en crêpe de Chine. Si tu veux lui obéir
en fin de mer et de nuit par les draps de lin blanc
que j'atteste et nous avons connu nos draps blancs
les premiers.
Féroce et lui de dire à la cigogne et au serpent : « Surgissez à minuit juste dans le lait et dans les yeux. »
Si tu l'abandonnes auprès d'un réverbère que les fleurs
seront belles en cornets de bonbons.
Je désire et tu ordonnes et meurent les cricris sauvages
dans les colliers d'ambre avec une pluie d'étincelles
et de flottement d'étoffe à peine tu l'as su mais tu
l'as deviné.
Litre brisé fleur pliante et comme elle avait de beaux
yeux et de belles mains du volcan qui le coulisse
ah ! crevez donc un homard de lentille microscopique évoluant dans un ciel sans nuage ne rencontrera-t-il jamais une comète ni un corbeau ?
Tes yeux tes yeux si beaux sont les voraces de l'obscurité du silence et de l'oubli.
XIX
PAROLES DES ROCHERS
La reine de l'azur et le fou du vide passent dans un cab
A chaque fenêtre s'accoudent les chevelures
Et les chevelures disent : « A bientôt ! »
« A bientôt ! » disent les méduses
« A bientôt ! » disent les soies
Disent les nacres disent les perles disent les diamants
A bientôt une nuit des nuits sans lune et sans étoile
Une nuit de tous les littorals et de toutes les forêts
Une nuit de tout amour et de toute éternité
Une vitre se fend à la fenêtre guettée
Une étoffe claque sur la campagne tragique
Tu seras seul
Parmi les débris de nacre et les diamants carbonisés
Les perles mortes
Seul parmi les soies qui auront été des robes vidées à
ton approche
Parmi les sillages de méduses enfuies quand ton regard
s'est levé
Seules peut-être les chevelures ne fuiront pas
T'obéiront
Fléchiront dans tes doigts comme d'irrévocables condamnations
Chevelures courtes des filles qui m'aimèrent
Chevelures longues des femmes qui m'aimèrent
Et que je n'aimai pas
Restez longtemps aux fenêtres chevelures !
Une nuit de toutes les nuits du littoral
Une nuit de lustre et de funérailles
Un escalier se déroule sous mes pas et la nuit et le jour
ne révèlent à mon destin que ténèbres et échecs
L'immense colonne de marbre le doute soutient seule le
ciel sur ma tête
Les bouteilles vides dont j'écrase le verre en tessons éclatants
Le parfum du liège abandonné par la mer
Les filets des bateaux imaginés par les petites filles
Les débris de la nacre qui se pulvérise lentement
Un soir de tous les soirs d'amour et d'éternité
L'infini profond douleur désir poésie amour révélation
miracle révolution amour l'infini profond m'enveloppe de ténèbres bavardes
Les infinis éternels se brisent en tessons ô chevelure !
C'était ce sera une nuit des nuits sans lune ni perle
Sans même de bouteilles brisées.
XX
DANS BIEN LONGTEMPS
Dans bien longtemps je suis passé par le château des
feuilles
Elles jaunissaient lentement dans la mousse
Et loin les coquillages s'accrochaient désespérément aux
rochers de la mer
Ton souvenir ou plutôt ta tendre présence était à la même
place
Présence transparente et la mienne
Rien n'avait changé mais tout avait vieilli en même temps
que mes tempes et mes yeux
N'aimez-vous pas ce lieu commun ? laissez-moi laissez-moi c'est si rare cette ironique satisfaction
Tout avait vieilli sauf ta présence
Dans bien longtemps je suis passé par la marée du jour
solitaire
Les flots étaient toujours illusoires
La carcasse du navire naufragé que tu connais – tu te
rappelles cette nuit de tempête et de baisers ? –
était-ce un navire naufragé ou un délicat chapeau
de femme roulé par le vent dans la pluie du printemps ? – était à la même place
Et puis foutaise larirette dansons parmi les prunelliers !
Les apéritifs avaient changé de nom et de couleur
Les arcs-en-ciel qui servent de cadre aux glaces
Dans bien longtemps tu m'as aimé.
XXI
JAMAIS D'AUTRE QUE TOI
Jamais d'autre que toi en dépit des étoiles et des solitudes
En dépit des mutilations d'arbre à la tombée de la nuit
Jamais d'autre que toi ne poursuivra son chemin qui est
le mien
Plus tu t'éloignes et plus ton ombre s'agrandit
Jamais d'autre que toi ne saluera la mer à l'aube quand
fatigué d'errer moi sorti des forêts ténébreuses et
des buissons d'orties je marcherai vers l'écume
Jamais d'autre que toi ne posera sa main sur mon front
et mes yeux
Jamais d'autre que toi et je nie le mensonge et l'infidélité
Ce navire à l'ancre tu peux couper sa corde
Jamais d'autre que toi
L'aigle prisonnier dans une cage ronge lentement les
barreaux de cuivre vert-de-grisés
Quelle évasion !
C'est le dimanche marqué par le chant des rossignols
dans les bois d'un vert tendre l'ennui des petites
filles en présence d'une cage où s'agite un serin
tandis que dans la rue solitaire le soleil lentement
déplace sa ligne mince sur le trottoir chaud
Nous passerons d'autres lignes
Jamais jamais d'autre que toi
Et moi seul seul seul comme le lierre fané des jardins de
banlieue seul comme le verre
Et toi jamais d'autre que toi.
XXII
PASSÉ LE PONT
La porte se ferme sur l'idole de plomb
Rien désormais ne peut signaler à l'attention publique
cette maison isolée
Seule l'eau peut-être se doutera de quelque chose
Les clairs matins d'automne la corde au cou plongent
dans la rivière
Le myosotis petit chien de Syracuse n'appellera jamais
plus la fermière aux yeux pers de son cri de mauvais augure
Du temps de Philippe le Bel à travers les forêts de cristal
un grand cri vient battre les murs recouverts de lierre
La porte se ferme
Taisez-vous ah taisez-vous laissez dormir l'eau froide au
bas de son sommeil
Laissez les poissons s'enfoncer vers les étoiles
Le vent du canapé géant sur lequel reposent les murmures le vent sinistre des métamorphoses se lève
Mort aux dents mort à la voile blanche mort à la cime
éternelle
Laissez-la dormir vous dis-je laissez-la dormir ou bien
j'affirme que des abîmes se creuseront
Que tout sera désormais fini entre la mousse et le cercueil
Je n'ai pas dit cela
Je n'ai rien dit
Qu'ai-je dit ?
Laissez laissez-la dormir
Laissez les grands chênes autour de son lit
Ne chassez pas de sa chambre cette humble pâquerette
à demi effacée
Laissez laissez-la dormir.
XXIII
EN SURSAUT
Sur la route en revenant des sommets rencontré par les
corbeaux et les châtaignes
Salué la jalousie et la pâle flatteuse
Le désastre enfin le désastre annoncé
Pourquoi pâlir pourquoi frémir ?
Salué la jalousie et le règne animal avec la fatigue avec
le désordre avec la jalousie
Un voile qui se déploie au-dessus des têtes nues
Je n'ai jamais parlé de mon rêve de paille
Mais où sont partis les arbres solitaires du théâtre
Je ne sais où je vais j'ai des feuilles dans les mains j'ai
des feuilles dans la bouche
Je ne sais si mes yeux se sont clos cette nuit sur les
ténèbres précieuses ou sur un fleuve d'or et de flamme
Est-il le jour des rencontres et des poursuites
J'ai des feuilles dans les mains j'ai des feuilles dans la
bouche.
XXIV
DE LA ROSE DE MARBRE
A LA ROSE DE FER
La rose de marbre immense et blanche était seule sur la
place déserte où les ombres se prolongeaient à l'infini. Et la rose de marbre seule sous le soleil et les
étoiles était reine de la solitude. Et sans parfum la
rose de marbre sur sa tige rigide au sommet du piédestal de granit ruisselait de tous les flots du ciel.
La lune s'arrêtait pensive en son cœur glacial et les
déesses des jardins les déesses de marbre à ses pétales
venaient éprouver leurs seins froids.
La rose de verre résonnait à tous les bruits du littoral.
Il n'était pas un sanglot de vague brisée qui ne la
fît vibrer. Autour de sa tige fragile et de son cœur
transparent des arcs-en-ciel tournaient avec les
astres. La pluie glissait en boules délicates sur ses
feuilles que parfois le vent faisait gémir à l'effroi
des ruisseaux et des vers luisants.
La rose de charbon était un phénix nègre que la poudre
transformait en rose de feu. Mais sans cesse issue
des corridors ténébreux de la mine où les mineurs
la recueillaient avec respect pour la transporter au
jour dans sa gangue d'anthracite la rose de charbon
veillait aux portes du désert.
La rose de papier buvard saignait parfois au crépuscule
quand le soir à son pied venait s'agenouiller. La rose
de buvard gardienne de tous les secrets et mauvaise
conseillère saignait un sang plus épais que l'écume de
mer et qui n'était pas le sien.
La rose de nuages apparaissait sur les villes maudites à
l'heure des éruptions de volcans à l'heure des incendies à l'heure des émeutes et au-dessus de Paris
quand la commune y mêla les veines irisées du pétrole
et l'odeur de la poudre elle fut belle au 21 janvier belle au mois d'octobre dans le vent froid des
steppes belle en 1905 à l'heure des miracles à l'heure
de l'amour.
La rose de bois présidait aux gibets. Elle fleurissait au
plus haut de la guillotine puis dormait dans la mousse
à l'ombre immense des champignons.
La rose de fer avait été battue durant des siècles par des
forgerons d'éclairs. Chacune de ses feuilles était
grande comme un ciel inconnu. Au moindre choc
elle rendait le bruit du tonnerre. Mais qu'elle était
douce aux amoureuses désespérées la rose de fer.
La rose de marbre la rose de verre la rose de charbon
la rose de papier buvard la rose de nuages la rose de
bois la rose de fer refleuriront toujours mais
aujourd'hui elles sont effeuillées sur ton tapis.
Qui es-tu ? toi qui écrases sous tes pieds nus les débris
fugitifs de la rose de marbre de la rose de verre de la
rose de charbon de la rose de papier buvard de la
rose de nuages de la rose de bois de la rose de fer.
SIRÈNE ANÉMONE
Qui donc pourrait me voir
Moi la flamme étrangère
L'anémone du soir
Fleurit sous mes fougères
O fougères mes mains
Hors l'armure brisée
Sur le bord des chemins
En ordre sont dressées
Et la nuit s'exagère
Au brasier de la rouille
Tandis que les fougères
Vont aux écrins de houille
L'anémone des cieux
Fleurit sur mes parterres
Fleurit encore aux yeux
A l'ombre des paupières
Anémone des nuits
Qui plonge ses racines
Dans l'eau creuse des puits
Aux ténèbres des mines
Poseraient-ils leurs pieds
Sur le chemin sonore
Où se niche l'acier
Aux ailes de phosphore
Verraient-ils les mineurs
Constellés d'anthracite
Paraître l'astre en fleur
Dans un ciel en faillite
En cet astre qui luit
S'incarne la sirène
L'anémone des nuits
Fleurit sur son domaine
Alors que s'ébranlaient avec des cris d'orage
Les puissances Vertige au verger des éclairs
La sirène dardée à la proue d'un sillage
Vers la lune chanta la romance de fer
Sa nage déchirait l'hermine des marées
Et la comète errant rouge sur un ciel noir
Paraissait par mirage aux étoiles ancrées
L'anémone fleurie aux jardins des miroirs
Et parallèlement la double chevelure
Rayait de feu le ciel et d'écume les eaux
Fougères surgissez hors de la déchirure
Par où l'acier saigna sur le fil des roseaux
Nulle armure jamais ne valut votre angoisse
Fougères pourrissant parmi nos souvenirs
Mais vous charbonnerez longtemps sous nos cuirasses
Avant la flamme où se cabrant pour mieux hennir
Le cheval vieux cheval de retour et de rêve
Vers les champs clos emportera nos ossements
Avant l'onde roulant notre cœur sur la grève
Où la sirène dort sous un soleil clément
L'anémone fleurit partout sous les carènes
Déchirées aux récifs dans l'herbe des forêts
Dans le tain des miroirs sur les parquets d'ébène
Et surtout dans nos cœurs palpitant sans arrêt
C'est le joyau serti au vif des nébuleuses
L'orgueil des voies lactées et des constellations
La prunelle qui met au regard des plus gueuses
Le diamant de fureur et de consolation
Heureuse de nager loin des hauts promontoires
Parmi les escadrons de requins fraternels
La sirène aux seins durs connaît maintes histoires
Et l'accès des trésors à l'ombre des tunnels
Mais ni l'or reluisant dans les fosses marines
Ni les clefs retrouvées des légendes du port
Ne la charment autant que d'ouvrir les narines
Aux vents salés plus lourds des parfums de la mort
C'était par un soir de printemps d'une des années perdues à l'amour
D'une des années gagnées à l'amour pour jamais
Souviens-toi de ce soir de pluie et de rosée où les étoiles
devenues comètes tombaient vers la terre
La plus belle et la plus fatale la comète de destin de larmes
et d'éternels égarements
S'éloignait de mon ciel en se reflétant dans la mer
Tu naquis de ce mirage
Mais tu t'éloignas avec la comète et ta chanson s'éteignit parmi les échos
Devait-elle ta chanson s'éteindre pour jamais
Est-elle morte et dois-je la chercher dans le chœur tumultueux des vagues qui se brisent
Ou bien renaîtra-t-elle du fond des échos et des embruns
Quand à jamais la comète sera perdue dans les espaces
Surgiras-tu mirage de chair et d'os hors de ton désert
de ténèbres
Souviens-toi de ce paysage de minuit de basalte et de
granit
Où détachée du ciel une chevelure rayonnante s'abattit
sur tes épaules
Quelle rayonnante chevelure de sillage et de lumière
Ce n'est pas en vain que tremblent dans la nuit les robes
de soie
Elles échouent sur les rivages venant des profondeurs
Vestiges d'amours et de naufrages où l'anémone refuse
de s'effeuiller
De céder à la volonté des flots et des destins végétaux
A petits pas la solitaire gagne alors un refuge de haut
parage
Et dit qu'il est mille regrets à l'horloge
Non ce n'est pas en vain que palpitent ces robes mouillées
Le sel s'y cristallise en fleurs de givre
Vidées des corps des amoureuses
Et des mains qui les enlaçaient
Elles s'enfuient des gouffres tubéreuses
Laissant aux mains malhabiles qui les laçaient
Les cuirasses d'acier et les corsets de satin
N'ont-elles pas senti la rayonnante chevelure d'astres
Qui par une nuit de rosée tomba en cataractes sur tes
épaules
Je l'ai vue tomber
Tu te transfiguras
Reviendras-tu jamais des ténèbres
Nue et plus triomphante au retour de ton voyage
Que l'enveloppe scellée par cinq plaies de cire sanglante
O les mille regrets n'en finiront jamais
D'occuper cette horloge dans la clairière voisine
Tes cheveux de sargasse se perdent
Dans la plaine immense des rendez-vous manqués
Sans bruit au port désert arrivent les rameurs
Qui donc pourrait te voir toi l'amante et la mère
Incliner à minuit sur le front du dormeur
L'anémone du soir fleurie sous tes paupières
Baiser sa bouche close et baiser ses yeux clos
Incliner sur son front l'immense chevelure
Bérénice de l'ombre ah ! retourne à tes flots
Sirène avant que l'aube ouvre ses déchirures
Une steppe naîtra de l'écume atlantique
Du clair de lune et de la neige et du charbon
Où nous emportera la licorne magique
Vers l'anémone éclose au sein des tourbillons
Tempête de suie nuage en forme de cheval
Ah malheur ! Sacré nom de Dieu ! La nuit naufrage
La nuit ? Voici sonner les grelots ! Carnaval
Ferme l'œil ! En vérité le bel équipage
Et dans ce ciel suitant des barriques des docks
Soudain brusquement s'interrompent les rafales
Quand la sirène avec l'aurore atteint les rocs
L'anémone du ciel est la fleur triomphale
C'est elle qui dressée au-dessus des volcans
Jette une lueur blafarde à travers la campagne
C'est l'aile du vautour le cri du pélican
C'est le plan d'évasion qui fait sortir du bagne
C'est le reflet qui tremble aux vitres des maisons
Le sang coagulé sur les draps mortuaires
C'est un voile de deuil pourri sur le gazon
C'est la robe de bal découpée dans un suaire
C'est l'anathème et c'est l'insulte et le juron
C'est le tombeau violé les morts à la voirie
La vérole promise à trois générations
Et c'est le vitriol jeté sur les soieries
C'est le bordel du christ le tonnerre de Brest
C'est le crachat le geste obscène vers la vierge
C'est un peuple nouveau apparaissant à l'est
C'est le poignard c'est le poison ce sont les verges
C'est l'inverti qui se soumet et s'agenouille
Le masochiste qui se livre au martinet
Le scatophage hideux au masque de gargouille
Et la putain furonculeuse aux yeux punais
C'est l'étreinte écœurante avec la femme à barbe
C'est le ciel reflété par un œil de lépreux
C'est le châtré qui se dénude sous les arbres
Et l'amateur d'urine au sourire visqueux
C'est l'empire des sens anémone l'ivresse
Et le sulfure et la saveur d'un sang chéri
La légitimité de toutes les caresses
Et la mort délicieuse entre des bras flétris
Pluie d'étoiles tombez parmi les chevelures
Je veux un ciel tout nu sur un globe désert
Où des brouillards mettront une robe de bure
Aux mortes adorées pourrissant hors de terre
Adieu déjà parmi les heures de porcelaine
Regardez le jour noircit au feu qui s'allume dans l'âtre
Regardez encore s'éloigner les herbes vivantes
Et les femmes effeuillant la marguerite du silence
Adieu dans la boue noire des gares
Dans les empreintes des mains sur les murs
Chaque fois qu'une marche d'escalier s'écroule un timide
enfant paraît à la fenêtre mansardée
Ce n'est plus dit-il le temps des parcs feuillus
J'écrase sans cesse des larves sous mes pas
Adieu dans le claquement des voiles
Adieu dans le bruit monotone des moteurs
Adieu ô papillons écrasés dans les portes
Adieu vêtements souillés par les jours à trotte-menu
Perdus à jamais dans les ombres des corridors
Nous t'appelons du fond des échos de la terre
Sinistre bienfaiteur anémone de lumière et d'or
Et que brisé en mille volutes de mercure
Éclate en braises nouvelles à jamais incandescentes
L'amour miroir qui sept ans fleurit dans ses fêlures
Et cire l'escalier de la sinistre descente
Abîme nous t'appelons du fond des échos de la terre
Maîtresse généreuse de la lumière de l'or et de la chute
Dans l'écume de la mort et celle des Finistères
Balançant le corps souple des amoureuses
Dans les courants marqués d'initiales illisibles
Maîtresse sinistre et bienfaisante de la perte éternelle
Ange d'anthracite et de bitume
Claire profondeur des rades mythologie des tempêtes
Eau purulente des fleuves eau lustrale des pluies et des
rosées
Créature sanglante et végétale des marées
Du marteau sur l'enclume au couteau de l'assassin
Tout ce que tu brises est étoile et diamant
Ange d'anthracite et de bitume
Éclat du noir orfraie des vitrines
Des fumées lourdes te pavoisent quand tu poses les pieds
Sur les cristaux de neige qui recouvrent les toits
Haletants de mille journaux flambant après une nuit
d'encre fraîche
Les grands mannequins écorchés par l'orage
Nous montrent ce chemin par où nul n'est venu
Où donc est l'oreiller pour mon front fatigué
Où donc sont les baisers où donc sont les caresses
Pour consoler un cœur qui s'est trop prodigué
Où donc est mon enfant ma fleur et ma détresse
Me pardonnant si des brouillards bandent mes yeux
Si j'ai l'air d'être ailleurs si j'ai l'air d'être un autre
Me pardonnant de croire au noir au merveilleux
D'avoir des souvenirs qui ne soient pas les nôtres
Pardonnant mon passé mon cœur mes cicatrices
D'avoir parcouru seul d'émouvantes contrées
D'avoir été tenté par des voix tentatrices
Et de ne pas l'avoir plus vite rencontrée
Saurait-elle oublier mes rêves d'autrefois
Les fortunes perdues et les larmes versées
L'étoile sans merci brillant au fond des bois
Et les désirs meurtris en des nuits insensées
Et ces phrases tordues comme notre amour même
Et que je murmurais lorsque minuit blafard
Posait ses maigres doigts sur des visages blêmes
Séchant les yeux mouillés et barbouillant les fards
Dans ces temps-là le ciel était lourd de ténèbres
Le sonore minuit conduisait vers mon lit
Des visiteuses sans pitié et plus funèbre
Que la mort l'anémone évoquait la folie
Les fleurs qui s'effeuillaient sur les fruits de l'automne
Laissèrent leurs parfums aux fleurs des compotiers
Et sur le fût tronqué des anciennes colonnes
Le sel des vents marins mit des lueurs de glaciers
Et longtemps ces parfums orgueil des porcelaines
Flotteront dans la paix des salles à manger
Et les cristaux de sel brilleront dans la laine
Des grands manteaux flottants que portent les bergers
Mes baisers rejoindront les larmes qui vont naître
Ils rejoindront la solitude sans pitié
Les vents marins soufflant sur les chaumes sans maîtres
Et les parfums mourants au fond des compotiers
Je suis marqué par mes amours et pour la vie
Comme un cheval sauvage échappé aux gauchos
Qui retrouvant la liberté de la prairie
Montre aux juments ses poils brûlés par le fer chaud
Tandis qu'au large avec de grands gestes virils
La sirène chantant vers un ciel de carbone
Au milieu des récifs éventreurs de barils
Au cœur des tourbillons fait surgir l'anémone.
(1929)
L'AVEUGLE
Les yeux clos elle allait dans un pays de nacre
Où la vie assumait la forme d'un croissant
C'était un jour de foire et les jeux de massacre
Retentissaient du rire et des cris des passants
Dans l'eau de l'océan les mines englouties
Recélaient des échos en place de trésors
Les ouvriers lâchant le manche des outils
Incendiaient les forêts et la nouvelle aurore
Répandue à grands flots se brisait aux murailles
La terre tressaillait à l'appel des volcans
Les sorciers découvraient dans le corps des volailles
Le mirage du ciel et d'impurs talismans
Chaque nuit éclairée par les aérolithes
Se déchirait sinistre avec un bruit d'accroc
Et les loups en hurlant surgissaient de leurs gîtes
Pour sceller les cailloux des marques de leurs crocs
Sans souci j'ai suivi le chemin de l'aveugle
Ses pieds trébuchaient sur les dalles des perrons
Mais ses doigts déchiffraient les mufles et les gueules
Des fauves effrayés par le bruit des clairons
Sa bouche ne savait ni chanson ni prière
Ses seins qu'avaient mordus d'anonymes amants
Saillaient sous le corsage et sous ses deux paupières
Deux miroirs reflétaient son attendrissement
Il fleurissait dans l'ombre en roses phosphoriques
Dans un parc de granit de flamme et de métal
Où jamais le refrain grotesque des cantiques
Ne troubla le silence immobile et fatal
Je n'oublierai jamais le docteur imbécile
Qui l'ayant délivré des nuits de cécité
Mourut en attendant avec un cœur tranquille
Qu'un archange joufflu vînt l'en féliciter
Mais avant d'évoquer au fond de ses prunelles
Un paysage absurde avec ses monuments
Le fer heurtant le fer en crachats d'étincelles
Et les menteurs levant la main pour les serments
Soyez bénis dit-elle au granit de son rêve
Soyez bénis dit-elle aux reflets des cristaux
Le voyage à bon port en cet instant s'achève
Au pied du sémaphore à l'ombre des signaux
Mais aujourd'hui n'est pas mon jour de délivrance
Ce n'est pas moi qu'on rend aux soirs et aux matins
Le rêve prisonnier de mon esprit s'élance
Comme un beau patineur chaussé de ses patins
La terre connaîtra mes cités ténébreuses
Mes spectres minéraux mon cœur sans dimension
Les lilas effeuillés la mort des tubéreuses
La danse que Don Juan et moi-même dansions
Que tous ferment les yeux au temps où mes yeux s'ouvrent
S'il n'est pas tout à moi que me fait l'univers
Avec ses Wesminsters ses Kremlins et ses Louvres
Que m'importe l'amour si mon amant voit clair
Et ce soir célébrant notre mariage atroce
Je plongerai l'acier dans ses yeux adorés
Que mon premier baiser soit un baiser féroce
Et puis je guiderai ses pas mal assurés
Je finirai ma vie en veillant sur sa vie
Je le protégerai des maux et des dangers
Je couvrirai son corps contre l'intempérie
Et je prendrai la lettre aux mains du messager
Je lirai l'heure ardente au cadran de l'horloge
J'aurai pour lui des soins hideux et maternels
Je serai l'infirmière à qui vont les éloges
La maîtresse impérieuse aux ordres sans appel
Le soir qu'éclaboussaient les étoiles filantes
Se déplia comme un serpent sur les pays
Chaque fleur à son tour a fleuri sur les plantes
Et puis voici la mort qui n'a jamais failli
Lits éventrés nuit éternelle éclair des crimes
Incendie allumé dans la maison des fous
Voici venir l'amour du fin fond des abîmes
Voici venir l'amour lampes éteignez-vous !
(16 août 1929)
MOUCHOIRS AU NADIR
Comme l'espace entre eux devenait plus opaque
Le signe des mouchoirs disparut pour jamais
Eux c'était une amante aux carillons de Pâques
Qui revenait de Rome et que l'onde animait
Eux c'était un amant qui partait vers la nuit
Érigée sur la route au seuil des capitales
Eux c'était la rivière et le miroir qui fuit
La porte du sépulcre et le cœur du crotale
Combien d'oiseaux combien d'échos combien de flammes
Se sont unis au fond des lits de cauchemars
Combien de matelots ont-ils brisé leurs rames
En les trempant dans l'eau hantée par les calmars
Combien d'appels perdus à travers les déserts
Avant de se briser aux portes de la ville
Combien de prêtres morts pendus à leurs rosaires
Combien de trahisons dans les guerres civiles
Le signe des mouchoirs qui se perd dans les nuages
Aux ailes des oiseaux fait ressembler le lin
Les filles à minuit contemplent son image
Vol de mouette apparue dans le miroir sans tain
Les avirons ne heurtent plus les flots du port
Les cloches vendredi ne partent plus pour Rome
Tout s'est tu puisqu'un soir l'au revoir et la mort
Ont échangé le sel et le vin et la pomme
Les astres sont éteints au zénith qui les porte
O Zénith ô Nadir ô ciel tous les chemins
Conduisent à l'amour marqué sur chaque porte
Conduisent à la mort marquée dans chaque main
O Nadir je connais tes parcs et ton palais
Je connais ton parfum tes fleurs tes créatures
Tes sentiers de vertige où passent les mulets
Du ciel les nuages blancs du soir à l'aventure
O Nadir dans ton lit de torrent et cascades
Le négatif de celle aimée la seule au ciel
Se baigne et des troupeaux lumineux de dorades
Paissent l'azur sous les arceaux de l'arc-en-ciel
Ni vierge ni déesse et posant ses deux pieds
Sur le croissant de lune et l'anneau des planètes
Dans le ronronnement de tes rouages d'acier
Hors du champ tumultueux fouillé par les lunettes
Vieux Nadir ô pavé au col pur des amantes
Est-ce dans ta volière au parc des étincelles
Qu'aboutissent les vols de mouchoirs et la menthe
L'herbe d'oubli dans tes gazons resplendit-elle ?
DE SILEX ET DE FEU
Éraillé béant abritant peste et démence
Il arrive il pénètre au port le paquebot
Hors de son flanc comme l'intestin d'une panse
La cargaison étonnement des cachalots
Est partie à la dérive au sommet du mât
Flotte un pavillon noir Écartez-vous voilures
Tout l'équipage mort moisit dans les hamacs
Proie de l'épidémie aux yeux de pourriture
Sur l'épaule inclinant le manche de sa faux
Tout à l'heure à midi des bureaux sanitaires
L'épouvante danseuse étique aux bijoux faux
Paraîtra saluée par les cris des fonctionnaires
Déjà le feu pétille il est trop tard trop tard
Le ciel contemple les gestes des sémaphores
Cependant que le flot ronge le coaltar
Au flanc des bâtiments Qu'apparaisse l'aurore
Où les ancres levées aux sanglots des sirènes
Tous ces bateaux prendront la mer en liberté
Qu'ils soient croiseurs chaluts ou trafiquants d'ébène
Ou frégate fantôme aux ordres d'Astarté
Mais je crains qu'à leurs proues les moules par milliers
Ne se fixent avant leur départ vers les rades
Où l'anneau les attend aux pierres des piliers
Où l'on boit le tafia avec les camarades
Que m'importe après tout le sort des matelots
Qu'ils crèvent que le port durant dix quarantaines
Soit affamé tant pis pour le méli-mélo
Tant pis pour les marins et pour les capitaines
Mais au gré des courants flotte la cargaison
La vague la balance et le cap la repousse
La glace et le soleil au gré de la saison
Font péter les caissons où s'accroche la mousse
Où flottent maintenant le poivre et la cannelle
Le café la confiture et les bois précieux
Où sont les essences de fleurs et les flanelles
Les barriques de vin la soie brodée de dieux
Quels poissons ont mangé les viandes et le pain
Et les médicaments et les clous de girofle
La saumure a rempli la gourde des copains
Des épaves se sont échouées au bord des golfes
Mais là n'est pas la mer avec tous ses cadavres
Avec ses tourbillons ses huiles et ses laines
Ses continents déserts ses récifs et ses havres
Ses poissons ses oiseaux ses vents et ses baleines
Non ce n'est pas la mer ni l'eau ni le ressac
Ni l'horizon que brise une explosion d'étoiles
Ni même un naufrageur qui repêche des sacs
Ni la reprise mystérieuse sur la voile
La mer ce n'est pas même un miroir sans visage
Un terme de comparaison pour les rêveurs
Un sujet de pensées pour l'engeance des sages
Pas même un lavoir propre à noyer les laveurs
Ce n'est pas un grimoire où dorment des secrets
Une mine à trésor une femme amoureuse
Une tombe où cacher la haine et les regrets
Une coupe où vider l'Amazone et la Meuse
Non la mer c'est la nuit qui dort pendant le jour
C'est un écrin pillé c'est une horloge brève
Non pas même cela ni la mort ni l'amour
La mer n'existe pas car la mer n'est qu'un rêve
Et moi qui l'appelais à l'assaut de la digue
Je reste au pied des rocs jonchés de goémon
Tandis que le soleil ouvert comme une figue
Saigne sur les tourteaux errant dans le limon
Jamais plus la tempête en sapant les falaises
N'abîmera la ville d'Ys les icebergs
Ne dériveront plus à moins qu'il ne me plaise
De recréer les flots les voiles et les vergues
Déjà sentant la mort et la teinture d'iode
Dans la putréfaction qui comblera les mares
Une flore nouvelle apparaît comme une ode
Vers le ciel impalpable où s'éteignent les phares
De Marenne à Cancale
Y a un long chemin
L'ai fait à fond de cale
Sur un lit de jasmin
De Marenne à Cancale
Y a de bons marins
Des solides des mâles
Et cinq doigts à leurs mains
De Marenne a Cancale
Y a du sable fin
Y a du vent qui hâle
La gueule des gamins
De Marenne à Cancale
Y a morts et vivants
Des moribonds qui râlent
Du soleil et du vent
De Marenne à Cancale
On boit beaucoup de vin
Qui donc qui nous régale
Tout le long du chemin
De Marenne à Cancale
Vogue un fameux lapin
Un fier luron sans gale
Qui saoula les marins
Où donc est ma négresse
Dit le premier marin
On fit avec sa graisse
Quatre grands cierges fins
Découpée charcutée
On l'a mise en un four
Les moines l'ont mangée
Pendant quarante jours
Où donc est ma gonzesse
Dit le second marin
L'est encore à la messe
A prier tous les saints
Je lui ferai connaître
Mon saint Jean mon saint Louis
Car suis-je ou non le maître
Dans ce sacré bouis-bouis
Où donc le gui Madame
Dit le dernier marin
Qui n'avait pas de femme
Et pas de bague aux mains
Le gui le gui silence
Vous reviendrez un jour
A l'heure de la danse
Chanter au gui l'amour
J'étais aveugle et je croyais qu'il faisait nuit
Est-ce bien toi que je nommais la ténébreuse
O nuit sonore et lumineuse quand s'enfuit
L'aigle du cauchemar aimé des nébuleuses
Byron voyageant en Espagne
Habita longtemps à Tolède
Il y rêvait dans la campagne
Aux plus belles et aux plus laides
Il y fut aimé d'une folle
Il fut aimé d'une Espagnole
Il fut aimé d'une Espagnole
La plus belle de la cité
Mais près du lord la tendre folle
Sentait son cœur la tourmenter
Elle mourut d'amour la belle
Comme on fermait la citadelle
Comme on fermait la citadelle
On l'emporta dans son linceul
Et le lord en rêvant aux belles
Derrière elle marchait tout seul
Le long des rues le peuple en foule
Regardait passer la dépouille
Regardaient passer la dépouille
Les lanceurs de malédictions
Et les bigots au cœur de rouille
Et les traîtres à leurs passions
Mais le lord alors sans mot dire
Marcha vers l'insulte et les rires
Marcha vers l'insulte et les rires
Le lord aux yeux lourds d'océans
Devant lui reculaient les sbires
Les toréros les paysans
Il arriva devant les femmes
Les Pepitas aux lourdes mammes
Les Pepitas aux lourdes mammes
Les gitanes aux noirs cheveux
Les chanteuses les grandes dames
Devant lui baissèrent les yeux
Parvint devant les demoiselles
Bravo Toro ! dit la plus belle
Bravo Toro ! dit la plus belle
Voici mon cœur voici mon corps
Et voici mon amour fidèle
Mes baisers et mes boucles d'or
Byron fut aimé par deux folles
Fut aimé par deux Espagnoles
Est-ce bien toi que je nommais la ténébreuse
Avec tes grands flambeaux brûlant au pied des monts
Avec tes rues et tes parvis et fabuleuse
La dame de minuit l'amoureuse sans nom
Son corps qu'eût dessiné en reliant des étoiles
Sur la carte du ciel dans les constellations
Un astronome de jadis son corps sans voile
Est de ceux pour lesquels s'affrontaient les nations
Dans les vergers du ciel faisant sa promenade
Aux arbres sidéraux elle cueille les fruits
Tandis que les soleils dressés en colonnades
Sous leurs piliers de feu la voient marcher sans bruit
Et le ciel à son tour relégué dans les fables
Retrouve l'océan que je nie à jamais
Les lunes en cristal s'échoueront sur le sable
Où gît l'épave avec ses morts et ses agrès
La peste les marins les étoiles les flots
Les récifs et le bateau fantôme et la peste
La voie lactée et les yeux miteux des hublots
S'enliseront avec les statues au beau geste
Quelle nuit en effet valut nos yeux fermés
Quand visitant les jardins d'or de nos prunelles
Nous écoutions monter l'océan alarmé
Le flux de notre sang battant pour les cruelles.
(1929)
LE POÈME A FLORENCE
Comme un aveugle s'en allant vers les frontières
Dans les bruits de la ville assaillie par le soir
Appuie obstinément aux vitres des portières
Ses yeux qui ne voient pas vers l'aile des mouchoirs
Comme ce rail brillant dans l'ombre sous les arbres
Comme un reflet d'éclair dans les yeux des amants
Comme un couteau brisé sur un sexe de marbre
Comme un législateur parlant à des déments
Une flamme a jailli pour perpétuer Florence
Non pas celle qui haute au détour d'un chemin
Porta jusqu'à la lune un appel de souffrance
Mais celle qui flambait au bûcher quand les mains
Dressées comme cinq branches d'une étoile opaque
Attestaient que demain surgirait d'aujourd'hui
Mais celle qui flambait au chemin de saint Jacques
Quand la déesse nue vers le nadir a fui
Mais celle qui flambait aux parois de ma gorge
Quand fugitive et pure image de l'amour
Tu surgis tu partis et que le feu des forges
Rougeoyait les sapins les palais et les tours
J'inscris ici ton nom hors des deuils anonymes
Où tant d'amantes ont sombré corps âme et biens
Pour perpétuer un soir où dépouilles ultimes
Nous jetions tels des os nos souvenirs aux chiens
Tu fonds tu disparais tu sombres mais je dresse
Au bord de ce rivage où ne brille aucun feu
Nul phare blanchissant les bateaux en détresse
Nulle lanterne de rivage au front des bœufs
Mais je dresse aujourd'hui ton visage et ton rire
Tes yeux bouleversants ta gorge et tes parfums
Dans un olympe arbitraire où l'ombre se mire
Dans un miroir brisé sous les pas des défunts
Afin que si le tour des autres amoureuses
Venait avant le mien de s'abîmer tu sois
Et l'accueillante et l'illusoire et l'égareuse
La sœur de mes chagrins et la flamme à mes doigts
Car la route se brise au bord des précipices
Je sens venir les temps où mourront les amis
Et les amantes d'autrefois et d'aujourd'hui
Voici venir les jours de crêpe et d'artifice
Voici venir les jours où les œuvres sont vaines
Où nul bientôt ne comprendra ces mots écrits
Mais je bois goulûment les larmes de nos peines
Quitte à briser mon verre à l'écho de tes cris
Je bois joyeusement faisant claquer ma langue
Le vin tonique et mâle et j'invite au festin
Tous ceux-là que j'aimai ayant brisé leur cangue
Qu'ils viennent partager mon rêve et mon butin
Buvons joyeusement ! chantons jusqu'à l'ivresse !
Nos mains ensanglantées aux tessons des bouteilles
Demain ne pourront plus étreindre nos maîtresses
Les verrous sont poussés au pays des merveilles.
(4 novembre 1929)
FORTUNES
(1942)
I
SIRAMOUR
Semez, semez la graine
Aux jardins que j'avais.
Je parle ici de la sirène idéale et vivante,
De la maîtresse de l'écume et des moissons de la nuit
Où les constellations profondes comme des puits grincent
de toutes leurs poulies et renversent à pleins seaux sur
la terre et le sommeil un tonnerre de marguerites et
de pervenches.
Nous irons à Lisbonne, âme lourde et cœur gai,
Cueillir la belladone aux jardins que j'avais.
Je parle ici de la sirène idéale et vivante,
Pas la figure de proue mais la figure de chair,
La vivante et l'insatiable,
Vous que nul ne pardonne,
Ame lourde et cœur gai,
Sirène de Lisbonne,
Lionne rousse aux aguets.
Je parle ici de la sirène idéale et vivante.
Jadis une sirène
A Lisbonne vivait.
Semez, semez la graine
Aux jardins que j'avais.
Que Lisbonne est jolie.
La fumée des vapeurs
Sous la brise mollie
Prend des formes de fleurs.
Nous irons à Lisbonne
Ame lourde et cœur gai,
Vous que nul ne pardonne,
Lionne rousse aux aguets.
Semez, semez la graine,
Je connais la chanson
Que chante la sirène
Au pied de la maison.
Nous irons à Lisbonne
Ame lourde et cœur gai,
Cueillir la belladone
Aux jardins que j'avais.
Il est minuit très noire,
La nuit toutes les fleurs,
Versez, versez à boire,
Sont de même couleur.
Je connais la sirène
Je connais sa chanson :
Voyez sa robe traîne
Et charme les poissons.
Mais la graine qui germe
Connaîtra pas ses fleurs.
Chaque jour a son terme,
Chaque amour ses douleurs.
Tout en elle est semblable à l'eau, son élément,
Mais à l'eau de montagne et qui glace les membres
Du nageur qui s'y risque et devient son amant :
Il souffre. Il sombre. Il meurt dans ces flots de décembre.
Allongée dans son lit, le tain de son miroir,
Elle épouse docile un corps et son image,
Quitte à rendre à la terre un cadavre le soir.
Les oiseaux de sa rive ont un charmant ramage.
Cette eau qui désaltère est fatale au buveur.
On le retrouve mort auprès de quelque borne
Et d'un plus sûr poignard poignardé en plein cœur
Que celui que l'on trempe en cette onde qui s'orne
Des cristaux de la lune et de l'azur polaire
Et qui chante en coulant sur les fonds de cailloux
Et qui rugit au fond des gorges solitaires
Ainsi qu'une putain battue par son voyou.
Mais celui-là qui peut, plongeur au cœur robuste,
Atteindre l'autre rive et sécher au soleil
Les gouttes scintillant sur ses reins et son buste
Et la boue des bas-fonds collée à ses orteils,
Est désormais trempé comme un poignard de mort,
Une lame de crime aux touches sans remède,
Un estoc de jadis pour redresseur de torts,
Plus dur que les aciers de Sheffield et Tolède.
Honneur à toi, Sirène, honneur à toi torrent,
O femme dont l'amour trempe une âme solide.
Qu'importe si ta bouche aux baisers effarants
Fut salée par les pleurs de tes amants avides.
Don Juan te rencontra avant les mille et trois.
C'est toi qui lui donnas son tourment et son charme,
C'est l'écho de tes chants qu'écoutaient dans sa voix
Celles qu'il abîmait dans l'amour et les larmes.
Les deux fils de Don Juan apprirent par tes lèvres,
Lord Byron le destin, le courage et l'orgueil,
Et Nerval où trouver le philtre d'outre-fièvres
Pour te ressusciter dans ses rêves en deuil.
Il est minuit au pied du château qui n'est ni celui de la Belle
au bois dormant, ni le seul en Espagne, ni le roi des nuages
mais celui dont les murailles dressées au sommet d'une montagne
dominent la mer et la plaine et maints autres châteaux dont les
tours blanchissent au loin comme les voiles perdues sur la mer.
Il est minuit dans la plaine et sur la mer, il est minuit dans les
constellations vues d'ici et voici que l'étoile, la tantôt noire, la
tantôt bleue, surgit au delà de l'écume éclatée comme un orage bas
dans les ténèbres liquides.
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